D'aucuns s'interrogeaient sur la lecture restrictive de l'ANP de la Constitution et lui reprochaient un légalisme tatillon, s'accrochant à l'article 102, en lieu et place de l'article 7 qui fait du peuple le constituant et l'origine de toute souveraineté. Ces voix qui s'élevaient de toutes parts, mais qui provenaient en réalité de la même pensée idéologique, de la même orientation politique enjoignaient manu militari… à l'armée soit de rentrer dans ses casernes au mépris de son histoire dans le mouvement national ou bien de se précipiter illico presto dans la phase active de la transition au risque du discrédit, sous le prétexte de passer à une autre étape supérieure de la rupture avec l'ordre ancien. Comme si sortir de la Constitution était en soi une garantie de se prémunir d'un retour de balancier contre-révolutionnaire et y rester la preuve d'une complicité avérée d'un attachement au régime corrompu et prévaricateur. Logique manichéenne dans laquelle ne s'est pas enfermée l'ANP au plus grand bénéfice du « Hirak ». Toutes les armées du monde évitent d'aller à la bataille, la fleur au fusil. Et préfèrent suivre de manière appliquée quelques règles immuables de l'affrontement surtout quand elles s'engagent sur les champs… politiques. « L'art de la Guerre » de Sun Tzu fut écrit il y a plus de 2300 ans… et il serait bon de le lire, après une marche d'un vendredi à venir. Cet ouvrage est enseigné dans toutes les Académies militaires car, à sa lecture, il ressort que son auteur fut un homme d'une immense expérience militaire qui s'est forgé une philosophie de la guerre et de l'affrontement sur deux critères essentiels : la surprise et la ruse. Et Sun Tzu de nous délivrer quelques principes de guerre dont il estime qu'il ne faut jamais s'écarter pour mener ses troupes à la victoire. Apostrophant les chefs de guerre, Sun Tzu leur enjoint de « prévoir les moments les plus favorables, le temps et l'espace étant conjugués, pour ordonner le mouvement des troupes et les itinéraires qu'elles devront suivre, et de régler à propos toutes les marches et enfin de ne commencer ni ne terminer jamais la campagne hors de saison ». Ainsi, en cette période troublée que traverse le Pays, l'action militaire se confond avec son alter ego politique et obéit à des critères de temps ou pour employer le jargon des officiers supérieurs de l'Etat-Major, à une étroite fenêtre temporelle pour une action d'opportunité menant à une évolution positive de l'orientation de la bataille… L'accélération vertigineuse des évènements de ces trois derniers jours démontre que les conseils inspirés qui préconisaient de manière légère une transition politique en dehors de toute légalité des textes fondamentaux se contentaient d'une lecture formelle de la situation politique à l'ombre de la Constitution et faisaient l'impasse d'une analyse sans concessions sur la nature profonde et réelle du Bloc au pouvoir, de l'Armée nationale populaire et plus encore des forces socio-politiques en présence. L'ANP en sapeur du «Hirak» Les lecteurs de Sun Tzu auront aussi sans doute médités ces autres remarques du grand penseur chinois : « Connaître le fort et le faible, tant de ceux qu'on aura confiés à vos soins que des ennemis que vous aurez à combattre ». C'est ainsi qu'après avoir apporté les correctifs nécessaires à la bonne marche du renseignement militaire au service de son corps d'origine et non à celui d'un régime que la rente pétrolière a dévoyé, les stratèges de l'Etat-Major ont battu leur adversaire sur son maillon le plus fort né de l'alliance des restes d'un pouvoir exécutif dominé par la partie compradore du clan d'Oujda en déroute et des cercles d'influences de toutes sortes portés par un courant politique bien précis au sein de l'appareil d'Etat qui a fait du renseignement une source de profits considérables et du pétrole, un moyen d'influence exceptionnelle, ce dernier évoluant par nature dans des milieux transnationaux. Aussi, l'essentiel de l'action du génie militaire ne se situe pas à l'intérieur de l'appareil d'Etat civil mais essentiellement au sein des structures militaires et sécuritaires comme en témoigne les nombreuses nominations dans les services de renseignement, les arrêtés de fins de fonctions au sein de la Présidence de la République et les arrestations de généraux à la retraite toujours très actifs qui risquent d'être suivis par d'autres officiers de hauts rangs, y compris ceux qui furent parmi les plus puissants et les plus hauts gradés comme cela fut dénoncé publiquement par le vice-ministre de la défense. Dès lors, il aurait été suicidaire pour le « Hirak » de s'aventurer dans une transition politique de rase campagne pour ainsi dire alors que ses ennemis au sein du Bloc au Pouvoir aussi bien dans les sphères civiles que militaires qu'à l'international n'attendaient que cette occasion pour, par la manipulation, la provocation, la répression allumer les feux d'une contre-révolution dont l'amplitude aurait été au moins à la mesure des immenses enjeux constitués par le captage des rentes des hydrocarbures et d'un marché de 42 millions de personnes. Il était donc hors de question, pour l'Etat-Major de jeter les perspectives stratégiques ouvertes par un « Hirak » d'une amplitude sans pareilles sur des chemins de traverse au vu de la nature de la convergence du courant « berbériste étatiste kabyle » d'avec « la fraction berbériste de la région frontalière marocaine de Msirda ». Cette alliance entre les forces rétrogrades au sein de l'appareil d'Etat et les puissances de l'argent a scellé la réalité de son hégémonie idéologique et culturelle dans la fabrication de son orientation de « civilisation de l'Etat » colportée dans un premier temps par Saâdani puis prolongé une fois le « Hirak » déclenché par un contenu de type démocratique en déconnexion des exigences sociales du mouvement, donnant du grain à moudre à certaines grandes puissances, aux fins d'aller à une période transitoire extra-constitutionnelle présentée comme la panacée à tous les maux. En l'absence d'une vigoureuse action d'assainissement au niveau de l'Etat aux fins de le libérer d'entraves nouées par les puissances de l'argent et de la rente des hydrocarbures en complicité avec des cercles internationaux dont on comprend qu'ils sont à l'origine de la cyber attaque contre les services informatiques d'Air Algérie, nous aurions inéluctablement assistés, lors du processus de rénovation constituant à des affrontements idéologiques dont l'objectif était d'abattre le mouvement national dans la diversité de sa pensée féconde ; du berbérisme patriotique anti-impérialiste à l'islamisme nationaliste en passant par les différents courants qui apportent leurs idées riches et passionnantes aux débats de fonds qui traversent la Nation, ouvrant une boite à pandore dévastatrice à bien des égards, opposant drapeau de l'Académie berbère de Saint-Denis au drapeau du mouvement national, élites francophones marginalisées mais dominantes du point de vue des classes aux masses arabophones paupérisées, appareil d'Etat au Peuple, Capitale au reste du pays, Pétrole confisquée par des forces mercantiles en contrepartie d'un parlementarisme de représentation concédé. Ainsi, l'article 102 a ceci de pratique, qu'il permet de dérouler une logique prévisible puisque détaillée dans le texte de la loi fondamentale, de suspendre dans le temps (pour au moins 90 jours) l'action de l'adversaire en neutralisant l'ordonnancement institutionnel habituel et les marges de manœuvre concourantes de ceux qui, au sein du Bloc au Pouvoir, auraient été les premiers à user de la plénitude de leurs prérogatives pour mettre à bas le « Hirak ». Ces adversaires du mouvement populaire avancent à couvert et se cachent tout aussi bien dans les instances exécutives désormais gelées que dans les instances juridiques temporairement pétrifiées par la disparition de leur ordonnateur habituel. Si l'article 102 a pour effet mécanique d'établir un abcès de fixation en occupant l'ennemi à s'affairer sur des positions figées, il permet également à l'institution militaire une mobilité que lui envient ses adversaires au sein de l'appareil d'Etat. En effet, le pouvoir exécutif, possède dans tous les pays, y compris et surtout dans les nations les plus avancées, un pouvoir dit « discrétionnaire », qui, lors des moments de crise, lui permet de prendre, de manière diligente et urgente, des mesures de sauvegarde publique. C'est au nom de ce pouvoir discrétionnaire, apanage du pouvoir exécutif que l'ANP se réalise en un centre d'orientation et d'animation de l'action publique au profit du « Hirak » tout en veillant à la sauvegarde de la souveraineté du pays. L'ANP, bras exécutif du «Hirak» D'autres opposants qui se situent cette fois dans la société civile et politique, en relais d'avec les fractions sociales, politiques, économiques, militaires et surtout culturelles qui viennent de subir une lourde défaite donnent de la voix tant au niveau de partis politiques qui crient « au coup d'Etat permanent » et à la non-instrumentalisation de la justice qu'à celui des sphères d'influences économiques intégrées dans la mise en coupe réglée du pays par des positions de monopole de fait et des accès privilégiés au crédit bancaire ou à la rente des hydrocarbures. Toutes ces tentatives sont déjouées par une pratique rusée de l'article 102 (que Sun Tzu n'aurait pas révoqué) qui se retrouve employé dans le rôle très original d'arme de sapeur du « Hirak » en ce qu'il permet de déminer les grenades anti-personnel et anti-char laissés par l'ennemi tout en préparant les infrastructures nécessaires au déploiement en toute sécurité des troupes, de l'infanterie mécanisée et de ses moyens les plus lourds lorsqu'il s'agira d'aller vers une transition politique organique, c'est-à-dire dans un mouvement d'investissement et de rénovation profonde de l'Etat, avec son transfert de pouvoirs constituants concomitants, processus qui pourra être marqué de la rigueur et du sérieux nécessaires pour se hisser à la hauteur des espoirs populaires. L'article 7 dispose que la source de la souveraineté est le peuple. Et tous les vendredi le peuple dans les quatre points cardinaux de l'Algérie a retenu trois slogans génériques d'une grande force: « Dégagez-les tous !», « Les Boutefs, famille de voleurs ! », « Vous avez croqué le pays, bande de voleurs ! ». En l'absence d'un pouvoir judiciaire qui prenne à bras-le-corps les affaires de corruption qui s'étalent partout sur le net mais jamais dans les tribunaux, l'ANP considérant que le peuple est le pouvoir constituant, qu'il s'exprime dans son immense majorité au travers de marches rassemblant des millions de citoyens, a instruit ses officiers de Police Judiciaire de se saisir des dossiers de corruption et de détournements de devises et de deniers publics qu'il serait en mesure d'enquêter et de renseigner. L'ANP agit ainsi pour la mise en œuvre diligente et l'exécution sans plus attendre des demandes populaires, ce qu'il sera difficile de lui reprocher. Ce faisant et alors que les délais impartis par l'article 102 à l'organisation d'élections présidentielles - dont tout le monde comprend qu'ils ne seront que l'aboutissement d'un nouveau rapport de force au sein du bloc au pouvoir en cours de reconfiguration - courent toujours, l'ANP, en déclenchant une vaste campagne anti-corruption, indique clairement qu'elle vient, par la force que lui confère sa proposition d'initiative de niveau tactique, de choisir le moment de basculement entre son action légale encadrée par l'article 102 et l'initiative légitime impulsée par l'article 7. Mais l'élément de surprise de tout premier ordre provient du fait que la légitimité de son action s'appuie fortement sur les exigences des manifestants de mettre fin à la corruption avant même d'aborder la phase formelle de la transition démocratique en délivrant un contenu qu'elle souhaite résolument populaire à l'image de ce qu'est l'Armée algérienne au grand désarroi des ennemis de la Nation.