Pour l'opposition, mise à part quelques voix éparses, la transition ne peut être signifiante qu'en dehors du texte constitutionnel. Pour l'ANP qui a pris ses responsabilités dans le strict cadre constitutionnel, la transition doit se réaliser uniquement au sein de la Loi fondamentale. Pour les premiers, la souveraineté populaire prime sur toute chose, pour les seconds la souveraineté nationale s'impose à tous, peuple compris. Le Hirak, quant à lui, ne souhaite pas dégager des représentants, alors qu'il est pressé de toutes parts pour jouer un rôle qu'il ne veut pas endosser en raison d'une crise de la représentativité alimentée par les manipulations grossières du corps électoral de l'administration en place depuis l'indépendance. L'épisode des 5.000.000 de signatures pour le candidat du cinquième mandat l'illustre à merveille. Comment en sortir ? A lire le Général Hocine Benhadid, dans une contribution adressée au quotidien El Watan du 25 avril 2019, il faut destituer la Présidence de l'Etat, dissoudre les deux assemblées, le conseil constitutionnel et pour faire bonne mesure, les partis et les syndicats liés à l'appareil d'Etat. Puis dans la foulée remettre les pouvoirs exécutifs et législatifs entre les mains d'un Haut Conseil politique et d'un gouvernement de technocrates constitué de jeunes universitaires comme si la jeunesse était un double gage de réussite et de sincérité politique, créer de nouveaux partis comme on met sur pied un nouveau bataillon, s'entendre sur une conférence nationale pour enfin se diriger vers des élections présidentielles. Le tout, mené à la hussarde en 18 mois suffirait à remettre sur les rails une Algérie temporairement défaillante. On reste interloqué à la lecture d'un tel document dont, le simplisme pour être élégant, tend à réduire les évènements déclenchés, sans retour un certain 22 février, à une crise institutionnelle d'ordre démocratique, alors qu'elle est fondamentalement, de manière bien plus problématique pour la stabilité sur le long terme du pays, un défi lancé à l'ordre rentier énergétique mondialisé qui cherche à maintenir le pays dans son statut de bonbonne de gaz et de marché captif pour certains pays européens en crise structurelle permanente. Le général à la retraite Benhadid n'est pas le seul à préconiser un tel traitement pour calmer la fièvre du peuple. Les américains et les français ne disent pas autre chose. L'International Crisis Group recommande dans une note du 26 avril 2019, une approche tout à fait similaire. Ce « think tank » américain, proche des démocrates et où l'on retrouve pêle-mêle d'anciens conseillers à la sécurité chargés du Moyen-Orient sous l'administration Obama mais aussi, l'ex ambassadeur français, atlantiste notoire Gérard Araud, l'israélienne Tzipi Livni ancienne ministre des affaires étrangères de l'entité sioniste et l'immanquable George Soros, le financier milliardaire des révolutions de couleur a indiqué une liste d'actions pour la «promotion de la paix» en Algérie dont «le renvoi des gouverneurs, la dissolution du parlement et le report des élections présidentielles». Une copie conforme de la solution préconisée par l'ex-général Toufik et Saïd Bouteflika alors que la Conférence Nationale avancée par A. Bouteflika avait lamentablement échoué. Et tirant les leçons stratégiques de la défaite syrienne, l'International Crisis Group encourageant un changement «de l'intérieur et non de l'extérieur» car «toute ingérence étrangère risque de saper la légitimité de la transition en cours» semble administrer des conseils qui de toute évidence ont été massivement rejetés par le Peuple algérien. Ceci explique dans une certaine mesure la difficulté à mettre au point une transition politique dont tout le monde comprend qu'elle ne trouve pas de grands relais à l'extérieur de nos frontières (à l'exception de la Chine et de la Russie) que ce soit aux Etats-Unis, en France ou au Machrek mais s'offre une exceptionnelle résonance au niveau des peuples de ces mêmes régions, en particulier en Palestine et au Liban. C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre le déploiement d'un groupe aéronaval mené par le porte-avion Harry S.Truman en méditerranée, en sus de la VIème flotte qui ont pour mission essentielle d'envoyer un message ferme à Moscou et à Pékin. Des îles canaries à l'Egypte en passant par la Libye et l'Algérie, tous ces territoires sont décrétés zone exclusive américaine comme il existe en droit maritime des zones exclusives économiques mais ici il s'agit pour Washington de proclamer des droits sur des peuples et leurs ressources qu'aucun scénario russe, à la manière syrienne, ne viendra, cette fois, contrarier. Le chemin à suivre…. L'opposition que l'on qualifiera par commodité de démocratique, s'affaire essentiellement autour de questions internes au pays sans trop s'attarder sur le réaménagement des lignes de force internationales en gestation. Chacun préconise une recette à suivre, mais tous sont d'accord pour sortir du cadre constitutionnel. Les convergences s'établissent relativement aisément sur une Commission Electorale Indépendante, la mise à l'écart de l'administration lors de l'organisation des futures élections, un gouvernement technocratique chargé d'expédier les affaires courantes et une instance exécutive composée de trois à sept individus représentant des personnalités et sensibilités différentes. Reste les divergences qui se résument en deux points essentiels, la mise sur pieds d'une assemblée constituante et le rôle exact de l'armée dans l'ensemble du processus de la transition. Pour ses détracteurs, la constituante ouvrirait une période d'affrontements idéologiques irrémédiables sur des questions identitaires qui constituent des sujets d'une sensibilité exacerbée par un partage de la rente inégal et injuste au profit de quelques régions de développement (Alger, Tizi-Ouzou, Tipasa et Blida) contre le reste du pays. Quant à l'armée, certains souhaitent la livrer pieds et poings liés à la réprobation internationale en la présentant comme la gardienne zélée de l'ordre ancien alors qu'elle démontre son engagement à la déconstruction dans les faits et pas en paroles des projets contre-révolutionnaires. Elle est l'objet d'une campagne ininterrompue de critiques, dont les moins sévères se veulent être celles de Mouloud Hamrouche n'hésitant pas à affirmer que c'est le Hirak qui protège l'ANP et non pas l'inverse. On se prendrait presque à plagier le célèbre mot de Staline à propos de la Papauté : le Hirak, face à la VIème flotte combien de divisions blindées ? L'opposition se perd dans ses méthodes. Le terme méthode provient du grec ancien (meta-odos) et signifie le « chemin suivi ». Dans la démarche qui est la sienne, l'opposition tente de fixer la méthode, c'est-à-dire essayer d'édicter les standards qui baliseront le chemin à suivre. Nabni, un think tank algérien proche de l'opposition vise même à dégager des règles de validation de cette démarche pour éclairer le Hirak, de ce qu'il faut ou ne pas faire. Sa principale préoccupation est de définir une sorte de science de la transition laquelle déterminerait la méthode la plus appropriée pour l'Algérie. Mais cette inclinaison à la technique, a tendance à écarter les contraintes, les présupposés idéologiques inhérents à la formulation des questionnements et les difficultés liées à la transposition de valeurs théoriques en actes empiriques et pratiques. Quel est donc l'objectif de la transition ? L'établissement d'une République démocratique ? Ou le renforcement du mouvement national ? Ou encore une lutte sans merci contre la rente ? Qui en défini l'objet ? On le voit cette méthodologie est viciée dans ses présupposés idéologiques et explique la confusion dans laquelle s'enferme l'opposition.… Ou le chemin ce faisant L'autre vision, infiniment plus pragmatique est celle du Hirak qui façonne sa méthode à partir du réel pour poser les principes théoriques de ses actions à venir. Un peu comme un scientifique qui d'abord constate un phénomène expérimental avant d'en circonscrire les conditions. Et non pas l'inverse ! Le Hirak, le principal concerné de tout ce charivari politico-idéologique se concentre sur trois revendications: 1 - juger les voleurs qui ont pillé les biens du Peuple, 2 - juger les politiques complices des voleurs qui ont méprisé le Peuple et bafoué la dignité de sa République, 3 - organiser des élections sincères sans soumission à une quelconque partie et sans exclusion d'aucune sorte à l'exception des symboles politiques de l'ordre ancien. Ce sont ces trois axes, qui traités dans le bon ordre s'attelleront à réaliser dans le contenu politique et non pas dans les formes juridiques la transition puis le basculement de tout le système. C'est d'ailleurs ce qui se réalise tous les jours sous nos yeux. Le vendredi le peuple s'exprime et le reste du temps l'armée exécute, de manière ordonnée et systématique, les revendications exprimées pour réaliser, un point d'étape le mardi, par la seule voix qui reste crédible dans le pays. C'est cela la transition. Nous la vivons et certains s'obstinent à ne pas la voir en l'appelant de leurs vœux, prisonniers qu'ils sont de leurs schémas méthodologiques. Les oligarques ont été emprisonnés comme première étape de la transition du système et nous avons vu l'opposition, immédiatement, mettre en doute l'équité de telles actions au prétexte que dans les textes la Justice est encore dépendante de l'exécutif. Nous revoilà renvoyés à la méthode. Comme si l'indépendance de ces deux instances n'est pas avant tout un rapport social d'entre le peuple et ses mandants judiciaires d'une part et l'exécutif d'autre part. Les juges, avocats, huissiers n'étaient-ils pas dans la rue depuis le 22 février ? Ne se sont-ils pas organisés en syndicats postulant, devant le peuple, source suprême de légitimité, l'indépendance irrévocable du judiciaire par rapport à l'exécutif ? Les juges, les procureurs, les avocats, les huissiers, les notaires et tous les auxiliaires de Justice qui marchent avec le Peuple le vendredi ne sont-ils donc pas les mêmes que ceux qui dans les tribunaux prononcent le Droit ? C'est le Hirak qui aura libéré les juges et la Justice bien avant que les textes ne viennent graver dans le marbre de la Loi fondamentale un principe en devenir théorique mais déjà mis en pratique ! Et c'est le Hirak qui a exigé de juger ceux qui ont pillé les ressources du Peuple. Pourquoi cela gêne-t-il certains ? Un voleur n'est-il pas un voleur qu'il soit originaire de Tizi-Ouzou ou de Tamanrasset ? Et quand pourront nous les juger dans des conditions politiques meilleures que celles d'aujourd'hui alors que l'exécutif, affaibli en raison de l'application de l'article 102 a perdu ses marges de manœuvre et ne peut plus peser sur le judiciaire tandis qu'au même moment le judiciaire bénéficie en plus du soutien attentif du Hirak de la totalité de sa marge de manœuvre ? La transition, le Hirak la réalise tous les jours et la nouvelle constitution s'écrit à chaque moment dans un processus historique fascinant et émouvant pourvu que l'on sache lire son alphabet. La seconde étape de la transition est celle qui balbutie ces jours-ci. Elle a commencé, par un de ces signes dont seule la Providence, règle, en maîtresse implacable des horloges, l'opportunité, à savoir la mise en terre d'un homme, Abassi Madani qui a fait de sa vie une action militante au service de sa Nation. Il fut inhumé avec tous les honneurs qui lui importaient, c'est-à-dire ceux que lui rendaient le peuple de Belcourt et de Hussein-Dey avant que celui d'Alger et d'Algérie n'assistent à la mise à mort symbolique cette fois, de ceux qui représentent un système politique exécré. Car la deuxième étape après l'emprisonnement des oligarques ne peut être que la présentation devant la Justice de ceux qui furent les grands ordonnateurs du pillage des ressources du Pays. Ils rentreront dans le Panthéon que le mouvement national a toujours réservé aux Bachaga Boualem et Bengana et il n'est pas certain que leurs protecteurs internationaux puissent les sauver au pied de l'échafaud. A cette occasion de nouvelles lignes de notre constitution seront écrites et la transition aura atteint un point de non-retour. Alors et seulement après cette séquence inéluctable que le peuple algérien appelle de ses vœux, nous pourrons sereinement établir le canevas de notre futur en tant que Nation, Etat et Société.