Pour la première fois, un réalisateur de la Corée du Sud a remporté la Palme d'or. « Parasite », de Bong Joon-ho, est le portrait acide d'une famille pauvre et sans scrupules. La cinéaste franco-sénégalaise Mati Diop a reçu pour « Atlantique » le prestigieux Grand Prix du Festival. Le plus important rendez-vous de cinéma au monde s'est terminé ce samedi 25 mai au soir avec un palmarès à la hauteur de cette 72e édition, particulièrement riche et diversifiée, entre réalisateurs déjà doublement palmés et nouveaux arrivants, entre sujets de banlieue parisienne et province brésilienne. « Merci ! » Visiblement surpris de recevoir la Palme d'or, Bong Joon-ho a prononcé son premier mot en français. « Je n'imaginais pas un instant de remporter la Palme d'or. Je suis toujours très inspiré par le cinéma français. Je tiens à remercier Henri-Georges Clouzot [1907-1977] et Claude Chabrol [1930-2010]. J'étais un petit garçon assez fanatique du cinéma et c'est à partir de cet âge-là que j'ai décidé de devenir cinéaste.» Depuis la présentation de son film Parasite, Bong Joon-ho était déjà la coqueluche de cette 72e édition. Son portrait très original, à la fois sombre et cynique, d'une famille pauvre sans scrupules a conquis la Croisette. L'histoire raconte la vie de la famille Ki-taek, vivant en entresol, entre cafards et panne de Wifi, et sa rencontre avec la famille richissime Park. En décrochant un job pour donner des cours particuliers d'anglais chez la jeune fille des Park, le fils de la famille pauvre met un pied dans la porte d'un avenir prometteur. Commence alors un engrenage d'une violence inouïe montrant surtout la violence de la pauvreté. Le génie du cinéaste sud-coréen consiste à fusionner des genres contradictoires, comédie et film d'horreur, drame et thriller, et de surprendre les spectateurs en permanence avec des rebondissements à la fois dramatiques et loufoques. « Je trouve ça un peu fou », a réagi la Franco-Sénégalaise Mati Diop à l'annonce du Grand Prix pour son tout premier long métrage Atlantique. « J'ai terminé ce film à genoux, à Dakar. Je n'en reviens pas… » Avec Atlantique, la cinéaste de 36 ans, première réalisatrice d'origine africaine en compétition à Cannes, tient un plaidoyer à la fois poétique, politique et onirique appelant à ne pas baisser les bras face aux drames de l'émigration clandestine dans les pays africains. Elle a surtout innové avec une vision inédite et très féminine sur une jeunesse sénégalaise désespérée, prête à plutôt mourir qu'à rester au pays. Le Prix de l'interprétation masculine revient à l'acteur fétiche de Pedro Almodovar, Antonio Banderas, pour Douleur et Gloire. « Cela m'a pris 40 ans de venir ici à Cannes. Même si mon personnage s'appelle Salvador Mallo, ce n'est un mystère pour personne qu'il s'agit de Pedro Almodovar. Je le respecte, je l'admire, c'est mon mentor. Tout le monde pense qu'on vit sur un tapis rouge, mais on souffre aussi beaucoup. Et on a aussi des jours de gloire. Aujourd'hui, c'est ma journée de gloire ». Dans cette fiction autobiographique très poétique, le réalisateur espagnol raconte son enfance difficile dans la province de Valence, sa découverte du cinéma, sa relation particulière avec sa mère et ses soucis de santé, du lombago à la dépression. « Merci à Thierry Frémaux d'avoir eu l'audace de choisir ce film en compétition », a commenté Ladj Ly en recevant le prix du jurypour Les Misérables. « On est parti de rien, et aujourd'hui on se retrouve là, c'est beau. Notre seul ennemi, c'est la misère. Je dédie ce prix à tous les miséreux de France et d'ailleurs ». Avec Les Misérables, Ladj Ly a renouvelé avec brio le genre des films de banlieue, 24 ans après La Haine de Mathieu Kassovitz. Ladj Ly, « l'homme à la caméra », a filmé à son tour la violence et la misère, mais surtout les êtres humains dans un quartier difficile. Un prix du juryattribué ex aequo à Bacurau, des réalisateurs brésiliens Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles : « Nous sommes des ambassadeurs de la culture, on travaille pour la culture et c'est de cela qu'on a besoin au Brésil. » Les frères Luc et Jean-Pierre Dardenne ont accueilli leur prix de mise en scène pour Le jeune Ahmed avec les mots : « Ce film, on l'a conçu comme un hymne, une ode à la vie, à la différence, ce qui est aussi la vocation du cinéma ». Un portrait dense et dramatique d'un garçon de 13 ans qui est en train de se radicaliser et de plonger dans la terreur. Le prix d'interprétation féminine consacre Emily Beecham pour son incarnation à la fois « différente, singulière et multiple » d'Alice, une phytogénéticienne chevronnée et sans scrupules. Sur le point d'inventer dans son laboratoire une fleur révolutionnaire, cette mère célibataire offre à son fils Joe un exemplaire de cette plante rouge vermillon baptisée « Little Joe » qui procure à son propriétaire du bonheur. Très vite, Alice s'aperçoit qu'elle a créé un monstre et que son fils est également en train de lui échapper. La Caméra d'or pour le meilleur premier long métrage a été décernée par Rithy Panh à Cesar Diaz pour Nuestras Madres (Nos mères) en soulignant « sa grande force, son humilité, sa dignité et sa foi dans le cinéma. C'est la promesse du cinéma de demain. » Le réalisateur guatémaltèque raconte l'histoire d'Ernesto, un jeune anthropologue travaillant à l'identification des personnes disparues pendant les 36 ans de guerre civile. Très touché, le réalisateur a dédié son prix « aux 250 000 victimes guatémaltèques ». Et puis, 21 ans après la Palme d'or de Theo Angelopoulos, la Grèce a obtenu une autre Palme d'or, cette fois dans la catégorie du court métrage, La distance entre le ciel et nous. La réaction éberluée de Vasilis Kekatos : « Ce n'est pas une blague ? Je peux vraiment ramener le prix en Grèce ? »