Le Sommet des deux rives qui vient de se tenir à Marseille est doublement remarquable. D'abord parce qu'il est l'aboutissement d'une consultation inédite de plusieurs mois des sociétés civiles des dix pays du Dialogue 5+5 de la Méditerranée. Ensuite parce que sa «Déclaration», essentiellement inspirée par les contributions des «civils», affiche une ambition plus grande encore que celle portée par la création de l'Union pour la Méditerranée, en 2008. À l'origine de tout cela : la vision d'Emmanuel Macron. Mais l'Union européenne, à commencer par Angela Merkel, validera-t-elle cette démarche ? On n'a guère eu l'occasion de le lire dans les comptes rendus de l'événement, mais c'est à Ouagadougou, qu'il faut chercher l'une des clés pour décrypter ce qui vient de se produire à Marseille. C'est en effet en novembre 2017, lors de son «discours de Ouaga», comme disent les initiés, que le Président français a décliné devant 800 étudiants rassemblés à l'université de la capitale du Burkina Faso, sa vision de l'avenir commun entre l'Europe et l'Afrique, la nécessité de refonder une coopération plus «partenariale» avec le Continent, et sa volonté d'arrimer l'Afrique à l'Europe au travers de la Méditerranée. Dans ce même discours, considéré «fondateur», il appelait aussi à «inventer une amitié pour agir» ainsi qu'un «changement de méthode. La Déclaration de Marseille porte ainsi témoignage de cette double exigence : pour la première fois sans doute, elle n'aura été ni inspirée ni rédigée par d'anonymes technocrates spéculant dans leurs bureaux climatisés, ni par d'obscurs experts autoproclamés. Non. Cette Déclaration – que nous publions ci-dessous in extenso – remonte du «terrain», elle est l'aboutissement de longs mois de consultations et d'échanges au sein des sociétés civiles des dix pays du Dialogue 5+5 : Portugal, Espagne, France, Italie et Malte au nord ; Mauritanie, Maroc, Algérie, Tunisie et Libye au sud. C'est de cette base qu'a émergé «L'Assemblée des Cent», soit le groupe des 10 représentants de chacun des 10 pays, et qui se sont retrouvés lors de cinq forums thématiques (voir la Déclaration) dont la synthèse a été réalisée au début de juin dans la capitale tunisienne – c'est d'ailleurs lors d'une visite à Tunis, au début de 2018, qu'Emmanuel Macron avait lancé cette idée d'implication active de la société civile. Le sceau de l'authenticité Alors oui, bien sûr… la Déclaration que vous pourrez lire ci-dessous a un petit air de liste à la Prévert, genre fourre-tout qui déplaît absolument aux esprits policés et autres experts autoproclamés ! Mais c'est justement ce foisonnement des préoccupations, des souhaits et des pistes d'action exprimés par la société civile qui en fait un document authentique, une sorte de cahier de doléances transformé en livre blanc à l'adresse des citoyens des Deux Rives, avec des pistes d'action pour qu'ensemble ils construisent l'avenir. Une Déclaration qui exprime et affirme aussi l'unité des valeurs par-delà la diversité des cultures de la Méditerranée. C'est ainsi une ambition immense, bien supérieure à celle de l'Union pour la Méditerranée (UpM)* qui s'est affichée à Marseille, et cela même si elle ne concerne que la Méditerranée occidentale, tandis que l'UpM, fondée en 2008 à l'initiative de la France, voulait embrasser tout le Mare Nostrum. Peut-être était-ce trop, trop tôt et trop en une seule fois ? En tout cas, les Européens n'y étaient guère prêts, à commencer par Angela Merkel (déjà chancelière d'Allemagne) qui avait étouffé le projet avant même sa naissance en lui déniant le moindre euro supplémentaire, consentant seulement au transfert des fonds européens précédemment alloués à la coopération avec les pays du sud. Aujourd'hui cependant, et malgré la montée des populismes, on peut espérer une attitude plus proactive de la part de plusieurs dirigeants européens, la crise migratoire ayant dessillé certains yeux sur les réalités méditerranéennes et africaines et leur impact puissant sur l'avenir de l'Europe. L'heure de vérité sonnera dans six mois, lors de ce sommet des chefs d'État et de gouvernement du pourtour méditerranéen qu'Emmanuel Macron a annoncé «pour aller plus loin». On verra bien alors si l'Union européenne validera la démarche et saura se donner les moyens de cette Déclaration de Marseille actée par les ministres des Affaires étrangères des seuls pays de l'Europe latine – mais sous l'œil scrutateur d'une représentation allemande, qui ne fait pourtant pas partie du Dialogue 5+5 ! – et leurs partenaires du sud méditerranéen. Lors de la séance de clôture du sommet des Deux Rives, le Président de la République française Emmanuel Macron, entouré des chefs de file de l'Assemblée des Cent représentant les sociétés civiles des pays du Dialogue 5+5, ainsi que des ministres des Affaires étrangères de ces mêmes pays. *UpM - Relevons que des experts de l'UpM ont participé à tous les fora thématiques préparatoires et que, dans la perspective du Sommet, le Secrétariat général de l'UpM a réuni à Barcelone, les 22-23 mai, plus de 140 représentants de la société civile, d'organisations de jeunesse et d'acteurs non étatiques de l'ensemble de la région euro-méditerranéenne afin de proposer conjointement des recommandations pour renforcer la coopération dans de nombreux domaines clés, tels l'environnement, l'eau, l'énergie, l'intégration économique, la formation, l'autonomisation des femmes et des jeunes. Relevons aussi que malgré des maladresses de communication flagrantes, l'UpM, essentiellement investie d'un mandat technique de facilitateur pour le partenariat euroméditerranéen, ne mérite certes pas le qualificatif d'institution inutile que certains commentateurs ignorants et extrémistes du tout ou rien se complaisent à lui attribuer.