«El Mersoul», est le nouvel opus du poète, auteur et interprète Rachid Rezagui qui, sur huit pistes harmoniques, vient nous faire une sorte de résumé de la vie. En effet, cet auteur vient pour cette fois intégrer des notes chaâbies dans un répertoire où il avait déjà sondé le corpus de la musique kabyle. L'album de huit titres donne le ton d'une série d'historiettes, d'hommages, de clin-d'œils dont Rachid Rezagui s'est fait le chantre à travers des textes qu'il a élaborés en sculptant des vers sertis sur des mélodies propres car, en effet, cet auteur prolifique produit du texte, des mélodies et ne dédaigne pas à mettre la main à la pâte en travaillant sur les harmonies. Il nous énonce tout cela dans ses propos en affirmant : « J'ai composé mes chansons à partir de mes propres textes tout en dessinant la mélodie que l'état d'esprit du moment m'inspirait ou me dictait. Après avoir fixé le refrain, la mélodie guide ma plume qui s'enfonce dans le passé pour décrire une passion amoureuse ou remuer la mémoire d'un patrimoine immatériel aux sonorités qui accrochent les tripes et des textes qui ont fait la grandeur du Melhoun. Souvent aussi c'est les larmes qui écrivent lorsque la plume trébuche dans une plaie qui est devenue la tombe d'une vie... Et, bien-sûr la société et ses maux ne laissent pas indifférent un poète qui vit au milieu de son peuple…». Dans cette optique créatrice, dans son premier titre, il s'en va alors sur les reliefs des mots chanter «El Mersoul » dans une sorte de rêve dans lequel il reçoit la délicate missive d'un messager qui vient pour lui rappeler au bon souvenir de grands artistes algériens disparus qui ont illustré de bien belle manière l'art algérien dans toute sa splendeur comme El-Hadj M'hamed El Anka, Hadj M'rizek, Cheikha Tetma, Fadila D'ziria, Redouane Bensari, Abdelkrim Dali, Cheikh El Hasnaoui, Matoub Lounes, Sadek Lebdjaoui, Abdelhamid Ababsa, Khelifi Ahmed, Ahmed Wahbi, Ali Maachi, Dahmane El Harrachi, Mohamed El Kourd, Abdellah Guettaf... et, enfin, le grand poète du melhoun Lakhdar Benkhelouf. L'évocation et les hommages manifestes sont appuyés sur cet album au point ou à chaque refrain, le chanteur revient sur un nom avec des évocations quelques peu itératives, qu'à cela ne tienne, le sens du rythme compense cette relative pesanteur. Pour ce qui est du 2ème titre « Hkayti maâ el houb », il raconte des pérégrinations passionnelles à travers des aventures amoureuses dotées de ce sentiment noble et plein de sensibilité que l'on découvre très jeune et qui fait souffrir tout en procurant paradoxalement le bonheur indicible qui fait perdre la tête et qui nous tend à devenir faible et sans gouvernail. Il nous dira ainsi : «Je me suis noyé dans la profondeur des yeux bleus. Les yeux noirs m'ont mené en bateau. J'ai souffert mais je ne regrette pas. Chaque souvenir est un joyau qui embellit l'histoire de ma vie. » En allant guetter l'inspiration partout où elle se trouve Rachid, l'aède des temps nouveaux, laisse ses mots partir en pèlerinage dans les sens, il se lance dans son 3ème titre « Qalou », dans une mascarade de mots dans laquelle les gens disent ce qu'ils ne font pas tout en parlant tout le temps sur la base de racontars. On entend alors ce qu'ils disent, mais ce qu'ils font est au fond tout le contraire de leurs nobles déclarations. Dans ce morceau, il joue dans une subtile alchimie avec les mots en leur donnant un rythme particulier. En continuant ainsi son chemin sur des notes très imprégnées de la musique kabyle, dans son 4ème titre «Meddah Ben Khlouf ». Le scribe d'« El Mersoul » continue ses hommages en dédiant un morceau en hommage aux artistes disparus trop tôt Abdellah Guettaf et Amar Ezzahi qui, chacun à sa manière, a marqué d'un sceau indélébile la musique algérienne. Le 5ème titre « Essmah » est assez éloquent malgré des indices musicaux très nostalgiques dans lesquels il se lance dans une sorte de « My way chaâbi » en précisant alors : « Je pardonne à l'amour mais je dénonce l'ingratitude qui détruit les liens du sang par la haine et la vengeance en construisant un cercueil à la vie. » Dans son 6ème titre «Ya Khouya », il revient -sur des accords et arrangements réalisés par Madjid Bellamine, très connu dans le milieu musical-, à des notes intimistes à travers l'illustration de son texte qui parle de la fraternité et l'héritage. Pour un partage de biens matériels où seuls comptent les calculs, aucun sentiment n'agit, il dénonce et il dit : « Mon frère tu es mon sang et si je t'aime ne m'en veux pas. Prends la terre et le bâti mais laisses-moi une place dans ton cœur !». Et puis c'est le père et les cinq prières qui vont juger entre les frères et, décider alors quoi faire. Le 7ème titre « Ya Soughri » est sans nul doute très édifiant et fortement inspiré, puisqu'il évoque la jeunesse et le sentiment par cette approche : «La jeunesse du corps donne de la force au sentiment et embellit toutes les aventures. Mais le cœur demeure à tout jamais le temple du sentiment, son producteur et son protecteur. Telle est l'œuvre du créateur. » Concernant le final de cet opus sensitif, le 8ème titre « Elli Yeddi wi Djib» est une valeureuse diatribe contre les hypocrites où qu'ils soient, dans une note péremptoire, il parle ainsi en résumé : « Les hypocrites tels des mites détruisent, par leur comportement, tous les liens d'amitié et de fraternité. Les colporteurs de messages à destruction massive portent en eux le mal. Mais tôt ou tard cela se retournera contre eux car un jour ils se retrouveront seuls et face à eux-mêmes…» Rachid Rezagui se lance dans une rythmique au phrasé qui relance notre écoute où se dresse alors à nos oreilles peu à peu l'estampille d'El Hasnaoui, quelquefois, enjouée, quelquefois mélancolique dans un mix de tristesse et de joie, le chanteur priorise les paroles à la parfaite maîtrise des trémolos, le résultat est assez original et Rezagui, dans son travail lyrique, s'en sort bien. Et l'on se retrouve alors à l'écoute d'un bon petit album bien sympathique qui sort de l'ordinaire chaâbi aux textes sempiternels. « El Mersoul » est un très bon cadeau de fin d'année à offrir, à s'échanger, juste pour le plaisir de l'évocation et de la méditation de quelques pans de notre vie… Rachid Rezagui, album Chaâbi, « El Mersoul », CD de 8 titres, paru aux éditions, Maâtka Music 2019.