Comme ses notes de mandole, l'album de Rachid Rezagui est une ode pour dire que tout n'est pas perdu, pour peu que l'on regarde autour de soi. Poète lors de ses moments recherchés dans l'union qu'il entretient avec Dame nature, notamment en été, lorsqu'il défie le soleil de son chapeau, lors de ses pérégrinations dans l'Alger de ses souvenirs, le poète s'en va puiser les mots à l'aide de son épuisette. Il ne craint pas non plus l'âpreté de l'hiver, où il pêche des mots aux côtés d'autres pêcheurs à la ligne au-dessus des rives El-Kettani (ex-Padovani) et des Deux-Chameaux à Bab El-Oued. Si tant et d'intense inspiration, qu'au bout de sa ligne, il y eut le poème qu'il a intitulé Dir el-khir ou khelli l'baqi lelghir (Fais du bien et laisse le reste aux autres), qu'il a immortalisé dans le CD qu'il a enregistré aux éditions Maatkas Music à Tizi Ouzou. Lui ? C'est Rachid Rezagui, le poète qui s'accompagne de sa mandole qu'il porte en bandoulière pour chanter des mots, mais aussi les maux qui rongent notre société, à l'exemple de la culture de l'oubli, d'où il a tiré le défunt cheikh Abdellah Guettaf à l'aide de son second titre El-M'nam. "Le rêve n'est qu'une main tendue pour extraire d'abord l'artiste du labyrinthe de l'oubli, à qui l'on doit l'exploit d'avoir enrichi le patrimoine du chant chaâbi, à l'aide d'une centaine de qasidate de melhoun, jusque-là ignoré du grand public et qu'il avait découvert et dépoussiéré de son vivant, des méandres de l'amnésie", a-t-on su de l'artiste lors d'une rencontre au Relais de la mémoire de chez l'ami Khaled Mahiout à la Casbah, où fut tourné ici et au palais Dar Mustapha-Pacha en 2016 le vidéoclip de Dir el-khir ou khelli l'baki lelghir qu'il est loisible d'apprécier sur Youtube. Reste qu'il est requis d'apprécier l'écran du roi soleil qui éclaire l'inégalable Casbah d'Alger, où l'artiste convie l'auditeur à être à l'écoute de l'autre. Sobre, Rachid Rezagui n'a d'autre argument que sa "q'fifa" (petit couffin) qui contient ses paroles et une poignée de dattes, qui est le signe de bienvenue à la fontaine de Bir Chebana et celle de Dar Mustapha-Pacha. Auteur de la rime, mais aussi de la composition musicale, Rachid Rezagui avait à cœur d'offrir ses textes mélodieux à d'autres interprètes ! Seulement, il y a eu l'heureuse courte échelle que lui avait fait le virtuose Madjid Belamine qui l'a poussé à l'intérieur de la cabine d'enregistrement. Et depuis, Rachid Rezagui s'est découvert le talent du chant ! Un rêve d'enfant qu'il n'a eu de cesse de nourrir. Autre titre, Ya zeghrata ellil touil (Ô toi qui pousse des youyous, sache que la nuit est longue) ! Décodé, t'as beau t'égosiller jusqu'à rendre gorge, tu te casseras la voix bien avant l'arrivée de l'aube. Donc, autant laisser le temps faire son œuvre. Outre le chapelet de "m'oûne" (sous-entendus) du terroir, l'artiste s'interdit d'être moraliste, mais défend nos valeurs qui s'effilochent, à l'exemple de Elli ma qader babah (l'irrespect au père), où le paternel, assez vieux jeu pour son rejeton, essaie de lui faire entendre raison. Mais qu'importe la morale face à la déperdition scolaire et au rêve d'un chimérique eldorado qui n'existe que dans l'imaginaire de nos "ados". Pas fataliste du tout, l'artiste s'en remet à Ya Allah el-ouahed pour qu'il se console de la perte d'un ami. À ce titre, la chanson El-fraq (séparation ou rupture) a tout d'un hymne à l'amitié et à la compassion pour les orphelines qui n'ont plus qu'une mère-veuve où s'accrocher. En clair, comme ses notes de mandole, l'album de Rachid Rezagui est une ode pour dire que tout n'est pas perdu, pour peu que l'on regarde autour de soi. Bonne écoute. Louhal Nourreddine