Ne fait pas de la politique qui veut ! Cela est bien plus vrai en Algérie tant l'exercice est encadré à l'intérieur par la puissance du «Hirak béni», et à l'extérieur, par une implosion libyenne déstabilisatrice. Ferraillant à distance contre les fractions néo-rentières, résidus du régime précédant mis à bas par le souffle du mouvement social, le Président Si Tebboune a réussi à s'imposer en chef incontesté de l'armée. En même temps qu'il prend possession de la pleine mesure de ses prérogatives présidentielles, le chef de l'Etat s'appuie sur l'impulsion qu'il donne à ses orientations réformatrices, dans les domaines de l'énergie, de l'agriculture, du numérique et de la santé en de nouveaux rapports de force construits à l'international, en prolongement du moindre progrès qu'il réalise en interne. La confrontation franco-turque qui s'exerce en Libye, les contradictions turco-russes, franco-italiennes, turco-égyptiennes sont instrumentalisées au profit de la vision diplomatique du chef de l'Etat, jusqu'à susciter l'intérêt russe, américain, chinois, turc et... français en autant de volontés de coopérations bilatérales et... de réajustements au sein de notre appareil d'Etat. Cette capacité à exploiter le moindre abcès de fixation est érigée en levier pour mettre en œuvre des restructurations socio-économiques essentielles. La sincérité pédagogique avec le peuple, la ruse féconde avec les puissants, la force du droit contre les rentiers, sont les modalités de mise en œuvre du programme présidentiel, en attente de l'élaboration patiente d'un rapport de force politique, pour susciter un véritable Manifeste de l'unité nationale contre les puissances de l'argent, comme au sortir de la Seconde Guerre mondiale s'est exprimé celui des amis de la Liberté animé par la figure attachante du Dr. Ferhat Abbas, en faveur de l'indépendance. Revenons sur le seul élément saillant de l'interview du président de la République Si Abdelmadjid Tebboune publiée le 13 Juillet, au quotidien français l'Opinion et repris en titre de l'article : «Nous ne nous laisserons plus caporaliser par quiconque». Ce qui ne fut relevé par personne en Algérie, tellement les relations avec la France aliènent les positions des uns et des autres, gouvernement comme opposition, dans un jeu encore omnibulé par les Entrechats bouteflikiens, se défilant sur les questions mémorielles en ambiguïtés coupables et dont le microcosme algérois ne sait guère complètement se défaire. Alors que l'armée tricolore s'apprêtait à ne pas défiler, l'interview du Président algérien la veille de la fête nationale française, passait en revue du jugement de l'histoire, les généraux de l'infamie, les Saint-Arnaud, Cavaignac et Pélissier sans que cela ne soulève une montagne de tollés de la droite à l'extrême gauche française. Cela n'est possible que pour deux raisons essentielles et qui vont désormais commander notre attitude à l'international mais aussi en Algérie. La Turquie et l'OTAN viennent de défaire la France en Libye d'une part et d'autre part le mouvement social a consacré de facto Si Abdelmadjid Tebboune en seul interlocuteur possible pour ses partenaires étrangers. Plus aucun uniforme sécuritaire mal taillé n'endossera l'interface souveraine dans nos relations extérieures. Le résultat ne s'est pas fait attendre. Le retour des ossements mortuaires de nos chefs d'antan est certes dû à l'action patiente des élites patriotiques, mais il fut favorisé par le basculement de la Méditerranée, en direction du détroit des Dardanelles plus que vers celui de Gibraltar. La France, sentant le Maghreb lui glisser entre les doigts, tente de s'agripper à bouts de bras à la puissance du mouvement social en Algérie, en apaisements du discours colonial mais pas en renoncements néocoloniaux. Il est d'ailleurs instructif d'entendre dans les milieux francophiles rentiers la notion d'une Libye dessinant des frontières turques avec l'Algérie alors que nous ne les avons jamais vu parler de frontières françaises au Nord, à l'Est, à l'Ouest et au Sud du pays ! C'est donc au crépuscule de l'influence française sans partage, au moment même où l'encerclement du pays a une chance d'être brisé, que le Chef de l'Etat a trouvé dans le «Hirak béni», les ressources politiques nécessaires pour sortir du piège rentier dans lequel les puissances réactionnaires internationalisées nous ont emprisonnées. C'est grâce au rapport de force social, encore parfaitement vivant en dépit du Covid-19, que le peuple en mouvement a su imposer à l'Etat une logique anti-rentière irrépressible. Elle ne laisse d'autres choix à ceux qui ont fait de l'économie – l'énergie, l'agro-alimentaire, les banques, le commerce extérieur, les douanes, le transport maritime, les industries, les mines, la santé – une immense Sarl au service de leurs intérêts étroits que d'acquiescer temporairement à des compromis de circonstance. Le flambeau de Janus Ce desserrement de l'étau français et de leurs affidés vient d'être salué par la revue El Djeich où il est affirmé que «la bataille que notre pays mène aujourd'hui à tous les niveaux n'est pas moins importante que celle menée par notre peuple pour s'affranchir du joug colonial, qui lui a permis d'arracher sa liberté et au pays de recouvrer sa souveraineté nationale». Le point nodal de la situation qui caractérise l'Algérie depuis 40 ans, est la mainmise de la France sur les plans économiques, sociétaux et culturels. Si à la chute de Vichy, Alger fut la capitale de la France, à la mort du grand Houari Boumediene, Paris devint celle de l'Algérie jusqu'à claironner un hymne national made in bleu, blanc, rouge. Rien ne pouvait se faire sans l'assentiment de Paris jusqu'aux géants chinois du BTP allant chercher des cautions françaises, comme Pierre Joseph Falcone, Pied-noir et président de Pierson Capital, pour s'assurer de marchés juteux, dans tous les domaines, y compris ceux touchant à notre souveraineté. Gageons que nous saurons être vigilant cette fois, pour les mégaprojets en gestation, car les mêmes font en ce moment le siège de la muraille de Chine pour faire sauter ce qui reste de nos trésors dans la lignée du sac d'Alger en 1830. Paris sur Club des Pins et Alger sur Seine ont réuni les deux rives de la Méditerranée en un long ruban de pétrodollars jusqu'à la nausée populaire exprimée le 22 février 2019. Face au déferlement de l'histoire, le grand mérite de feu Chef d'Etat-major Gaïd Salah et dont certains courants rentiers revanchards tentent de faire le procès aujourd'hui, en réfutations des véritables réquisitoires qui furent dressés non sans raisons politiques contre leurs chefs emprisonnés, est d'avoir su miraculeusement trouver des voies de sauvegarde dans l'expression pacifique de l'affirmation étatique. Il fut en ce sens un véritable Janus, ce dieu romain à deux visages, l'un tourné vers le passé et le second regardant vers l'avenir, initiant le passage d'un monde vers un autre, celui esquissé par un nouveau président de la République de la finesse intellectuelle, tellement caractéristique de nos populations sahariennes. Son programme anti-rentier désormais nettement affirmé n'a pas encore révélé tout son potentiel de rénovation sociale. L'arme secrète de Si Abdelmadjid Tebboune, dont peu se rendent compte de la puissance féconde, est de préparer à pas soigneusement comptés, une plate-forme politique d'un genre nouveau. De rares analystes en comprennent le sens profond. Pour cela il faut revenir à la situation qui a caractérisé le mouvement national au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Je veux parler des Amis du Manifeste et de la Liberté, initié par Ferhat Abbas et soutenu par l'immense Messali Hadj. A l'époque l'Europe est en ruine, des déplacements de populations sont organisés pour mieux faire coïncider frontières politiques et identités nationales. La forte participation de nos soldats à la défaite du nazisme, change la conscience sociale populaire et la pousse à brandir la revendication des peuples à disposer d'eux-mêmes. Le «Hirak béni» joue également le rôle de catharsis n'acceptant plus les pratiques maffieuses ayant ruiné le pays. Analogie historique des contextes politiques Comme en 1945, l'Algérie d'aujourd'hui s'ouvre à de nouvelles influences turques et chinoises alors qu'hier l'opération Torch – celle du débarquement des troupes américaines à Alger – lui faisait découvrir l'Amérique en idée nouvelle d'un monde ne se réduisant pas à la France et à ses colonies. De même l'accumulation des 60 millions de morts durant la Seconde Guerre mondiale soit environ 2% de la population mondiale rappelle celle de l'aire arabo-musulmane ou si on consolide les victimes de la «décennie noire» en Algérie, les guerres contre l'Irak, celles menées sans pitié contre la Syrie, le Yémen, le Liban, le Soudan, la Palestine, nous dépassons les 2 millions de morts, soit le même taux de 2%. Mais les similitudes ne s'arrêtent pas là. Si le Plan Marshall a relancé en 1947 une Europe en ruines pour y établir l'influence durable de l'Amérique, les immenses réserves monétaires de la Chine ne peuvent plus se cantonner à thésauriser des bons du trésor américain et appellent à l'unification d'un marché arabe pour la réalisation des ambitions pékinoises. Il ait une nécessité impérative pour la Chine d'investir des centaines de milliards de dollars dans ses routes de la soie en remodelage d'un monde en synergie de l'Empire du Milieu. Ces «trade-yens», contrairement aux «pétrodollars» ne connaissent pas les banques suisses tant ils sont intéressés par l'accélération de la circulation monétaire plutôt que par l'épargne improductive. Aussi, face à ces glissements de plaques tectoniques, comme il y a 70 ans l'éruption d'un nouveau monde, se dessine non pas comme hier, l'idée d'indépendance nationale mais celle de la conviction d'élévation économique, sociale et bientôt culturelle et politique, en dehors des soumissions rentières. Le déplacement du barycentre du monde vers son lieu de la densité démographique asiatique, qu'internet et la massification des transports aériens rendent si proches, nous entraîne vers de nouvelles dynamiques. Dans ce contexte de renouveau mondial, il n'est guère étonnant que des partis politiques, à l'enracinement démocratique comme le FFS, se mettent enfin en ordre de marche en maturation de propositions constructives, plus que de dénégations suicidaires à la traine de chimères identitaires villageoises, c'est-à-dire francophiles, expressions d'un moment d'affaiblissement national. Par ailleurs, les changements de direction au sein du FLN et du RND sont peut-être le début de leur ressourcement fécond, alors que nous sommes toujours à scruter les transformations qui ne manqueront pas de se faire jour dans le sillage de la mouvance islamiste, en leçons rigoureuses que le mouvement social a donné à l'ensemble des forces politiques, jusqu'à la formation d'un gouvernement aux sensibilités diverses mais regroupées sous la bannière d'un Président, refusant avec constance l'étiquetage partisan. Les élections législatives et municipales futures, verront grâce à la transparence des opérations électorales, la puissance juvénile bousculer les formations politiques en déni de réalité et mises en demeure d'intégrer le flot tumultueux des évolutions inéluctables, à moins de disparaître définitivement de la scène nationale. Ces cinétiques en accélérations continues, sous l'effet de forces commerciales mondialisées à l'œuvre, n'en sont pas moins contrées par les puissances de la rente impériale de type néocoloniale de l'ancien monde euro-américain, faisant du pétrole le lieu de sa domination, là où le continent asiatique se voit en bâtisseur centralisateur d'infrastructures reliant les hommes, comme le fut hier l'immense Empire de Gengis Khan. Aussi, tous les partis qui ont en partage une ambition de progrès, n'ont d'autres choix que de se déclarer en mouvement, au sens large du terme, dans l'indépendance de leurs organisations, sensibilités et opinions variées, pour faire face aux seuls ennemis de la Nation, les puissances du défaitisme rentier suicidaire. Nous réinventeront alors sans nul doute – ce qui faisait le génie de nos aînés des Amis du Manifeste et de la Liberté – une déclaration politique consensuelle pour l'Algérie Nouvelle de l'unité nationale contre les forces de l'argent qui cherchent à sortir le mouvement national de son histoire en le mettant à genoux, car derrière le slogan douteux de «FLN au musée», il y a l'arrière-pensée d'enterrer toute volonté patriotique.