Alors que l'Europe toute entière a cédé aux courants populistes, en mettant en avant des politiques anti-immigrationistes aux relents racistes, particulièrement dans les pays qui ont connu une cristallisation nationale au XIXème siècle de type ethnico-religieuse contre l'Empire Ottoman (Croatie, Bulgarie, Serbie, Hongrie, Slovaquie etc..), l'Allemagne semble poursuivre une voie de recouvrement nationale originale, de nature civile et non pas militaire en deux étapes historiques de grande importance. La première fut celle de la géographique physique, de la réunification allemande, ouverte par l'effondrement du Mur de Berlin, accompagnée par les Etats-Unis qui y voyaient une opportunité stratégique de défaire le pacte de Varsovie. La seconde est l'intrusion de la géographie humaine qui s'est réalisée lors de la destruction de la Syrie par les forces coalisées américano-israélo-saoudiennes par l'accueil sans précédent par l'Allemagne d'un million de refugies syriens (peut-être plus ?) aux fins de répondre aux défis et aux implications de tous ordres de la baisse de la natalité de ses populations aussi bien à l'Ouest qu'à l'Est de l'ancien rideau de fer. Ces deux évènements, ces deux conceptions de la géographie renvoient bien évidemment à un vieux débat dans la société allemande relatif à l'espace géographique entre les partisans de la Landschaft (régions/paysages) ou de la Landerkunde (géographie régionale physique) contre ceux qui prônent une géographie de l'homme plus que du territoire. Ces discussions sont révélatrices de l'Allemagne du XXIème siècle, soumise à un double mouvements qu'elle craint, constitué d'une part de la distanciation de plus en plus assumée d'une Europe occidentale (porteuse de logiques sociétales) contre sa dimension continentale (perçue comme favorisant les tendances étatistes ; ce qui amène la France depuis la chute du Mur de Berlin en novembre 1989 à changer de pied et à adopter une attitude hyper atlantiste dans son obsession de rééquilibrage d'un barycentre européen penchant du côté allemand) et d'autre part de sa volonté de chercher en Europe centrale et de l'Est mais aussi dans le Monde Arabe des alliances qui ne soient pas complètement inféodées aux Etats-Unis. Les bases américaines et l'influence US en Allemagne pèsent de plus en plus insupportablement jusqu'à devenir un obstacle au redéploiement économique que Berlin souhaite mondial, redécouvrant peu à peu une autre notion géographique très sensible en Allemagne la Geopolitik. A ces deux évolutions qualitatives essentielles décrites ci-dessus viennent donc s'ajouter une conception de la géopolitique marquée par une forte culture anti-interventionniste sur le plan militaire (rejoignant ainsi la doctrine algérienne en la matière), inscrite dans le marbre constitutionnel, dérivée de l'expérience historique antinazie récente ainsi qu'un puissant courant écologique, fasciné par le Sahara algérien, qui tient quasiment du fait ethnologique en raison du rapport, très ancien, qu'entretient la conscience allemande, avec la nature, les forêts et leurs esprits germaniques d'antan. Enfin on ne peut s'empêcher de noter, pour l'Allemagne, deux caractéristiques singulières en Europe: 1- le rapport de ce pays à sa Nation, basée sur la langue - est perçu comme allemand celui qui parle allemand - et non pas uniquement sur la religion, la parenté ou le territoire dont on voit bien les approches critiques dans la conscience post traumatique d'après seconde guerre mondiale. Ce n'est pas sans rappeler la perception de la nationalité dans son rapport à la langue dans les populations du Monde Arabe, ce qui explique en partie la capacité de l'Allemagne à intégrer de nouveaux arrivants fussent-ils musulmans, 2- le rapport des philosophes allemands à l'Islam (Hegel, Goethe) qui y voient liberté et progrès pour l'humanité entière, là ou pour Voltaire et nombre de penseurs du « siècle des lumières » (Montesquieu) l'Islam n'est que forfaiture et fanatisme. De tout ce qui précède, il nous parait que la convergence entre l'Algérie et l'Allemagne tient moins « à une histoire commune » qu' à « une convergence d'intérêts historiques », s'appuyant sur des formations anthropologiques parallèles, une sorte de weg der menschlichen Kultur (chemin de la culture humaine), variante mondialisée du Sonderweg (voie particulière) à l'Allemagne dans la place singulière qui était la sienne dans la maison Européenne mais qui marquera aussi le retour de Berlin à son rang parmi les Nations. C'est cette capacité de questionnement identitaire permanente, ouverte et transparente pour les autres peuples, de l'âme allemande, au contraire de l'affirmation révolutionnaire historique de l'être français figé dans ses certitudes universalistes de 1789, qui permet de bâtir des futurs dans des respects mutuellement exprimés. A la redécouverte des cartes géographiques Trois faits géopolitiques et un surgissement majeur en méditerranée arabe, le « Hirak », militent pour un rapprochement historique entre l'Allemagne et l'Algérie. D'abord, l'Allemagne reconsidère profondément sa relation avec les Etats-Unis dans la mesure où, depuis l'administration Obama, la relation stratégique avec Berlin a perdu de son importance en raison du basculement de la puissance américaine vers ses préoccupations antichinoises. L'avancée de l'Otan vers les frontières orientales russes ne font plus de l'Allemagne un poste avancé contre le communisme d'hier mais simplement une base arrière d'opérations et un territoire à bombarder dans la profondeur contre « l'hégémonisme agressif russe d'aujourd'hui » alors que les pays baltes, la Pologne voire l'Ukraine sont l'objet de toutes les attentions américaines pour harceler Moscou. Ensuite la sortie de la Grande-Bretagne de l'Europe piège les relations de Berlin avec Paris que les allemands ne souhaitent pas exclusifs et les prive d'un appui décisif dans les équilibres entre l'Europe du Nord et du Sud, entre grands et petits pays européens. Ce désaxement européen fera des… russes des partenaires de plus en plus nécessaires à Berlin rapprochant encore les synergies avec…Alger. Enfin l'arrivée au pouvoir d'Erdogan en Turquie et ses dérives autoritaires mettent à mal une relation historique avec l'Islam et Ankara. La compétition de plus en plus affirmée sur les plans industriels, agricoles et commerciaux avec le reste des puissances qui compte sur la planète (Etats-Unis, Chine, Japon) amène à un isolement progressif de l'Allemagne sur la scène internationale du fait de l'affirmation discrète mais réelle de ses immenses potentiels économiques bridés par son statut de mineure politique héritée de la défaite de la seconde guerre mondiale. Pour ce qui concerne l'Algérie, ses immensités énergétiques fossiles ainsi que ses gisements solaires infinis, ses aquifères albiens colossaux et ses richesses minérales impressionnantes en font un partenaire de choix pour l'expertise environnementale, l'industrie et le commerce allemand. Le « Hirak » est venu à point nommé approfondir le processus démocratique dans notre pays et les allemands constatent avec une certaine surprise positive que le complexe militaire de Constantine, produisant des véhicules militaires de l'avant blindé de Rhein Metall, ne sont pas utilisés dans la répression du mouvement social qui continue à affirmer ses options chaque vendredi dans un processus d'approfondissement et de démocratisation de nos institutions. La situation de relatif isolement de l'Allemagne en Europe en raison de la domination sans partage qu'elle y fait régner y compris sur la France, sa politique engagée - dont elle a seule les moyens en Europe - en méditerranée orientale en faveur des refugies syriens pour contrôler le flux de l'immigration, ses préoccupations de lutte déterminée contre le terrorisme et par-dessus-tout sa confrontation économique mais sérieuse avec les Etats-Unis offrent une fenêtre d'opportunité politique véritablement historique à une Algérie à la recherche d'élargissements de ses sphères productives en dehors des rentes pétrolières maintenant que ses élites dirigeantes sont aiguillonnées par un mouvement social exigeant et durable en matière d'intégration nationale. Deux autres facteurs sont d'un grand intérêt pour l'Allemagne rencontrant en cela les préoccupations diplomatiques algériennes de moyen et long terme: 1-L'Allemagne souhaite devenir un membre permanent des Nations-Unis ayant droit de veto, là où l'Algérie milite pour que l'Afrique siège également dans les mêmes conditions à l'organisation des Nations. Une coopération approfondie entre les deux pays faciliterait de toute évidence la revendication allemande auprès des 53 pays africains membres de l'ONU qui compteraient en retour sur le soutien d'un poids lourd de l'économie mondiale pour ses propres revendications. 2-Berlin est à la recherche d'un partenaire militaire capable de l'accompagner dans ses extensions non seulement méditerranéennes et arabes mais également africaines, l'OUA pouvant à terme offrir un cadre de défense alternatif aux condominiums franco-britanniques dont l'Allemagne craint les dérives néocoloniales qui sont désormais insupportables aux yeux d'une opinion panafricaine émergente. Quelles coopérations stratégiques suivant quelles méthodologies de réalisation ? L'Algérie a signé des accords cadre de coopérations et partenariats stratégiques avec la Russie, la Chine mais pas encore avec l'Allemagne. Pourtant tout concoure, en raison des arguments que nous avons avancés, à une telle évolution juridique des relations entre les deux pays dont on n'a pas fini de découvrir les synergies fécondes. Il nous semble que six secteurs doivent faire l'objet d'attentions particulières : 1-Les industries mécaniques 2-Les industries pétrochimiques 3-Les industries des énergies renouvelables, 4-Les dynamiques agricoles, 5-La lutte contre la désertification, 6-Les échanges culturels. Cependant il ne s'agit pas pour nous de proposer un catalogue de domaines d'interventions à l'industrie ou au commerce allemand dans une vision dépassée de ce qui devrait être la coopération entre les Peuples. Nous devrions plutôt présenter à nos partenaires allemands, la vision de projets structurants pour notre Nation, pensée par nous-mêmes et pour nous-mêmes, d'abord de l'ordre des actions de reformes des cadres étatiques en particulier démocratiques, fiscaux et de transition énergétique anti-rentiers avant même d'entamer des actions communes opérationnelles d'ordre économiques ou culturelles. C'est d'abord la que doit s'exercer le dialogue algéro-allemand, aux fins de nouer la confiance nécessaire, c'est-à-dire durable, qui s'établira dans des réformes philosophiques, d'inspirations anti-rentières et environnementales d'où découleront l'ensemble des synergies algéro-allemandes structurantes et modernisatrices. Les fondations allemandes, actives depuis la seconde guerre mondiale en Allemagne, nous semble être le cadre premier d'un tel dialogue qualitatif de société civile à société civile, en dehors des relations contraignantes des Etats ; ces fondations étant également de puissants relais auprès des décideurs d'outre-Rhin pour mieux indiquer les préoccupations courantes des parties. Dans un second temps, une fois les reformes démocratiques, anti-rentières et de modernisation fiscales en cours d'inscription par la force de la loi dans le paysage institutionnel, ce qui de toute évidence suivra la phase de contestation salvatrice du « Hirak », il s'agira toutes affaires cessantes de permettre l'articulation de stratégies de coopérations avec des projets véritablement structurants, répondant à des logiques de filières ou à cheval sur plusieurs d'entre elles, initiant les dynamiques réformatrices souhaitées anti-rentières et intégrées qui prennent en charge l'ensemble des accompagnements nécessaires à la mise sur pieds de telles ambitions. Ainsi il s'agira de mettre en œuvre les mécanismes de la coopération dans les domaines de la formation, de la recherche et de dégager les institutions qui présideront à l'élaboration de telles perspectives. Cela est indispensable car c'est l'une des leçons à tirer de la coopération allemande des années soixante-dix dans le secteur de la mécanique et de la Chimie qui a certes, produit un embryon industriel mais sans élites technocratiques et surtout technologiques digne de ce terme. Aussi, le point d'orgue d'une telle démarche mettant l'homme et sa formation au centre des préoccupations de tous, si elle venait à être adoptée, serait celui de la constitution, en partenariat, d'une société d'ingénierie, de Recherche et de Développement au capital privé-publique, aux talents multiples et variés, regroupés sous le seul toit de l'intelligence, de la veille scientifique, de l'excellence technologique et de l'accompagnement technique, s'appuyant sur les capacités avérées aussi bien nationale qu'allemandes dans l'ingénierie de l'intégration et de la recherche et du développement de toutes les activités proposées à l'investigation des projets de coopération, pour constituer la matrice capable d'accompagner toutes les étapes de définition, d'élaboration et de réalisation des projets structurants que la partie algérienne aura au préalable défini, selon ses besoins. Une telle démarche avec un tel organisme bilatéral aura pour extraordinaire avantage d'identifier, d'encourager et d'accompagner tous les opérateurs - y compris dans les domaines financiers -concernés par des contrats de réalisation ou de production de biens et services précisément circonscrits et d'impulser une spirale vertueuse d'intégrations technologiques, préalable aux intégrations économiques durables de tous ordres, y compris dans leurs dimensions internationales, au bénéfice d'un partenariat de coopération qualitatif au long cours.