Il semble de plus en plus clair que les pouvoirs publics en Algérie sont déterminés à s'attaquer de front à un mal qui ronge en profondeur notre pays et ce, depuis que le Président Abdelmadjid Tebboune fraîchement élu en décembre 2019 a introduit solennellement dans le lexique officiel de l'Etat la notion de «Zones d'ombre» en pointant d'un doigt réprobateur les déséquilibres criants en matière de développement des territoires, surtout ruraux et parfois même subruraux. C'est ce qu'a rappelé dans une déclaration choc, empreinte d'émotion, le Conseiller auprès de la Présidence de la République chargé des zones d'ombre M. Brahim Merad, sorte de ministre plénipotentiaire hors cadre auquel a été confié par qui de droit le dossier épineux de l'équilibre territorial dans l'Algérie de 2021. «Il n'est pas normal que dans un même pays, un écolier suive ses cours sur un écran et une tablette alors qu'un autre doit traverser un chemin boueux pour arriver à son école. L'impératif est de réunir les conditions d'une vie décente à tous les enfants du pays». La tâche n'est pas aisée et le chantier est titanesque tant les retards accumulés en matière de disparités dans le développement sont énormes. Et c'est l'esprit de wali, puisqu'il l'a été à maintes reprises durant sa carrière de commis de l'Etat, qui a prévalu dans sa démarche empreinte du sens du terrain, du pragmatisme dans la recherche des solutions et d'une modulation conséquente des ressources pour agir vite et bien, raclant tous les fonds de tiroir locaux et mobilisant des appels de fonds exceptionnels pour cette cause sociale au niveau central. Cela lui a permis, en une année de travail soutenu, de recenser «32.700 projets arrêtés au profit de 15.044 zones d'ombre au niveau national, soit une population de huit (8) millions d'habitants. «Sur une population de 45 millions d'habitants, selon les estimations de l'ONS au premier janvier dernier, ce chiffre est énorme puisqu'il touche 15 % de la population ! Et c'est d'autant plus inacceptable, au vu des ressources massives injectées par l'Etat pour le développement des infrastructures de base et de l'aménagement du territoire depuis quatre décennies. Que s'est-il donc passé pour en arriver là ? C'est tout simplement l'abandon des principes de l'équilibre régional et du développement des terroirs ruraux au profit d'une politique centrée autour de «projets structurants» qui peut expliquer en grande partie ce fiasco du développement local où souvent la pauvreté des populations ne relève pas de l'alimentaire mais beaucoup plus de l'accès normal aux moyens de la modernité qui existent en milieu urbain. Cette disparité dans la fourniture équilibrée des moyens d'une vie décente fait que souvent les revenus agricoles conséquents de ces populations ne leur permettent pas de se sentir «riches», et ils le sont assez souvent intramuros, mais pauvres en tant que demandeurs de modernité, celle qui rime avec eau, électricité, gaz naturel domestique, débit internet et, avant tout, celle rimant avec route goudronnée qui peut leur faire oublier à jamais la gadoue à laquelle sont livrés leurs enfants pour accéder à l'Ecole de la République, comme le font chaque matin en ricanant et en achetant, chemin faisant, la «loumja» du jour pour les écoliers des grandes villes. Rien ne sert aujourd'hui de politiser le problème en parlant de régionalisme ou de mépris de la «Bedia» (mépris de la ruralité en français) développé par l'ancien régime, même s'il y a beaucoup de vrai dans cette sentence rédactionnelle. Mais l'essentiel aujourd'hui est de revenir au bons sens et à une distribution plus équilibrée du revenu national, pour effacer tout sentiment d'injustice auprès de l'Algérien quelle que soit la région dans laquelle il habite. Le droit au développement est un et indivisible comme l'algérianité qu'il nourrit et qu'il renforce. C'est la meilleure façon économiquement et moralement parlant d'éradiquer les «zones d'ombre» et la forme de pauvreté pernicieuse qu'elles cachent. C'est dans ce sens où il faut aller en élargissant la création de richesses à ces zones d'ombre pour leur permettre de se développer et de se prendre en charge de manière autonome. La transition énergétique en «marche» peut les aider en leur rendant leur soleil abandon et le bénéfice énorme qu'ils peuvent en tirer sur tous les plans. Ne dit-on pas que l'ombre a peur du soleil ? M. Brahim Merad l'a certainement saisi par ses tribulations à travers l'Algérie profonde. Profonde par ses valeurs et ses immenses attentes aussi !