Le développement des énergies renouvelables, la production d'hydrogène, notamment vert, la filière du nucléaire civil, côtoient le pétrole et le gaz, dans le discours sur l'énergie en Algérie. Dans les faits, les énergies fossiles ont toujours l'avantage, alors que les énergies renouvelables et nouvelles, et la transition énergétique vers un nouveau modèle national de production et de consommation d'énergie, en fonction des ressources énergétiques et minières nationales, n'arrivent pas à vraiment décoller. En lançant, en mars dernier, à travers sa filiale Sonelgaz-Energies Renouvelables, un appel d'offres national et international pour la réalisation du «premier projet énergies renouvelables (EnR), de grande envergure», selon les termes de son communiqué, le Groupe Sonelgaz a annoncé «une nouvelle ère énergétique durable» pour l'Algérie. Si tout se passe bien, on devrait en savoir un peu plus, avec la remise des offres et l'ouverture des plis, initialement prévue fin mai et qui a été reportée à la fin de ce mois de juin. Il s'agit, rappelons-le, de la réalisation de 15 centrales solaires photovoltaïques, réparties sur 11 wilayas du Sud et des Hauts-Plateaux, pour une puissance totale de 2000 mégawatts (MW). C'est «un début de concrétisation d'un programme adapté de développement des énergies renouvelables d'une capacité totale de 15.000 MW à l'horizon 2035», précise le communiqué. D'après la même source, cela fait partie de la transition énergétique qui consiste à «s'affranchir de manière progressive de la dépendance vis-à-vis des ressources conventionnelles, de préserver les ressources fossiles et leur valorisation, de changer de modèle énergétique de production et de consommation et d'assurer le développement durable et la protection de l'environnement», a fait savoir le communiqué. La transition énergétique demeure ainsi un objectif majeur, malgré la suppression, en septembre 2022, du ministère de la Transition énergétique et des Energies renouvelables (MTEER) qui avait été créé moins de 18 mois auparavant, juste le temps d'élaborer sa feuille de route. Depuis, la composition du Gouvernement ne comporte pas de référence explicite à la transition énergétique alors que les énergies renouvelables ont été déplacées vers le ministère de l'Environnement qui a repris une appellation – ministère de l'Environnement et des Energies renouvelables (MEER) – apparue pour la première fois en mai 2017, jusqu'à juin 2020. Les structures, la «bouteille à l'encre» La division du travail qui se dessine confirme le ministère de l'Energie et des Mines comme chef de file de la transition énergétique (mix énergétique, réalisation de centrales d'énergies renouvelables, production d'hydrogène, «notamment vert, filière nucléaire), et le MEER dans les installations d'énergies renouvelables hors-réseau (moins de 50 MW, en capacité installée, en décembre 2021). Le Gouvernement a affiché son intention d'encourager la production des énergies renouvelables pour l'autoconsommation. Mais, au préalable, il faut lever les contraintes réglementaires qui entravent cette démarche, prendre des mesures incitatives et procéder à l'homologation des kits solaires individuels. Il y a une dizaine d'années, le CDER (Centre de développement des énergies renouvelables) avait suggéré d'encourager les secteurs résidentiel (ménages) et tertiaire (administrations, universités, hôpitaux…) à installer des équipements solaires sur les toits. Les experts du CDER ont calculé qu'il était possible de lancer un programme de 1 million de toits solaires, financé par les banques, dans le cadre du crédit à la consommation. Ils situaient le taux d'intégration nationale dans la fabrication des équipements (batteries, modules photovoltaïque…) entre 70 et 80 %. Quant aux crédits bancaires, ils proposaient qu'ils soient sans intérêts pour encourager les ménages à s'engager dans ce projet. Ils appelaient à multiplier les PME dans ce créneau et à faire du citoyen qui en a la possibilité, un producteur d'électricité. Aujourd'hui, les observateurs s'interrogent sur le sort de SHAEMS, (Société algérienne des Energies Renouvelables), créée en avril 2021 par les Groupes Sonatrach (50%) et Sonelgaz (50%), à l'initiative du MTEER en concertation avec le ministère de l'Energie et des Mines. Elle n'est plus visible. Sa mission concernant le développement du programme national des énergies renouvelables pour la production d'électricité, a-t-elle été confiée à Sonelgaz-Energies renouvelables, filiale créée dans ce but par Sonelgaz ? Le projet «SOLAR 1000», lié à SHAEMS, soulève, également, des questions. Inscrit dans le cadre du programme national de 15.000 MW de sources renouvelables en 2035, ce projet consistait en la constitution de Sociétés de Projet- dont le capital serait détenu à 66 % par l'investisseur et les 34 % répartis entre les groupes Sonatrach et Sonelgaz- chargées de réaliser un ensemble de centrales électriques photovoltaïques d'une puissance totale de 1.000 MW réparties sur cinq wilayas (Béchar, Ouargla, El Oued, Touggourt et Laghouat) – en lots de 50 à 300 MW chacune, ce qui devait entraîner la création de plus de 5.000 emplois directs. Les experts en charge de «SOLAR 1000», avait-on appris, de source officielle, ont beaucoup travaillé sur les aspects technologiques et techniques afin d'assurer une rentabilité notamment en matière de choix des composants (cellules de photovoltaïques, les onduleurs et autres éléments). Des appels d'offres ont été lancés en décembre 2021. Plus de 80 industriels nationaux et étrangers avaient retiré le cahier des charges, selon la même source. Un taux d'intégration allant de 40 à 50 % était exigé. Le délai de remise des offres fixé au 30 avril 2022 avait été prolongé de 45 jours, puis prorogé encore à la mi-juin 2022, et ensuite plus rien, alors que le MTEER prévoyait de lancer d'autres appels d'offres pour des projets plus importants. Les 1.000 MW de «SOLAR 1000» ont été, de toute évidence, intégrés dans les 2.000 MW de l'appel d'offres lancé par Sonelgaz-Energies Renouvelables. Pour rappel, le programme initial, adopté en février 2011 par le Gouvernement, avait été rectifié en mai 2015, puis réajusté en 2020, l'objectif étant ramené à 15.000 MW (au lieu de 22 000 MW) et l'échéance éloignée à 2035 (au lieu de 2030). Ce changement est intervenu, à l'époque, à cause de l'abandon de la perspective d'exportation de l'électricité solaire vers l'Europe, en l'absence de volonté des partenaires européens d'investir dans les infrastructures pour construire les interconnexions indispensables reliant les réseaux. Une autre ancienne filiale de Sonelgaz, Shariket Kahraba wa Taket Moutadjadida (SKTM, Société électricité et énergies renouvelables) qui avait été créée en 2013 pour la production d'électricité conventionnelle pour réseaux isolés du Sud et des énergies renouvelables pour tout le territoire national, a discrètement quitté la scène énergétique. Pour la petite histoire, SKTM avait pris le relais de NEAL (New Energy Algeria) créée, en juillet 2002, par Sonatrach (45%), Sonelgaz (45%) et le Groupe SIM (10%). La nouvelle loi sur l'électricité (5 février 2002) autorisait NEAL à produire de l'électricité à partir du solaire et de l'éolien et à la commercialiser sur le marché local et à l'export. NEAL qui visait une production de 400 MW en hybride solaire-gaz et 10 MW en éolien, a construit une centrale électrique hybride solaire gaz, d'une capacité de 150 MW, à Hassi R'mel. L'APRUE (Agence pour la rationalisation de l'utilisation de l'énergie), transférée, en 2021, au MTEER, n'apparaît pas sur la liste des organismes liés au MEER. Elle est sans doute revenue à sa position d'origine, sous la tutelle du ministère de l'Energie et des Mines. Autres projets «en cours» : la création de l'Institut de la transition énergétique et des énergies renouvelables (ITEER) et la loi sur la transition énergétique. Le Commissariat aux énergies renouvelables et à l'efficacité énergétique (CEREFE, mis en place fin 2019 auprès du Premier ministre, et dirigé par le Professeur Noureddine Yassaa), est opérationnel et appelé à être renforcé. Le développement de la recherche dans le domaine du stockage de l'énergie solaire connaît un début de concrétisation. Il a fait l'objet d'un accord conclu, le 13 février 2023- en application d'une décision du Conseil des ministres prise une semaine avant-, entre la Direction Centrale de recherche et développement de Sonelgaz et le Centre de Recherche en Technologie des Semi-conducteurs pour l'Energétique (CRTSE) ainsi que le CDER. Cela s'est déroulé au siège de l'annexe du CRTSE, en présence des ministres de l'Energie et des Mines, Mohamed Arkab, de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique, Kamel Beddari, de l'Economie de la connaissance, des Start-ups et des Micro-entreprises, Yacine El-Mahdi Oualid, ainsi que du Président-Directeur Général de Sonelgaz, Mourad Adjal. A cette occasion, le ministre de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique a exposé un prototype d'une batterie « lithium », qui avait alors atteint 70% d'avancement, et qui doit être présentée à Sonelgaz ces jours-ci, constituant la première batterie 100% algérienne pour le stockage de l'énergie solaire, d'après les indications données sur le site de Sonelgaz. Hydrogène vert Le développement de l'hydrogène, «notamment vert», a été déclaré «priorité» pour l'Algérie, appelée à jouer un rôle actif en la matière aux plans régional et international, selon les responsables concernés. Le secrétaire général du ministère de l'Energie et des Mines, Abdelkrim Aouissi, a rappelé, lors d'un atelier d'experts sur le développement de la filière de l'hydrogène renouvelable (co-organisé par son ministère avec l'Union européenne, mardi 13 juin 2023, à Alger), les atouts qui justifient l'ambition de l'Algérie : sa position géographique et son étendue, son gisement solaire, sa proximité des marchés européens, ses réseaux et infrastructures de transport. Sous réserve de réaliser «la convergence de plusieurs facteurs notamment la préparation du capital humain, le transfert technologique et le financement, mais surtout la création d'un marché transparent et compétitif», a-t-il ajouté. Ce n'est pas nouveau, le ministre de l'Energie et des Mines, Mohamed Arkab, en avait parlé dans les mêmes termes en novembre 2022. L'hydrogène vert focalise l'intérêt des partenaires étrangers, notamment européens, mais le discours de circonstance, récurrent, sur le «partenariat gagnant-gagnant» ne suffit pas. L'Algérie veut, d'abord, tester les différentes technologies et approches pour la production, le stockage et la distribution de l'hydrogène. Deux projets-pilotes de production d'hydrogène vert au Sud du pays en 2023 et 2024, que Sonatrach a prévus de lancer, sont destinés à permettre le développement d'une expertise et la maîtrise technologique sur l'ensemble de la chaîne de valeur de l'hydrogène vert depuis la production, le stockage, le transport, jusqu'aux applications. Ce sont les projets-pilotes, dont celui de fertilisants à Arzew (Oran), qui donneront la base pour le déploiement à plus grande échelle de l'hydrogène dans le pays. Pour le Dr. Rabah Sellami, directeur de l'hydrogène et des énergies alternatives au CEREFE, tout va commencer par la mise en place d'un cadre réglementaire adapté, c'est le préalable, dit-il, ainsi que le schéma institutionnel. Dans un entretien accordé à la Radio algérienne (invité de la rédaction Chaîne III, 28 mars 2023), il a exposé le Plan hydrogène dans ses trois phases : amorçage de la filière (2023-2030), puis les projets d'usines pour produire à l'horizon 2040, 1 million de tonnes d'hydrogène vert (correspondant à 10% de la demande européenne, a-t-il précisé) avec le déploiement progressif, dans ce but, de 40 Térawattheures (TWh) en installations d'énergies renouvelables (2/3 solaire ; 1/3 éolien), et enfin devenir un pays leader dans la production (2040-2050). L'investissement envisagé s'élève à 25 milliards de dollars sur 10 ans. Le Dr. Rabah Sellami confirme que la production d'hydrogène vert utilisera de l'eau non conventionnelle produite par les stations de dessalement, pour les processus d'électrolyse, afin d'économiser les ressources en eau conventionnelles (superficielles et souterraines) du pays. Le Président Abdelmadjid Tebboune a donné une instruction dans ce sens. Pour produire 1 million de tonnes d'hydrogène vert par an, on a besoin de 12 millions de mètres-cubes d'eau dessalée, selon le Dr. Rabah Sellami. Dans ce système de production d'hydrogène vert, il est fort probable que le dessalement d'eau de mer utilisera l'électronucléaire au lieu du gaz naturel. Bas carbone Sonatrach qui réalise la plus grande partie des exportations algériennes (hydrocarbures et produits dérivés), est engagée dans un processus de développement d'une stratégie bas carbone, et veut adopter toutes les technologies nécessaires pour une industrie nette de carbone. Il s'agit, selon ses responsables, de «fournir des produits propres au marché et d'être en ligne avec les engagements climatiques de l'Algérie». Ils décrivent cette démarche en trois axes: premièrement, l'atténuation des émissions de gaz à effet de serre, c'est-à-dire réduire le torchage du gaz à moins de 1% et éliminer le torchage de routine d'ici 2030 et à partir de 2024, réduire les émissions fugitives de méthane, en plus de l'efficacité énergétique, par la réduction de la consommation propre d'hydrocarbures de Sonatrach notamment via la construction de centrales photovoltaïques sur ses sites; le deuxième axe concerne la compensation des émissions de gaz à effet de serre à travers un programme forestier d'envergure en partenariat avec la Direction Générale des Forêts, et la séquestration du carbone; le troisième axe concerne la stratégie pour les solutions bas carbone telles que l'hydrogène vert et les biocarburants. Dix TWh d'hydrogène vert seront versés au marché local, notamment vers le site Arzew pour rendre verte l'industrie pétrochimique (production d'ammoniac et de méthanol).