Dans cet entretien, le professeur Mhamed Hammoudi, haut fonctionnaire au ministère de la Transition énergétique et des Energies renouvelables, évoque la vision du département nouvellement créé sur la transition énergétique, l'hydrogène vert et ses dérivés à hautes valeurs ajoutées, ainsi que le projet Solar 1000MW. L'Expression:Quelle est l'approche de votre ministère concernant la transition énergétique? Professeur Mhamed Hammoudi: Depuis sa création en juin 2020, le ministère de la Transition énergétique et des Energies renouvelables a pour mission de concrétiser la transition énergétique de façon transversale. Un audit a été effectué sur l'ensemble des secteurs socio-économiques susceptibles d'utiliser, de façon optimale, les différents potentiels en énergies renouvelables, à travers le Programme national de maitrise de l'énergie (Pnme). Cela en se focalisant sur les secteurs les plus énergivores comme le bâtiment résidentiel et tertiaire, les transports routiers, les industries sidérurgiques, métalliques, électriques, électroniques et des matériaux de construction. L'application du Pnme à l'horizon 2025, coûterait 42 milliards de dinars, permettant un gain énergétique moyen annuel de 6 TWh, correspondant à une préservation de près de 1.5 milliard de m3 de gaz naturel chaque année, et à la génération de 3 millions de crédits carbone utilisables par les entreprises exportatrices algériennes pour parer aux mécanismes d'ajustement carbone aux frontières dès 2026. Le déploiement massif des EnRs (solaire et éolien) dans différents secteurs permettrait d'accélérer la transition énergétique, de préserver des quantités importantes de gaz naturel et de générer autant de crédits carbone par la préservation des émissions de CO2. Dans le secteur de l'énergie et avec un premier programme de 15000 MW, l'Algérie vise un mix énergétique dont la proportion renouvelable est de l'ordre de 30%. Ce qui permettrait de sauvegarder plus de 9 milliards de m3 de gaz naturel par an et de produire plus de 16 millions de crédits carbone, à l'horizon 2035. Dans l'agriculture, le Mteer a identifié un potentiel d'utilisation de près de 5 GW d'énergies renouvelables (solaire et éolien) par 1 million d'hectares valorisé. Cela permettrait de préserver autour de 3.25 milliards de m3 de gaz naturel et rediriger à l'export chaque année, générant plus de 5.75 millions de crédits carbone valorisables. Dans le secteur de l'eau, le Mteer pense qu'il serait temps de décarboner le secteur de l'eau à l'aide du solaire et l'éolien, en assumant plus de 50% de l'énergie nécessaire à l'horizon 2030, au dessalement de l'eau de mer, qui sera de l'ordre de 3.3 milliards de m3 par an, et à la valorisation de plus de 1 milliard de m3 d'eau usée pouvant servir à l'irrigation et à la production d'hydrogène vert. D'assumer plus de 55% de l'énergie nécessaires aux différents transferts d'eau sur plus de 4 600 kms. Ce qui permettrait de sauvegarder plus de 8 TWh d'énergie fossile, correspondant à 2 milliards de m3 de gaz naturel par an supplémentaires, réorientés vers l'exportation, induisant plus de 4 millions de crédits carbone supplémentaires. Dans le secteur industriel et tertiaire à travers, l'autoconsommation des usines et des bâtisses jouissant de surfaces susceptibles d'être exploitées, dévoile un potentiel autour de 1 GW d'installations solaires permettant de sauvegarder plus de 550 millions de m3 de gaz naturel par an, avec plus de 1 million de crédits carbone annuels. Où en est-on avec le projet Solar 1000 MW? Le projet Solar 1000 MW, qui constitue la première phase du Programme national des énergies renouvelables, a connu un engouement remarquable des investisseurs nationaux et internationaux visant ce projet très ambitieux. Conformément au décret exécutif 17-98, il permettrait aux producteurs d'électricité indépendants (IPP) de vendre de l'électricité des centrales photovoltaïques à l'acheteur désigné Sonelgaz Distribution, à travers un contrat PPA, (Power Purchase Agreement), qui est un contrat d'achat ou de livraison d'électricité conclu à long terme entre deux parties, sur 25 années. Le cahier des charges remis le 17 février 2022 a permis de fixer les termes de référence et les spécifications techniques des cinq centrales photovoltaïques de 50 MW à 300 MW à réaliser. La société Shaems, créée conjointement entre Sonatrach et Sonelgaz, a été mandatée par le Mteer pour lancer l'appel d'offres, de traiter les étapes de sa réalisation, et de participer à hauteur de 34% dans les sociétés de projet productrices d'électricité (SPV). Ces dernières investiront dans les centrales photovoltaïques productrices d'électricité renouvelable à hauteur de 20% et un financement de 80%, prouvant la bancabilité de ces projets. Un ensemble d'études (topographiques, géotechniques et géophysiques) ont été mises à profit et des visites organisées (44 sociétés) sur site effectuées dès le mois de mai 2022. Les investisseurs ont eu l'occasion de constater de visu les sites des centrales, ainsi que les postes HT d'injection de l'électricité. Dans un premier temps, 112 soumissionnaires, ont retiré les cahiers des charges, parmi lesquels des sociétés de renommée mondiale de 21 pays, dont des entreprises algériennes. D'autres entreprises sont en train de programmer leurs visites. Comme la technologie évolue très rapidement dans le photvoltaïque, chacune de ces sociétés voudrait présenter la meilleure offre technique et financière, lui permettant de garantir le succès de son offre aux meilleurs coûts du KWh vendu. D'où la demande de report de la quasi-totalité de ces 44 entreprises, dont 100% des entreprises algériennes. Comment expliquer ces demandes de report? Tous les soumissionnaires veulent engranger le maximum de points positifs, dans leur dossier et proposer la meilleure offre qui passe par un dossier technique incluant les technologies les plus récentes et performantes en matière de dispositifs, mais aussi la qualité des services nécessaires à la construction, à l'exploitation et à la maintenance des centrales photovoltaïques durant leur durée de vie de 25 ans. Les soumissionnaires, conscients de l'envergure du projet, ont demandé une prorogation du délai de remise des offres, prévue le 15 juin 2022. Compte-tenu de ces demandes, le délai de remise des offres a été reporté par la société Shaems en charge de ce programme à une date ultérieure, qui sera communiquée prochainement. Ce délai supplémentaire vise le maintien de la concurrence souhaitée, pour une réduction optimale du coût du KWh produit. La réussite du défi du contenu local fixé à 30% du coût du projet, étant donné que la campagne de recensement des fabricants algériens à haut potentiel dans le domaine des énergies renouvelables, lancée par le Mteer, continue à attirer plus d'opérateurs locaux; la finalisation de toutes les études techniques et simulations de performance, permettant d'intégrer des équipements de dernières générations et, enfin, l'approbation des conditions de financement avant la remise des offres. Ce qui permettra d'obtenir les meilleures offres techniques et financières pour ce 1er projet, qui sera une référence de Benchmark pour les prochaines phases du programme national de 15000 MW. Cela permettra l'utilisation des techniques les plus avancées en productibles photovoltaïques tel le «Tracking», qui nécessite des études de terrain plus approfondies comme demandé par plusieurs participants à cet appel d'offres. Qu'en est-il du seuil pour le contenu local? Conformément aux instructions de Monsieur le président de la République, portant sur l'intégration nationale dans les projets stratégiques et cela, à travers aussi bien la composante industrielle, que celle liée aux services, le Mteer a introduit une exigence de contenu local minimum de 30% dans le cahier des charges. Ce qui induira une participation des entreprises industrielles locales pour les panneaux photovoltaïques, les structures métalliques porteuses, la câblerie ou les transformateurs dans la fourniture des projets. Les services liés à la construction des centrales comme le génie civil et l'installation ou à leur exploitation et à la maintenance pourraient être accomplis par des entreprises algériennes ayant déjà l'expertise requises. Ce seuil minimum de 30% pourrait évoluer dans les prochaines phases du programme des 15 000 MW, en intégrant davantage d'entreprises ayant les normes internationales exigées par les IPP. Ce 1er projet permettra aussi d'établir une taxonomie des entreprises algériennes actant dans le secteur et attirera d'autres, compte tenu du marché. Ce qui va générer de l'emploi, une animation économique, des rentrées subsidiaires en dinars et surtout, une préservation des devises à hauteur d'au moins 30%, des projets à réaliser, soit autour de 300 millions de US$. L'expertise acquise permettra aux entreprises algériennes d'exporter leurs produits et savoir-faire avérés. Il faut souligner cette volonté politique qui a aidé à l'émergence de cette nouvelle dynamique et la stabilité des institutions qui ont motivé les grandes sociétés mondiales, afin d'investir dans la transition énergétique en Algérie. Au Mteer, on s'inscrit déjà à l'ère de l'hydrogène vert? En effet, notre vision sur l'hydrogène vert se base sur l'utilisation optimale de nos potentialités, tout en visant des produits de hautes valeurs ajoutées. Partant de l'amont, en produisant l'hydrogène vert à des coûts très intéressants, induits par un Lcoe très favorable provenant d'un potentiel exceptionnel en énergies renouvelables, éolienne et solaire. La valorisation des eaux usées, permettrait de réduire de près de 35%, l'impact énergétique et hydraulique de ce type de projet. En utilisant les infrastructures existantes de transformation, de stockage ou de convoyage gazeux ou liquéfié, ainsi que l'expertise nationale dans la pétrochimie pour produire et commercialiser non seulement de l'hydrogène vert, mais surtout les produits dérivés comme le méthane synthétique, le méthanol vert, l'ammoniac vert, mais aussi d'autres produits de très hautes valeurs ajoutées, comme le Diesel vert destiné aux transports terrestre et maritime, le Kérosène vert destiné aux compagnies aériennes. Compte tenu de son potentiel de production d'hydrogène vert et dérivés et sa position géostratégique, plus de 5 millions de tonnes par an, l'Algérie peut devenir un acteur international majeur et un hub régional dans ce créneau porteur. La production d'hydrogène vert permettrait de générer près de 34.8 millions de crédits carbone par millions de tonnes d'hydrogène vert produit. Cela permettrait d'aider les entreprises algériennes exportatrices dans le domaine du métal, du fer, de l'aluminium, du ciment et de l'engrais à contrecarrer les effets des mécanismes d'ajustements carbone aux frontières, imposés dès 2026. Cela leur permettra de gagner plus de parts de marché, en bénéficiant de ces crédits carbone et avec des prix plus compétitifs, à l'export en Europe. La transition énergétique voulue par les plus hautes autorités de l'Etat et pensée par le Mteer, à travers ses actions transversales dans différents secteurs permettrait un déploiement rapide basé sur la satisfaction des besoins et la sobriété dans la consommation énergétique.