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« Il n'y a aucune avancée significative concernant la reconnaissance des crimes commis par la France » L'historien Olivier Le Cour Grandmaison à La Nouvelle République
La Nouvelle République : 63 ans après, malgré la proposition de résolution portée par les députés Renaissance, Mme Sebaihi et sa collègue Julie Delph réclamant la « Reconnaissance et la condamnation du massacre du 17 octobre 61 et l'inscription d'une journée de commémoration du à l'agenda des journées officielles et cérémonies nationales, n'est toujours pas au point du moins pour la reconnaissance. Pourquoi selon vous ? Olivier Le Cour Grandmaison : « Les raisons de cette absence de reconnaissance des massacres commis, entre autres, le 17 octobre 1961 par des policiers placés sous les ordres du préfet Papon sont liées à la pusillanimité des chefs d'Etat, de droite comme de gauche. Soucieux, depuis longtemps maintenant, de ménager les extrêmes-droites et les droites de gouvernement, toujours plus engagées dans la réhabilitation du passé colonial, ils ont toujours refusé d'admettre la responsabilité de l'Etat français, du gouvernement de l'époque, que dirigeait alors le Premier ministre, Michel Debré, et du général de Gaulle qui a couvert ces massacres en accréditant le mensonge d'Etat forgé au lendemain de ces événements. A cela s'ajoute le fait que les gauches politiques demeurent, au fond, assez peu mobilisées sur ce sujet en se contentant, le plus souvent, d'une sorte de service minimum très en-deçà de ce qui serait nécessaire pour avancer de façon significative. A preuve, lorsque les socialistes étaient majoritaires à l'Assemblée nationale et que François Hollande était président de la République, ni les premiers, ni le second n'ont saisi ces opportunités pour faire droit aux revendications défendues depuis 1991 par de nombreuses associations puis par un nombre croissant d'organisations syndicales et politiques. » Les violences contre les Algériens de France non pas commencé le 17 octobre 61 mais bel et bien avant selon certains historiens et sont symptomatiques de cette terreur d'Etat qui s'est abattues sur eux. Qu'en pensez-vous ? « Les contemporains de ces massacres, je pense en particulier à Pierre Vidal-Naquet, à Paulette Péju et à quelques autres, qui ont rapidement publié sur ce sujet, étaient parfaitement conscients que les méthodes employées par la police française et les supplétifs harkis à Paris et dans la région parisienne étaient des méthodes inspirées de la guerre contre-révolutionnaire menée en Algérie par l'armée. De là, l'importation en métropole de la torture, des exécutions sommaires et de la disparition forcée, notamment, utilisées avant, pendant et après le 17 octobre 1961 pour combattre les militants (es) du FLN ou supposés tels. Contrairement à certaines opinions convenues, les personnalités précitées ont réussi à avoir une connaissance déjà précise de ce qu'il s'était passé et des crimes commis par les forces de l'ordre. Aujourd'hui, ces faits sont confirmés, parfaitement établis et bien documentés suite aux travaux pionniers de Jean-Luc Einaudi et aux recherches menées par des historiens et des politistes français et étrangers. » La loi préconisée par certains politiques Français(es) pour la restitution des restes des crânes des combattants tués au début de la colonisation française au 19ème siècle et conservés au Musée de l'homme à Paris n'a toujours pas vu le jour et toujours pas voté. Qu'en dites-vous ? « Ce n'est, hélas, que l'une des nombreuses conséquences de l'absence de reconnaissance officielle par les plus hautes autorités de l'Etat français des crimes commis à l'époque coloniale. Pas de reconnaissance, donc pas de réparations et de restitutions contrairement à ce qui est parfois réalisé depuis longtemps dans d'autres Etats qui furent des puissances coloniales ou qui ont commis, à l'encontre de populations autochtones, des crimes d'une particulière gravité. Je pense aux Etats-Unis, au Canada, à la Nouvelle-Zélande ou encore à l'Allemagne, par exemple, relativement au premier génocide du XXème siècle perpétré en 1904 dans la colonie allemande du Sud-Ouest africain, actuelle Namibie. Ou encore à la Grande-Bretagne en ce qui concerne les massacres des Mau-Mau peu après la fin de la Seconde Guerre mondiale puisque la justice britannique a accordé des réparations aux victimes et à leurs descendants, puis a érigé un mémorial à Nairobi. Les comparaisons avec ces différents Etats confirment le scandaleux retard français sur ces sujets. » Vous êtes président de l'Association du 17 Octobre 61 depuis plus de 30 ans Que réclamez-vous en collaboration avec les collectifs, les enfants des victimes, les historiens et autres qui se battent pour la mémoire aux autorités françaises. « Un collectif unitaire existe depuis 2001. Ses revendications demeurent, hélas, toujours les mêmes car, contrairement à ce qu'affirment certains historiens, Benjamin Stora notamment, il n'y a eu aucune avancée significative. Les dernières déclarations d'Emmanuel Macron sur le sujet, en 2021, sont une mauvaise fable forgée à l'Elysée pour faire croire que Maurice Papon est seul responsable. Les historiens, les juristes, les politistes qui ont travaillé sur ces événements savent qu'il n'en est rien. De là, pour aller à l'essentiel, la nécessité d'exiger encore et toujours la reconnaissance pleine et entière de ces massacres comme crimes d'Etat, l'ouverture de toutes les archives et la création d'un lieu de mémoire. » A Périgueux (Sud Ouest), la ville a préféré maintenir la statue du Maréchal Bugeaud conquérant de l'Algérie pour « regarder l'histoire en face sans la réécrire ». Qu'en pensez-vous ? « Il faut préciser qu'une plaque a été apposée sur le socle de cette statue. Plaque qui rappelle, en des termes précis, les crimes commis par Bugeaud en Algérie et qui rappelle aussi qu'il fut un ennemi constant de la République et des revendications ouvrières qu'il a combattues par la plume, le fusil et le canon. En quelques lignes, beaucoup de choses sont dites et nul ne peut plus ignorer le rôle effroyable de ce général devenu maréchal de France. Je crois connaitre assez bien ce dossier puisque, sollicité par la mairie de Périgueux, c'est moi qui ai proposé le texte précité. » Parlez-nous de votre dernier ouvrage qui se vend très bien en ce moment « Racismes d'Etat, Etats racistes » paru aux éditions Amesterdam en février 2024 ? « Il y aurait beaucoup à dire. Pour aller à l'essentiel et en quelques mots, il s'agissait, entre autres, de montrer que contrairement aux affirmations péremptoires et mensongères des droites et d'une certaine gauche, il existe bien un racisme d'Etat en France objectivé, notamment, par les contrôles au faciès subis par les jeunes racisés des quartiers populaires, par la violence des politiques publiques mises en œuvre contre les Roms et les exilé-(es) des Sud. Et d'une façon ou d'une autre, confirmé par de nombreux rapports du Défenseur des droits, de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (la CNCDH) et de différentes ONG comme Amnesty International, par exemple. » Je n'irai pas à Canossa avait répliqué récemment le président de la République Algérienne Abdelmadjid Tebboune à une question relative à une éventuelle visite à Paris lors d'une conférence de presse accordée à la Télévision algérienne. Qu'en pensez-vous de cette réponse du berger à la bergère ? « Tout cela démontre que des deux côtés de la Méditerranée, ce qui l'emporte, c'est moins le souci de la vérité et de la connaissance que des considérations de politiques intérieures et des préoccupations diplomatiques, économiques et parfois sécuritaires. Ces jeux de rôles seraient risibles s'ils n'étaient obscènes en raison de la gravité des actes commis par les armées françaises et la métropole depuis la prise d'Alger en 1830. » Interview réalisée à Paris