Bien des pays, ou plutôt des puissances militaires de toutes tailles, avaient, après la fin de la guerre froide, procédé à des tentatives de définir une prospective de défense militaire sans cependant pouvoir identifier avec exactitude l'ennemi, la menace pour une définition de l'organisation et des équipements militaires pouvant entrer dans la préparation et la mie en œuvre d'une parade, ou plutôt de la parade adaptée. Comment renouveler la pensée stratégique, prendre en compte les hypothèses des évolutions internationales, de celle de menaces et des risques, définir les objectifs d'une politique de défense et la stratégie à choisir et présenter le cadre et le contexte dans lesquels auront à s'exercer les actions de prévention et de défense ? Comment discerner l'essentiel dans les mutations où fourmillent des menaces ? Les réflexions de états-majors de défense ont beaucoup porté sur les thèmes tels que ceux des capacités d'adaptation, du rôle certainement nouveau des forces armées, des scénarios et emplois des forces, des armés à acquérir, des changements de formats Trois fonctions, à savoir dissuasion, protection et action générale structurent le concept de défense. Quel serait l'ordre des priorités pour ces trois fonctions quand on sait que c'est cet ordre qui détermine la part du budget à allouer et des équipements à acquérir. Dissuasion Dissuasion nucléaire ? Quand bien même qu'il soit apparu le peu d‘utilité en termes de dissuasion depuis la fin de la guerre froide, il n'en demeure pas moins qu'aucune puissance nucléaire ne voudrait y renoncer. La fin de la guerre froide n'a pas désarmé nucléairement ces puissances. Les accords de réduction des armements n'a concerné que les deux superpuissances, lesquelles ne s'étaient pas empêchées pour autant de pratiquer une prolifération nucléaire verticale, c'est-à-dire renforcer la puissance des arsenaux conservés. Dissuasion nucléaire contre une menace nucléaire ? Aucun pays nucléaire n'est disposé à utiliser l'arme nucléaire contre un pays qui en possède. Par contre, lors de la rencontre à New York de 188 pays signataires du TNP, au mois de mai de l'année 2005, interpellés par l'Egypte et l'Iran, les Etats-Unis ont refusé de s'engager à ne jamais utiliser l'arme nucléaire contre un pays qui n'en possède pas, ce qui constitue en lui-même un acte proliférant, poussant à la prolifération des pays qui dissuaderaient ainsi les puissances nucléaires de les attaquer, de protéger leur pouvoir de décision nationale et de faire de l'atome un élément égalisateur de puissance. La volonté d'acquérir l'arme nucléaire pour intégrer la dissuasion dans leur concept de défense ne peut pas être absente dans la vision de nombre de pays qui estiment pouvoir ultérieurement disposer de capacités de maîtrise scientifique du processus nucléaire. Fatalement, le club nucléaire est appelé à s'élargir. Cependant, la dissuasion n'est cependant pas la manifestation d'une volonté d'exercer des attributs de puissance, laquelle s'exprime plutôt par la mise en œuvre d'une stratégie d'action. Protection et stratégie d'action La fin de la guerre froide devait normalement entraîner une révision des concepts de défense hérités de cette période. L'éloignement des menaces aux frontières des pays de l'alliance transatlantique plus particulièrement est mis à profit pour développer le concept de projection de forces qui consiste à assurer la protection de ses intérêts à l'intérieur et à l'extérieur du pays en allant combattre l'ennemi loin de ses propres frontières, à des milliers de kilomètres de son propre territoire. Par contre, pour les pays qui ne sont pas des puissances militaires et qui souhaiteraient bien sûr se mettre à l'abri de telles menaces, d'autant qu'il est apparu avec les deux guerres qu'avaient subies l'Irak qu'il est possible que se constituent des coalitions de puissances militaires contre un pays qui est très loin de constituer une puissance, le concept de protection se fonde sur l'action diplomatique pour s'extraire du champ des hostilités ou sur l'intégration comme appui dans l'architecture de sécurité internationale construite par le chef de file de cette alliance à savoir les Etats-Unis, plus particulièrement. L'Otan, instrument militaire de l'alliance, était à la recherche d'un nouveau concept fondateur de nouvelles stratégies pour de nouvelles missions. Son élargissement était perçu par les dirigeants Russes comme un acte hostile, ramenant les forces de l'Otan plus près des frontières de leur pays. Le tournant stratégique Un avant et un après 11 septembre, date charnière d'une totale révision des concepts de défense, avec la découverte du pouvoir international de nuisance d'Al-Qaïda, qui agit comme une hyperpuissance dans le domaine de menaces asymétriques face à aux Etats-Unis, hyperpuissance dans le domaine de la défense classique, dans le champ conventionnel. Il était apparu des similitudes dans les conceptions de l'emploi des forces. Le concept de l'ennemi lointain adopté par les puissances occidentales est également adopté par Al-Qaïda. Il s'agit de frapper cet ennemi chez lui, si possible et partout ailleurs où il se trouve. C'est la mission confiée aux forces à projeter dans la conception occidentale. Ce sont les attentats commis sur le territoire de l'«ennemi» comme cela s'était passé aux Etats-Unis, en Espagne et en Grande-Bretagne. La conception de l'ennemi lointain et de la frappe sur le territoire de celui-ci a d'abord été celle des grandes puissances occidentales, avant qu'elle n'inspire Al-Qaïda. Cette capacité démontrée par Al-Qaïda à contourner les services de renseignement occidentaux et les dispositifs de sécurité mis en place sur les territoires de ces pays a mis en évidence les vulnérabilités de ces dispositifs, l'inadaptation des conceptions de défense contre une menace qui n'avait jamais été prévue comme possible, surtout dans cette ampleur. A trop chercher l'ennemi à l'extérieur, loin des frontières nationales, à trop développer ce concept de projection de forces doublé de celui de projection de masses, les regards occidentaux s'étaient détournés de la défense opérationnelle du territoire qui avait pourtant intégré comme probable la donnée selon laquelle des forces ennemies pourraient se trouver en immersion dans les pays occidentaux, au sein des populations et qu'ils procéderaient à des attentats avec des moyens asymétriques. Le concept de défense américain introduit dans la doctrine militaire et qui prévoit la possibilité de mener trois conflits en même temps dont l'un se termine par l'occupation du territoire et le renversement du gouvernement pour lui substituer un gouvernement ami se heurte lui également à l'inadaptation des parades contre les menaces asymétriques. Le secrétaire d'Etat américain à la Défense vient de reconnaître que les forces de l'Otan en Afghanistan sont indatables à ce type de conflit. Il en est de même pour ce qui concerne l'Irak quand on se rappelle que le même secrétaire d'Etat, lors de sa nomination, avait affirmé que de la façon avec laquelle est menée la lutte contre l'insurrection les forces anglo-américaines n'étaient pas en train de gagner la guerre. Et pourtant, pour ce qui concerne l'Otan, son nouveau concept stratégique est imposé dans le cadre de son intégration à la vision stratégique américaine, refondée après le 11 septembre 2001, bien que l'élargissement de cette organisation transatlantique puisse constituer un obstacle à l'efficacité de celle ci compte tenu que les décisions d'intervention doivent se prendre par consensus. Comment l'Otan pourrait-elle procéder pour lancer et conserver l'initiative quand il est apparu qu'elle est constamment sur la défensive en Afghanistan, que l'autorité du gouvernement n'est rétablie que dans le périmètre de Kaboul et que les Talibans remontent en puissance et reprendraient le pouvoir en cas d'évacuation de ce pays par le troupes étrangères, ce qui revient à dire que les objectifs qui ont nécessité l'intervention des troupes de l'Otan ne sont pas et ne seront jamais atteints. L'Otan ne peut pas rester éternellement en Afghanistan. Comment l'Otan pourrait-elle opérer pour arrêter une agression qui n'est pas le fait d'une armée, mais d'un mouvement ? Les implications Le concept de professionnalisation de l'armée, tel que conçu en France par exemple, est prévu pour des opérations extérieures dans le cadre des projections de forces, lesquelles se font plus particulièrement dans le cadre des alliances, et n'intégrerait pas la possibilité de faire intervenir l'instrument militaire, sur son propre territoire, du moins massivement, comme cela avait été le cas pour le plan Vigipirate qui avait été conçu après les attentats commis à Paris. Il était bien prévu la possibilité que les forces armées soient réquisitionnées pour intervenir dans le domaine de la sécurité intérieure, plus particulièrement comme appoint dans le cas de troubles intérieurs susceptibles de mettre en péril les intérêts essentiels de la nation qui restent cependant à définir avec précision, car le forces armées n'ont pas vocation à disperser les foules mais à vaincre, à anéantir. L'adversaire Quand bien même que la DOT (Défense opérationnelle du territoire) se fut avérée inadaptée aux menaces asymétriques, il n'en demeure pas moins qu'elle sert d'ossature à une nouvelle conception de la protection contre de telles menaces, et là encore, avec la conviction que les frappes terroristes sont imparables dès lors que le renseignement de prévention n'est pas disponible. Le problème se trouve dans la fiabilité du renseignement, la difficulté à l'obtenir et celle également à la traiter, ce qui implique beaucoup plus qu'une collaboration des populations, incontournable celle-là. Comment les populations peuvent-elles apprécier qu'elles sont en présence d'un menace imminente ? Il est alors évident que les principales difficultés sont liées à la définition de la politique de recherche du renseignement, à une meilleure saisie de la stratégie globale du terrorisme car il ne serait pas constructif de croire ou de faire admettre qu'il n'y a pas une stratégie globale à la base, des actions cohérentes, une planification des objectifs, même si pour de simples attentats, il peut y avoir une décentralisation de la décision. Dans le concept de défense contre de telles menaces, il y a pratiquement une impossibilité avérée à construire, non pas seulement une parade qui se met en mouvement avec un délai d'alerte et de montée en puissance dans l'intervention qui assure l'efficacité, de cette dernière, mais il y a en plus une impossibilité avérée à concevoir un concept adapté de dissuasion, du fait que le terrorisme n'est plus soutenu par un Etat, mais est le fait de mouvements auxquels la clandestinité permet de disposer d'une supériorité opérationnelle.