Bien que confinée dans le folklore, la célébration de Yennayer garde son cachet de fête sacrée aussi bien chez les associations (tous caractères confondus) qu'au sein des familles algériennes. Coïncidant avec seulement quelques jours de différence avec le calendrier de l'année universelle, Yennayer est la marque de la fin du cycle froid et le début du cycle chaud ou tempéré. Il est commémoré chaque 12 janvier de l'année grégorienne. Pour le célébrer, les Berbères, qui se réapproprient légitimement leur histoire longtemps confisquée, ont concilié un événement historique couplé avec la division du temps selon des considérations climatologiques cycliques citées plus haut. L'événement historique remonterait à 950 avant J.-C. avec comme première thèse, la présence en Egypte d'un roi berbère du nom de Sheshonk (Chachnaq 1er) qui serait parti, à la tête d'une puissante armée, depuis l'actuelle Tlemcen vers la vallée du Nil dans le Delta en Egypte pour sauver l'empire pharaonien alors menacé par un roi venu d'Ethiopie. On pense que c'est à partir de cette date mouvement que les Berbères ont commencé à dater le temps. L'autre thèse nous est rapportée par Malika Hachid dans les Premiers Berbères, entre Méditerranée, Tassili et Nil selon laquelle l'an zéro amazigh se réfère à 950 av.J.-C., date à laquelle le Berbère Sheshonk (Chachnaq 1er) fut intronisé dans les terres du delta du Nil en Egypte où il fonda la XXIIe dynastie avec comme capitale Boubastis. Les deux thèses diffèrent très légèrement. Elles font référence à la même date (950 av J.-C.) et au même personnage historique autour duquel l'événement se rapporte. Partant de ces éléments, l'année berbère atteint aujourd'hui l'an 2959 c'est-à-dire : 950 av. J.-C. + 2009 de l'an grégorien). Hormis donc l'aspect strictement historique et culturel, il n'y a aucune prétention à vouloir devancer l'horloge universelle ou encore à être à sa traîne. La référence à l'année universelle est un standard qui s'impose de lui-même. Sur le plan linguistique, étymologiquement on peut proposer que le mot Yennayer est une composition de deux mots associés : «yen» qui indique le nombre premier ou le chiffre un et «ayer» signifie la motion «mois» avec ses variantes (ayir, ayur, aggur). Le fait le plus significatif à relever (par-delà le vestimentaire, le culinaire et autres coutumes et festivités qui ont lieu) Yennayer transcende toutes les sociétés nord-africaines qui continuent à le célébrer et marque ainsi une unité socioculturelle régionale historique. Pour les citoyens, Yennayer est d'abord une porte qui s'ouvre sur le nouvel an et appelée «tabburt useggwass» (la porte de l'année). Sa célébration s'explique par l'importance accordée aux rites et aux superstitions de l'époque dont certaines subsistent encore de nos jours. La période en question attire particulièrement l'attention car la saison correspond à l'approche de la rupture des provisions gardées pour l'hiver. Il convient, donc, de renouveler ses forces spirituelles en faisant appel aux rites. A cette époque de l'année, le rite doit symboliser la richesse. Ainsi, pour que la nouvelle année entamée soit plus fructifiante et la terre plus fertile, il convient de se purifier e nettoyer les lieux. On obéit également aux lois rituelles tel que le sacrifice d'un animal (asfel) sur le seuil de l'année, comme on le fait encore de nos jours. Le rituel «asfel» symbolise l'expulsion des forces et des esprits maléfiques pour faire place aux esprits bénéfiques qui vont nous soutenir l'année durant. Si les moyens le permettent, seront sacrifiés autant de bêtes qu'il y a de membres de famille. La tradition a retenu le sacrifice d'un coq par homme, une poule par femme et les deux ensembles pour les femmes enceintes afin de ne pas oublier le futur bébé. A défaut de viande, chaque membre de famille sera représenté par un œuf surmontant une couronne de pâtes. Le dîner ce jour là sera servi tard et se doit d'être copieux, ce qui, aux yeux des Kabyles, augurera une année abondante. La viande de l'animal sacrifié y sera servie conformément au rite. Certains ne pouvant se permettre un tel sacrifice, servent de la viande sèche, comme «achedhlouh», gardée pour de pareilles occasions : un Yennayer sans la viande fût-elle sèche n'en était pas un ! Lors du dîner, une cérémonie est prononcée afin de préserver les absents et de faire que l'année soit bonne. Les absents ne seront pas les oubliés du repas : des cuillers disposées par la mère symbolisent leur présence et une proportion symbolique leur sera laissée dans le plat collectif, censé rassembler toutes les forces de la famille. Après le repas il convient de vérifier si tout le monde a mangé à sa fin. C'est la maîtresse des lieux internes (la grand-mère ou la mère) qui pose la question aux enfants pour savoir s'ils ont mangé à leur faim : la réponse est «neccha nerwa» (oui, nous avons mangé et sommes rassasiés). La maîtresse des lieux n'oublie pas non plus les proches ou les voisins, lesquelles lui rendent également des aliments différents : il n'est pas de coutume de laisser balader des ustensiles vides le jour de «laawachar» (jour béni). La fête garde de sa saveur pendant les quelques jours qui suivent l'événement. Les nouveaux ustensiles rangés après la dernière célébration vont redescendre de «tareffit» (étagère), on prépare «lesfenj» (des beignets), «tighrifin» (crêpes), et tous autres plats et gâteaux rappelant une saveur rare fût-elle importée. Seront également au rendez-vous les fruits secs amassés ou achetés le reste de l'année, figues sèches, amandes, noisettes, dattes etc. Toute la région de Bordj BouArréridj se prépare dès maintenant à l'accueil de cette fête ancestrale.