Plusieurs théories ont été avancées par différents explorateurs, géographes, savants et ethnologues pour expliquer la présence humaine dans cette île mystérieuse. Voici les principales dans les paragraphes qui suivent. De la Genèse et du Déluge Une théorie qui ne connaît plus de succès est celle de l'origine autochtone des Polynésiens. Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, tout le monde n'avait pas admis les théories évolutionnistes et il existait un courant qui admettait plusieurs centres de création. Par exemple, des explorateurs allemands (1856, 1872) et parmi eux Pierre-Adolphe Lesson, médecin naturaliste, qui, niant l'origine malaise ou américaine des Polynésiens, situait un autre Eden dans l'île du Sud, en Nouvelle-Zélande, qui aurait donné naissance aux Polynésiens. Peu lui importait alors que les hommes, les rats et les chiens qu'ils avaient introduits, et les roussettes – des chauves-souris –, fussent les seuls mammifères sur cette île. Les missionnaires du début du XIXe siècle, ignorant l'histoire comparée des religions et le structuralisme, furent troublés par l'identité des mythes de création des Polynésiens avec ceux qu'ils transportaient eux-mêmes : l'analogie s'étendait également au Déluge ! En 1881, Gerald Massey croit trouver des affinités linguistiques et mythologiques entre les Égyptiens et les Polynésiens, aussi n'hésite-t-il pas à en déduire l'origine africaine des Maoris, tandis que Francis Dart Fenton, ancien juge d'un tribunal indigène en Nouvelle-Zélande, conclut, en 1885, que leurs ancêtres «marchèrent avec Abraham, et formèrent une branche de la migration Cashite vers l'Arabie su Sud, puis progressèrent à l'est vers les Indes, Sumatra et Java et ensuite peuplèrent le Pacifique». Aryens, Égyptiens, Vikings ou Bédouins ? Stephenson Percy Smith, un chercheur, a essayé, en 1919, d'étayer une origine indienne, c'est-à-dire aryenne, des Polynésiens. Quant à W. J. Perry (1923), professeur à l'université de Manchester, il voit en Égypte l'origine de la civilisation qui se répand, à travers la Polynésie et jusqu'en Amérique centrale, au moyen des chercheurs de perles et autres trésors censés conserver la force vitale. Encore plus fort, le Norvégien C. Sund, en 1919, transforme l'île de Pâques en comptoir égyptien : pyramides, forteresses hautes de vingt-quatre mètres, trois cents tablettes hiéroglyphiques, verre, terre cuite, briques… Ces contacts plus qu'hypothétiques avec l'Ancien Monde et les grandes civilisations ont permis à Guillaume de Hevesy, en 1932, d'effectuer des rapprochements entre les écritures de Mohenjo Daro et de Harrapa, dans le Moyen Indus, et les «hiéroglyphes» de l'île de Pâques. La plus récente des théories de peuplement, mais très partielle, les Européens, est celle d'une caravelle perdue; elle a été précédée par le professeur Jean Poirier, qui eut la naïveté en 1959, d'émettre «l'hypothèse de migrations nordiques arrivées [en Polynésie] par l'Amérique, avec l'expansion viking». A en croire Karl Tauber (1930 et 1932), les Océaniens se seraient répandus depuis l'Australie en Asie et jusqu'en Europe. Ses arguments linguistiques et anthropologiques montrent leur passage sur les côtes du Pacifique il y a 7 000 ans, leur pénétration en Méditerranée et l'édification des cités lacustres ! Comme il a été dit, Pierre Loti, par son talent, a servi plus que tout autre la cause des «mystères» de l'île de Pâques. Dans le court journal qu'il tenait à bord de La Flore en 1872, on ne compte pas moins de treize fois les vocables : étrange, mystère, fantastique, extraordinaire. Dans la version plus sophistiquée qu'il publia, en 1899, quinze fois dont deux fois le terme «ésotérique». Les hypothèses énumérées ci-dessus émanaient, en général, d'auteurs manifestant une certaine retenue intellectuelle, détenteurs pour la plupart de la «science officielle». Elles étaient le fruit de leur époque et, à ce titre, ont brillé d'un éclat plus ou moins vif au firmament des idées. Un fonds inépuisable pour la science-fiction Depuis une cinquantaine d'années, des esprits différents ont conquis un public vers lequel les efforts de communication du monde scientifique ont été et sont encore, de toute évidence, insuffisants. C'est ainsi qu'ont émergé des œuvres qui ne se prétendaient pas de pure fiction, destinées à pallier les carences d'une démarche matérialiste jugée inaccessible ou inadéquate. Les auteurs de ces fantaisies ignorent souvent tout du contexte polynésien : leur bréviaire a pour chapitre Glozet, les Templiers, les Pyramides, Baalbeck, Nazca, Pétra… L'île de Pâques n'est qu'un prétexte de plus pour contourner la «science officielle» et pour faire donner toute une artillerie d'ondes, connues ou inconnues des physiciens : ondes telluriques, ondes psychiques, forces électromagnétiques, radioactivité. Enfin, l'estocade finale est livrée : les cosmonautes débarquent, venus remplacer les hommes défaillants et montrer que les pauvres humains, ne sont grand-chose. Quant aux Polynésiens, dans tout cela… Ces hommes qui achevèrent la conquête des points les plus inaccessibles de la Planète, autrefois méconnus dans ce qui était pourtant leur science majeure, la navigation, ils perdent aussi la fierté de leur génie de bâtisseurs, d'écologistes, d'hommes comme les autres sur la Terre, qui ont chacun leurs talents. L'île de Pâques a capté à elle seule toutes ces ondes pessimistes, émises par divers individus et artistes. Robert Charroux (1970) plante le décor intellectuel : «Devant ces mystères, l'homme curieux mais honnête s'interroge en vain, hoche la tête et s'il veut essayer de comprendre, alors il est obligé de se hasarder dans des hypothèses fantastiques qui, dans l'avenir, deviendraient peut-être les fondements d'une nouvelle histoire du monde ancien.» «Cette tradition, pensons-nous, comme partout ailleurs dans le monde est fondée sur un fait très ancien : la venue d'hommes à grandes connaissances scientifiques, descendus du ciel, c'est-à-dire débarqués… Disons d'engins volants.» En conclusion… Erich von Däniken s'interroge, en 1969 : «Qui, donc, a pu tailler de tels blocs de pierre à même la montagne, puis les transporter – sans rouleau – à plusieurs kilomètres de distance ? Qui a pu leur donner forme, les polir, les ériger ? Et comment leur a-t-on mis sur la tête ces chapeaux de dix tonnes ? » Et il répond… «Selon la tradition orale, des hommes volants auraient atterri sur l'île il y a longtemps et auraient montré aux habitants comment on fait du feu.» Enfin, Francis Mazière fait la synthèse de tout ce qui a été dit : à l'écouter, les Polynésiens viennent du monde entier ; Métraux a raison, Heyerdhal n'a pas tort. Il y ajoute une humanité prédiluvienne dont le concept attire plutôt vers les flammes de l'Inquisition que vers un futur cosmique. Dans un discours souvent logique, il introduit régulièrement, comme les scènes érotiques dans un film de série B, des passages vraisemblablement «ésotériques» où finit bien par pointer, mais très furtivement, l'aile d'un petit homme vert. Pour chasser ces créatures venues d'ailleurs, invoquons Alfred Métraux : «Le miracle de l'île de Pâques réside dans cette audace qui a poussé les habitants d'une petite île, dénuée de ressources, à dresser sur l'horizon du Pacifique des monuments dignes d'un grand peuple.» (Suite et fin)