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D'où vient le mot burqa ?
France
Publié dans La Nouvelle République le 09 - 03 - 2010

La République comprise dans l'horizon philosophique de la modernité, de l'universalité, au lieu d'œuvrer à convertir les âmes à recourir à la loi pour normaliser et réprimer. Dans ce moment de confrontation, la burqa, à l'image d'Antigone, armée de sa foi, est engagée à conserver son identité et à être totalement soi même : «On ne peut nous interdire d'être ce qu'on veut être. C'est mon choix. Je ne me plierai pas aux règles de la société.»
Depuis septembre 2001, l'esprit gréco-chrétien et mondialatinisateur déchaîné a trouvé dans l'Islam la nouvelle maladie planétaire. Le foulard islamique, le voile, les minarets, la burqa, les dessins sur le prophète ne sont que la traduction d'une thèse ancrée dans l'esprit des tenants d'un républicanisme intransigeant : l'incompatibilité de l'Islam avec la République. L'Islam est sommé pour accéder à la modernité et devenir citoyen de la République d'opérer sa conversion, de s'arracher au dogme, de faire de l'Islam une culture et non une foi ; en somme emprunter la voie du christianisme (les Lumières) et du judaïsme (la Haskala).
Cette thèse est le prolongement des idées reçues dans les années cinquante pour expliquer le sous-développement des pays musulmans dont la raison principale est due au carcan islamique qui les enveloppe et à la thèse récente liée au conflit israélo-palestinien et amplifiée par le 11 septembre que la violence, l'intolérance et le radicalisme, ne sont pas le fait de quelques musulmans égarés et zélés mais dans l'Islam lui-même. La République, dans sa position de détenir la vérité, demande aux musulmans de lire le Coran avec les yeux de Voltaire.
Le royaume de l'émancipation est à ce prix-là: le refus de toute autorité extérieure. La seule autorité admise est celle de la raison. La raison moderne – celle de l'homme blanc. Le désir de la totalité est inhérent à la philosophie occidentale. Soit dans sa forme politique française par la mise à mort du roi, en 1793, ou sa forme sociale russe par l'assassinat des Romanov, en 1918, ou sa forme raciale nazie par la liquidation des juifs et des Tziganes en 1945. En tuant le roi, les révolutionnaires tuaient en lui le vicaire de Dieu sur Terre. Le politique doit être définitivement affranchi du religieux. Les révolutionnaires russes, eux, tuaient l'idée de la différenciation des classes pour faire régner la figure du prolétaire.
Les nazis pour sculpter le corps national pur devaient l'amputer des peuples dont l'hétérogénieté structurelle empêchaient sa réalisation. La volonté totalisante de la raison moderne à commencé par le roi-vicaire de Dieu, puis par la famille impériale pour terminer avec des peuples. Ces moments philosophiques se développent selon le processus hégélien. La mise à mort du roi annonçait l'extermination des peuples. Ou dans le langage de Dostoïevski : «Si Dieu est mort, tout est permis.» A chaque moment historique, la raison moderne s'attaque à un symbole. Celui du moment présent est représenté par la burqa, le voile, le foulard, le minaret… L'ontologie occidentale est contre l'hybridité. Le sujet moderne n'admet aucune hétérogénéité, aucun brassage actif : il est fixé dans sa maîtrise. Il n'a que la nostalgie du propre mais nullement le rêve de la mixité. Il est impensable de transposer l'arc-en-ciel de l'Afrique du Sud en Europe. L'imaginaire colonial est encore vivant et continue à se déployer dans L'Hexagone. C'est en tant que musulmans que les indigènes algériens formaient un deuxième collège assimilés à des citoyens de seconde zone, c'est en tant que Français musulmans, fils d'immigrés, qu'une franche «enchâssée» dans la trilogie républicaine a été amenée à s'identifier aux indigènes de la République.
La burqa n'est qu'une forme personnelle de vivre sa spiritualité. Une fortification de soi pour accéder à la félicité. Elle ne porte ni en puissance ni en acte un projet politique. Elle n'est préoccupée que par son âme et son dévouement à sa foi : « […] Je fréquente toutes les femmes, même celles qui ne portent pas le voile, et je ne cherche à l'imposer à personne. Je ne menace en rien la laïcité du pays. Je ne fais de mal à personne. Il m'arrive même d'aimer ceux qui m'attaquent verbalement dans la rue. Car ma religion me dit : pardonne et aime».
Personnellement, la burqa ne fait pas partie de mon paysage. Prise dans les maillons de la modernité, Alger, la jeune, dans les années1970 vivait à l'européenne. Puis, la décennie après, le voile islamique s'est implanté dans la réalité ; la burqa, quant à elle, était quasiment invisible. La femme voilée ou le foulard islamique au-delà de l'identité religieuse qu'il revendique c'est aussi une autre forme d'esthétique qu'il révèle : la beauté éthique. Le voile nous met en présence directe de la personne ; elle n'est plus un corps qu'on peut décomposer, mais un tout qu'on regarde. Une totalité qui n'emprisonne pas le regard mais l'ouvre sur une autre dimension : celle du spirituel. Le foulard est le lieu de croisement, par excellence, de l'esthétique et de l'éthique.
Dans le cadre des conversations organisées par la librairie Kléber, le 27 avril 2007, je demandais à l'historien d'art Jean Clair, l'invité du jour, sur le sens d'un Louvre aux Emirats arabes en soulignant la différence du statut de l'art dans les deux civilisations. Au-delà de son opposition à cette transaction marchande qui touche à l'essence de l'art et au patrimoine, sa réponse engloba la question du voile et il cita d'un ton engagé et engageant l'exemple de la ville d'Istanbul en évoquant les femmes turques «voilées et coquettes» et finit par ce verdict : «Je ne crois pas à l'universalité des droits de l'homme.»
La vivacité et la beauté de la ville d'Istanbul ne sont que la conséquence de la libre expression des identités constatées. C'est la présence du foulard dans l'espace social et politique qui peut arracher la République à cette philosophe du propre qui, elle, est la vraie maladie de la modernité : ce nationalisme qui colonise, qui extermine, qui exclut, qui discrimine et qui éradique. La mentalité éradicatrice n'est que la forme annoncée d'une politique de la terreur. Car, elle pose la burqua comme un problème. Et nous savons où cette politique a mené par le passé, et où elle peut mener dans le présent : la destruction matérielle de la burqa.
Coupable d'avoir osé prolonger son engagement citoyen sur le plan politique et d'être dévorée par le désir de servir, désarmée, Ilham Moussaïd fut victime d'un acharnement médiatique sans précédent. Le foulard ne peut que souffrir dans sa chaire. Face à ce mal fait à autrui, le premier sentiment que nous éprouvons est l'indignation. Une indignation qui prend la forme d'une sainte colère et pousse un cri du cœur, du fond du cœur, à la face de Créon : la présence du foulard est la possibilité offerte à la République de faire une véritable autocritique de son histoire, de se réconcilier avec elle-même et une manière pour elle, de se racheter auprès des indigènes d'hier et d'aujourd'hui.
(A suivre)


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