Né le 1er mars 1919, le doyen des artisans-horlogers, réparateur de montres de valeur, malgré son âge avancé, témoigne un esprit clair toujours vivace, malgré la maladie. Ahmed Ouahhabi, Tlemcénien en retraite depuis 1991, a capitalisé plus 50 ans de labeur dans son atelier exigu de la placette d'El-Madress, à proximité du marché couvert du centre-ville. Lieu d'affluence quotidienne, où se concentrent tous les commerces de détail, la mécanique fine de précision qui n'avait pas de secret de réparation chez cet artisan, avait, elle aussi, gagné pignon sur rue. Sa réputation d'orfèvre en la matière s'étendait bien au-delà de la wilaya desservant plusieurs générations d'amateurs des belles montres, carillons, pendules et chronographes d'antan. Ahmed s'est, très jeune, initié à cet artisanat réparateur. Son apprentissage, il le doit à un de ses cousins, Abdelkrim, qui avait émigré à Oujda pour lier son destin à l'horlogerie et la réparation auprès d'un expatrié allemand expert en horlogerie, résident au Maroc d'avant la Deuxième Guerre mondiale. A cette époque des années 1930, la France encourageait pécuniairement l'émigration des Algériens vers le Maroc pour s'y établir, tout comme elle le faisait à l'égard d'Européens en direction de l'Afrique du Nord. A Tlemcen, Ahmed commença à travailler avec son frère Nourredine qu'il secondait car, celui-ci au départ plus expérimenté ; et tous deux travaillaient sur une table louée au fond d'un café-maure. Les clients fréquentant l'établissement ont rapidement fait leur réputation par le bouche à oreille, car beaucoup leur rendaient visite au café pour réparer leurs montres ou leurs réveils. C'est en aidant son frère à l'œuvre qu'Ahmed finit par prendre cœur à l'ouvrage, se perfectionnant par lui-même. «C'est en forgeant, qu'on devient forgeron», commentait-il ainsi la maîtrise de son métier d'horloger. Tlemcen comptait à cette époque une dizaine de réparateurs horlogers : les Driss, Fasla, Belayachi, Lahbib, Bouzina, Hassan et autres Chouraqui, None et Benhamou, avaient eu aussi leur part d'itinéraire spécifique à cette prédestinée. Le bijoutier-diamentaire juif de la rue de France, voulant élargir sa clientèle, accepta Ahmed d'exercer, en son magasin, la réparation des montres de valeur. La riche clientèle de la bourgeoisie locale affluait au «Diamant Bleu» de Mr. Maurice Elhaïk. Ahmed, employé, gagnait à peine 15 francs par mois alors que son patron empochait 80 à 100 francs par montre réparée. Ahmed parvenait régulièrement à réparer deux à trois montres par jour. Pour se relever de son injuste salaire, Ahmed prenait à son compte d'autres commandes qu'il réalisait grâce aux heures supplémentaires tardives. Tous les modèles à réparer passaient entre ses mains expertes : montre-bague en or avec couvercle, bracelet-montre, carillons, montre-poche, réveil, montre chronographe, pendule, cadran pour aveugle, bref la panoplie de l'Horlogerie complète ! Les pièces de rechange venaient d'Alger ou d'Oran sur commande lorsque le patron ne faisait pas le déplacement. Les outils d'Ahmed se résumaient à des instruments de précision : loupe oculaire, micropinces, petits tournevis, lime… Parfois, lorsque une pièce minuscule était déteriorée et introuvable dans le commerce, il parvenait avec dextérité à façonner le minuscule métal, à la forme par exemple d'une petite dent, pour lui donner la dimension aigue, sous l'effet de la flamme du bec Bunsen. Lorsque la Guerre de libération se déclencha, Ahmed devint «qaïd el-arch», dépendant d'un commissaire politique et, en 1957, menacé de mort, il dût fuir au Maroc, abandonnant femme et enfants qui le rejoignirent plus tard. Et ce n'est qu'après l'indépendance qu'il parvint à retrouver, à Tlemcen, son activité d'artisan-réparateur expert en horlogerie, notoriété acquise durant sa jeunesse.