Avant le grand voyage, un départ sans retour, tant que nous sommes encore vivants, à l'espoir de notre jeunesse, rendons justice. Les moudjahidine, pour la plupart, ont vieilli et n'ont ni force ni pouvoir de décision. Ils ont parlé à gauche, à droite, c'est tout ce qu'ils ont fait. C'était aux responsables des wilayas de réagir dans le bon sens du terme pour dire à leur peuple qu'ils ont libéré, au risque de leur vie, toute la vérité, rien que la vérité. Car cette vérité, les responsables venaient de l'apprendre de la bouche même du président de la République de l'époque. Rien, silence partout. Après les ayants droit où sont les ayants devoir ? Des responsables à l'ONM se sont succédé ? Et l'organisation des enfants de moudjahidine ? Et les enfants de chouhada ? Combien de présidents de l'ONEC ? Combien de secrétaires généraux de la CNEC ? Combien de chefs de parti ? Combien de candidats aux élections parlant au nom des chouhada ? Combien de présidents de la République ont été élus ? Combien de chefs de gouvernement ? Combien de ministres des Moudjahidine (et des chouhada aussi) ? Personne n'a rien fait pour que les coupables et les complices de cet acte criminel ne soient déférés devant la justice du peuple algérien. C'est aberrant ! Puisque ce n'est qu'aujourd'hui que le combat commence, pour ceux qui viennent d'arriver, il faut qu'ils sachent procéder par le «comme-en-semant». Il ne faut pas confondre la séquestration du corps du chahid Amirouche avec les événements d'avant le cessez-le-feu, c'est-à-dire avant la fin de la guerre coloniale. Non, la séquestration a eu lieu après l'indépendance, et c'est en cela que c'est grave. Car la non-identification des monstres que la guerre coloniale nous a fabriqués expose la société algérienne, et ce durant toute son existence future, à de dangereux comportements dont le microbe n'a pas été identifié. Bien sûr, maintenant, parmi les questions qui se posent, et elles sont justifiées, qu'avons-nous donné à nos chouhada et qu'avons-nous fait pour protéger leurs dépouilles et défendre leur mémoire ? Depuis que nous savons que la dépouille du colonel Amirouche était séquestrée dans les locaux de l'Etat, qu'avons-nous fait pour rendre justice à ce chahid ? Cette question pertinente mérite d'être posée même à notre président de la République, qui, plus est, est un moudjahid, et à beaucoup d'autres encore parmi les hauts fonctionnaires de l'Etat qui jouissent de biens et de privilèges grâce au sacrifice des Amirouche et Haouès. Pour ma part, et en toute modestie, ce que j'ai pu faire depuis, j'ai cherché et fouillé partout où j'ai pu le faire, rassemblant témoignages et documents, pour écrire un livre sur la séquestration du colonel Amirouche. Entre temps, à chaque 18 février, Youm Echahid, j'ai fait publier un texte de deux pages sous le titre «Après les ayants droit, où sont les ayants devoir ?». J'ai sensibilisé, espérant réveiller les consciences endormies, n'ayant pas eu d'échos, j'ai cru, un moment, que les hommes de nif étaient devenus race morte, mais j'en ai rencontré beaucoup et c'est ce qui me donne la force de continuer à espérer. Je ne perdrai jamais confiance en mon pays, c'est ce que m'ont enseigné mes maîtres, les authentiques révolutionnaires. En 1990, lorsque j'appris cette affreuse mauvaise nouvelle, j'étais directeur du centre culturel Debbih-Chérif à El-Madania. Le président de l'APC, M. Eliès Derriche, membre des 22, lors de mon installation à la tête de cet établissement public, m'a dit : «Tu peux perdre confiance en tout et en tout le monde, mais ne perds jamais confiance en ton pays.» C'était en 1986. C'est dans cette commune que j'ai passé mon enfance ; j'y ai appris le respect de la parole donnée et l'engagement patriotique. C'est là que j'ai appris le militantisme et à être un homme à l'exemple de nos héros, mais je ne suis pas sûr d'y être arrivé. C'est pourquoi j'essaye toujours de m'accomplir. Homme de culture, ayant une formation d'attaché de recherche historique, j'étais à proximité du musée national du Moudjahid à Riadh El-Feth lorsque j'ai appris ce qui était arrivé au héros de mes rêves d'enfant, à l'homme qui a été un exemple de bravoure, de détermination, d'abnégation et qui avait l'esprit de sacrifice. Seul dans mon bureau, j'ai pleuré jusqu'à n'avoir plus de larmes, j'ai pleuré de cette douleur de voir ce qu'un frère peut faire à son autre frère», celui qui a dit à son compagnon d'armes : si je venais à mourir, occupe-toi de ma femme et de mes enfants ! Oui j'ai pleuré en pensant à ce porte-parole des chouhada qui a dit : «Si nous venions à mourir, défendez nos mémoires.» Puis, n'ayant plus de larmes, j'ai fait la comparaison avec mon père que les soldats de l'occupation ont arrêté, torturé, tué, puis brûlé pour faire disparaître son corps. Je me suis dit que les Français auraient pu faire la même chose avec Amirouche, le brûler pour le faire disparaître, et s'ils ne l'ont pas fait, c'est qu'il y a des raisons. Celles qui me sont venues à l'esprit, c'est : a) le fait que cet homme était connu même en dehors de l'Algérie et de la France, ses faits d'armes ayant dépassé les frontières de ces deux pays, ceux qui l'ont tuer ne pouvaient pas le faire disparaître comme un quelconque combattant ; b) par ailleurs le ministère de la Guerre français, qui, bien sûr, croyait vaincre la rébellion algérienne, l'avait laissé là, sous terre ; peut-être prévoyait-il de lui faire jouer un rôle lorsqu'ils auraient maté la rébellion algérienne ? Allez donc savoir de quoi ils sont capables ; c) dernière hypothèse : il ne fallait pas le remettre à sa famille car son enterrement en Kabylie aurait fait de lui un marabout que les villageois auraient visité chaque jour pour implorer ces bienfaits et, par là même, entretiendront l'esprit de combativité des indigènes ; d) ce qui n'est pas une hypothèse, c'est que s'il avait été remis à sa famille, qui l'aurait enterré dans son village natal, il est bien évident qu'il se trouvera beaucoup de jeunes qui, en ayant sa tombe devant les yeux et en entendant ce qui se dit sur ce saint homme, voudront le venger, comme d'autres voudront continuer son combat, et tous deux finiraient dans le FLN/ALN pour ce faire. C'est ce que je méditais en me disant : je dois faire mon devoir, je ne peux pas rester les bras croisés. Dans cet état, j'ai passé des nuits à me demander comment faire. Etant fondamentalement non violent et faisant partie de ceux qui ont troqué le fusil pour la plume, j'ai pris mon stylo et j'ai commencé à écrire, décider à révéler cette affaire à tous ceux qui veulent savoir. J'ai décidé de dénoncer ce crime et ses auteurs, l'Etat Algérien, dont les dirigeants se prétendent être les frères moudjahidine. Et je leur ai dit qu'en commettant cet acte vis-à-vis de la dépouille du colonel Amirouche et de son compagnon Si El-Haouès, ils ont trahi l'engagement de ma jeunesse et la mort de toute ma famille et, à travers cela, tout le peuple algérien, plus particulièrement la jeunesse, celle pour laquelle nous, les toujours vivants, avons risqué notre vie et eux les martyrs l'avaient entièrement donnée. Donc, en ce qui me concerne, je me suis mis à dresser un canevas de travail dans le sillage duquel j'ai décidé d'aller à l'affût du colonel Amirouche pour le rechercher et le retrouver, pour me retrouver moi-même, et c'est ce que j'ai fait. Tâche ardue autant que difficile. Mais à coeur vaillant rien d'impossible. Ayant des responsabilités professionnelles qui me prenaient tout mon temps, j'ai pu, après plus de cinq ans, réunir ce qu'il me fallait d'informations et de témoignages relatifs à la vie d'Amirouche. Puis je me suis mis à la rédaction du manuscrit. Tout le livre était chapitré, revu, corrigé, mis au propre et terminé, ce qui m'avait pris encore cinq autre années. Nous sommes en l'an 2000, et il me fallait trouver un éditeur. J'ai commencé à faire du porte-à-porte et, au fur et à mesure, je m'apercevais que le plus gros travail n'était pas ce que j'avais déjà fait, mais ce qui restait à faire ! Et les maisons d'édition n'avaient pas l'air de vouloir faire leur devoir et participer à une oeuvre de bons sens. Alors, Amirouche n'a-t-il pas droit à un avocat ? Je me suis mis alors à chercher l'oiseau rare, celui qui allait avoir le courage de m'aider, d déterrer, encore une fois, le colonel Amirouche. L'ANEP, installée à l'époque à Bir Mourad Raïs, reçut ma visite et j'avais expliqué au directeur de cette agence l'objet de ma démarche. Il n'y a pas de problème, tout est possible ! Je n'en croyais ni mes oreilles ni mes yeux, j'ai laissé toutes mes années de travail entre les mains de ce monsieur, qui me remit un reçu en bonne et due forme datée du 24/10/2002 et je m'en suis allé heureux qu'il y ait de pareils hommes dans l'édition. Quelques mois plus tard, ce directeur me fit savoir que mon livre était passé à la commission de lecture et qu'il avait reçu l'accord à la publication à condition que je change ceci et cela, que je réaménage tel ou tel paragraphe. Allah yerham echouhada. Et vive l'Algérie, mon frère ! (A suivre) Chabane Nordine B.P. n° 255 El Madania, Alger e-mail : [email protected]