On ne ramène pas le talent, la jeunesse, la beauté du geste, la folie du panache pour les mettre sur le banc. Les jeunes veulent du panache. Joue et perds ! Mais joue ! Perds avec le panache ! L'insupportable, c'est le ridicule ! Bats-toi balle par balle, pouce par pouce, pied à pied et perds après une bataille pas un simulacre. Montre tes arguments, ton talent et perds. Laisse ton sang sur le terrain et perds. Nos jeunes diffèrent-ils des autres jeunes du monde ? Peut-être ont-ils la rage en plus et peut-être ne savent-ils pas que chacun des vieux réunis près de la mosquée ont entendu de leurs aînés, il y a si longtemps, face aux colons et aux désespoirs de la condition coloniale, l'injonction morale : «Meurs debout !» «Etre», c'est cela ; c'est mourir debout. Comment d'écho en écho l'injonction a épousé les formes et son époque ? Personne ne le sait mais personne non plus n'a avalé le papier de Libération. Plus que la Slovénie, ce papier a fait mal. Un papier meurtrier. Pas étonnant que Libération l'ait publié. Cette gauche sioniste avait envie d'en découdre avec l'image de beur habile au foot et dieu du stade. Incompréhensible autrement, la fixation sur les apparences physiques de nos athlètes et de l'entraîneur. Il ne s'agissait pas de parler de football mais de ridiculiser de «supposés dieux» du stade. Pour un dieu Zidane, Libération avait une fournée d'Algériens bouffons. Les jeunes ont compris instantanément. Ils n'avaient pas besoin de psychanalyse. Le métalangage, c'est leur pain quotidien ! «Donner l'occasion à cette ordure de parler ainsi de l'équipe nationale ! De parler ainsi de nous ! Vraiment, ça ne passe pas.» Il fallait les écouter, ces jeunes ! Toute la vieille expérience de lutte des ancêtres repasse par leur bouche : «Si tu tombes, ils t'achèvent.» Avec ses allures de débardeur qui vous balance les poids lourds, le fou de foot parle posément : «Si on perd avec l'Angleterre, “ils” vont faire la fête !» «Quand tombe le taureau, les couteaux abondent.» Libération ne sait pas quel crime il a commis. Sa vieille haine de gauche civilisatrice hier, sioniste et néocolonialiste aujourd'hui, a frappé durement le seul domaine d'échanges algéro-français qui soit respectueux et amical. Depuis toujours les gens du foot d'ici et de là-bas s'aiment bien et se respectent. Il n'y a pas de secret là-dedans : c'est le sport et, dans le sport, c'est la valeur du terrain qui compte, pas les préjugés, et c'est aussi le respect des règles et des lois de la confrontation. Jamais il n'y a eu de ressentiments algéro-français dans le foot : Libération vient de l'inventer. C'est lourd comme crime ! 3 - L'Angleterre, c'était pour nous, les Etas-Unis, c'est pour Gaza La mi-temps a coïncidé avec l'appel à la prière. Sans offenser personne à la mosquée, l'imam comme les fidèles ont donné l'air d'avoir fait vite, voire écourté pour ne rien rater de la deuxième mi-temps. Les jeunes en ont profité pour partager leurs impressions. Ça avait l'air d'aller. Même d'aller très bien. Nous avions des mines réjouies, ouvertes, soulagées. Jeu égal. Non, ils ont fait mieux, ils ont eu l'air de dominer. Puis, quarante-cinq minutes sont passées. C'est quoi ce nul ? Des maisons, des villas ou des immeubles, nulle clameur n'est montée. Un silence émerveillé a suivi. Puis, une voiture est passée, tous klaxons dehors — on peut utiliser cette expression ? Nous avons mis quelque temps pour mesurer les choses. Nous avions fait jeu égal avec l'Angleterre. Il nous faudra quelques heures, quelques jours pour comprendre. Personne ne pourra se moquer de nous. Ni les revanchards qui criaient à la qualification imméritée ni surtout ce torchon de Libération et, si cela pouvait crisper José Garçon, ce serait encore mieux. Quelque chose de venimeux s'est glissé dans les beaux rapports algéro-français du football. Ils n'étaient pas accidentels. Avec Finkielkraut et Zemmour, on la sentait venir cette espèce d'amalgame entre le sionisme et le racisme d'extrême droite. Il y avait problème dans la similitude du langage entre Zemmour et le journal Minute. Les jeunes s'en fichaient royalement. «Nous avions battu l'Angleterre. Non, ce n'est qu'un nul. Oui, mais c'est un nul victorieux et pourquoi couper les cheveux en quatre avec les Français : ils nous sont rentrés dedans, on leur rentre dedans.» Les jeunes avaient-ils raison ? Jean-Marie Molitor, directeur de Minute, se fend d'un papier où il cite Zemmour et Finkielkraut et reprend avec enthousiasme leurs arguments. De quoi perdre la boussole. Mais à Paris, Krimo suit tout cela. Il aime le football, il aime surtout l'Algérie. Je lui demande si Zemmour et Minute sont sur le même combat. Lisez la réponse de Krimo : «Saha Khouya !» Zemmour a déjà sévi dans une radio «Front national» dont j'oublie le nom, «Mosaïques», je crois, et que dire de Finkielkraut, sinon qu'il est comme Zemmour et bien d'autres pseudo-penseurs «démocrates» à l'avant-garde de la grande supercherie contemporaine via la chimérique civilisation judéo-chrétienne, cheval de Troie ou tête de bélier du sionisme mondialisé. (Suite et fin)