Il fut un temps où les aînés éduquaient les jeunes à coups de légendes anciennes, sortes d'histoires tirées du vécu collectif et comportent toujours une leçon de morale à retenir pour la vie. Ce que nous vous proposons aujourd'hui nous a été transmis il y a de cela quelques jours par une vieille qui, dans son enfance, a reçu une éducation épanouissante auprès de sa grand-mère férue de littérature populaire. Il s'agit d'une histoire véhiculée par l'oralité sous différentes variantes. Elle est tellement convaincante qu'à une certaine époque, l'école en a fait un support écrit à caractère éducatif pour illustrer des principes de moralité trop abstraite pour être compris des petits auxquels ils se destinent. Nos ancêtres sûrement en avance sur nous sur le plan de la moralité étaient persuadés que l'enseignement des bonnes manières ou des règles de conduite en société et à l'école devait commencer dès la plus tendre enfance. Ceux qui ont fréquenté les vraies écoles coraniques d'antan en ont fait l'expérience. «Aussi de mon temps, dit-elle, celle qui nous rapporte cette légende, les enfants de quatorze ans raisonnaient en adulte, contrairement aux adultes d'aujourd'hui qui ont des comportements enfantins.» Avant d'en arriver au stade de la maturité, ils avaient retenu depuis l'âge de cinq ans, des poèmes éducatifs, proverbes, contes, légendes qu'on leur avait choisis pour les préparer à la vie en société. Ils portent sur l'amour du travail et des parents, l'effort constant qu'on doit fournir pour réussir honnêtement, le sens de l'homme, l'honnêteté le respect des autres. La légende que nous vous rapportons rappelle le parricide qui ne dit pas son nom chez nous, même s'il est devenu un phénomène courant, par l'absence totale des repères et d'une éducation digne de ce nom. Il s'agit d'un vieillard qui tremblait et qui, dès qu'il se mettait à table, bavait involontairement et faisait tomber les assiettes. Il était le père de l'époux d'une méchante femme qui avait fini par ne plus supporter le croulant, avec la complicité de son mari trop bon pour crier au scandale. Chaque jour, elle lui répète sur un ton de mépris : «Débrouille-toi, éloigne-toi d'ici, il nous salit la table avec sa bave. Fais-lui une écuelle en bois et porte-lui à manger dans sa chambre. C'est un impotent que je n'arrive plus à supporter.» Le mari fit ce qu'on lui avait dicté. Il essaya de convaincre son vieux père, d'aller manger seul pour ne plus gêner, mais en vain. « Javais, dit-il à son fils et je continuerais à manger à la même table.» Cette dernière devenait de plus en plus arrogante au point de faire sentir à son beau-père croulant qu'il ne faisait plus partie de la famille. Et l'époux, non conscient de ses devoirs vis-à-vis de son vieux père, finit par céder. Il alla vers son atelier pour lui tailler une écuelle en bois comme cela avait été exigé par sa méchante femme. Il était ébéniste de métier comme le furent son père et son grand-père. Il se mit à l'œuvre et au fil des heures, l'ustensile prenait forme. Il avait presque fini lorsqu'il s'était rendu compte que son fils travaillait lui aussi en silence dans un coin du même atelier. «Que fais-tu là mon enfant ?, lui dit-il. D'habitude, tu es avec tes camarades et je trouve anormal que tu sois là depuis des heures, concentré sur ton travail.» «Moi aussi, lui répondit le fils, je suis en train de te préparer pour ta vieillesse une écuelle dans laquelle je te donnerai à manger.» C'était à ce moment-là qu'il avait mesuré toute la gravité de son acte. Sans hésiter et sous les yeux écarquillés de son héritier, il cassa l'écuelle qui lui avait coûté tant d'efforts et se rendit immédiatement auprès de sa femme pour la prévenir. «On n'a qu'un seul père et une seule mère dans sa vie, lui dit-il sur un ton ferme qu'on ne lui connaissait pas. Il me reste mon père et mon devoir sacré, c'est de le respecter et de lui faire tout le bien auquel il a droit jusqu'à son dernier souffle. Si cela te déplaît tu n'as qu'à partir.» Quant à la virulente épouse, elle finit par comprendre qu'elle avait failli faire porter à la famille tout le poids d'un sacrilège et d'un remord à vie.