Après une effroyable période faite d'agressions, d'extermination et d'exploitation inhumaine pratiquées à l'encontre des peuples colonisés, les grandes puissances européennes durent, juste retour des choses, affronter ces peuples qui avaient engagé des luttes et des guerres pour obtenir leur émancipation au prix de sacrifices inouïs durant une bonne partie du XXe siècle dernier. L'Asie et l'Afrique ont été pendant ces années théoriquement partagées et des frontières séparent les domaines coloniaux : si l'on peut représenter l'étendue des empires dans les atlas, l'essentiel reste à faire pour contrôler réellement les terres conquises. Déjà les révoltes des peuples opprimés En fait, les Asiatiques et les Africains résistent à ce partage. Leurs révoltes étaient parfois violentes mais de courte durée et désespérées, à cause de l'inégalité d'armement : c'est le cas pour les Ashantis, en 1900 ; pour les Boxers, en Chine, en 1899-1900 ; pour les Maji-Maji contre la dureté de l'occupation allemande au Tanganyika, de 1905 à 1907. Ces révoltes, encore mal étudiées, démentent l'idée que des peuples passifs ont subi la colonisation dans des continents voués à la dépendance. Les résistances sont parfois difficiles à vaincre : celles de Samori en Afrique occidentale (1884-1898) ; de Madagascar (1898-1904) ; des Pavillons-Noirs en Indochine (1873-1913) ; des Senoussis, confrérie islamique de Libye en lutte contre l'Italie (1912-1931). Résistances en terre d'Islam Dans les pays musulmans un élément nouveau apparaît avec la renaissance de l'Islam, si visible déjà en Afrique Occidentale au XVIIIe siècle, comme pôle de résistance à l'Europe: au Soudan – où un mahdi crée un véritable Etat islamique qui résiste aux assauts de 1881 à 1898 ; en Tunisie ; dans les Indes néerlandaises, où une guerre sainte est conduite de 1881 à 1908 ; bien plus encore en Afrique Occidentale et au cœur de l'Asie, où des révoltes se produisent simultanément en 1916. Tous ces événements, auxquels on a prêté peu d'attention, marquent des jalons de cette renaissance. De même, l'hindouisme et le confucianisme constituent en Asie des remparts antioccidentaux. Parfois les résistances se veulent modernes, empruntant les modèles politiques et militaires aux Européens. C'est le cas de Samori – mais il a échoué – ou de l'Indian National Congress, né dès 1885. Ces mouvements «modernes» jettent les bases des nationalismes qui vont remettre en cause la présence européenne, surtout après 1945. Le monde colonisé par l'Europe avant 1914 En 1914, la grande expansion territoriale est pratiquement achevée. Elle a affecté très différemment les continents. L'Amérique du Nord est tout à fait indépendante (les Etats-Unis), ou largement autonome (le Canada). L'Amérique centrale et du Sud, les Caraïbes ont été profondément marquées par les contrecoups des révolutions et des guerres en Europe. Indépendante dès 1804, Haïti préfigure la situation, faite d'indépendance formelle, de dépendance économique et de profonde inégalité sociale, que connaît aussi tout le sud du continent à partir du Mexique. Séparé du Portugal dès 1822, le Brésil est devenu pour longtemps une véritable colonie économique de la Grande-Bretagne. Sur le continent ne subsistent comme colonies réelles que les Guyanes. Dans la zone des Caraïbes, la situation est beaucoup plus complexe : des restes d'empires y appartiennent encore à la France, à la Grande-Bretagne, au Danemark, aux Pays-Bas. Certains ont subsisté jusqu'à nos jours sous des statuts nouveaux. L'influence américaine y est de plus en plus forte. A l'occasion des conflits entre l'Espagne et certaines parties de l'ancien Empire espagnol, les Etats-Unis ont pris Porto Rico, puis imposé une totale dépendance économique à Cuba (1903), libérée de sa métropole en 1898 par la guerre. Les Américains ont même provoqué la sécession du Panamá, qui se sépare en 1903 de la Colombie, et prend ainsi le contrôle de toute la zone du canal. Dans toute la région de protection de leur façade méridionale, les Américains imposent avec des arguments toujours renouvelés, tirés de la doctrine de Monroe («L'Amérique aux Américains»,1823), leur droit permanent d'intervention. La zone Pacifique, parsemée d'îles, a été partagée sans beaucoup de peine. Les Etats-Unis, qui voient déjà dans la Chine leur «nouvelle frontière» occidentale, se sont assuré des positions. Après l'achat de l'Alaska à la Russie en 1867, ils annexent l'archipel des Midway la même année, celui d'Hawaii et l'île de Wake en 1898. Dans la guerre de libération qui opposait les Philippins aux Espagnols, les Etats-Unis imposent leur arbitrage et occupent l'archipel en 1898 ; cette annexion, interrompue de 1941 à 1945, cesse officiellement en 1946. L'Asie, du moins dans sa partie septentrionale, est moins touchée. La massive Chine ne cède des concessions aux Européens que sur les seules côtes méridionales: en 1557, Macao est aux mains des Portugais, et Hongkong est cédée en 1842, par contrat, au profit des Britanniques. Le Japon, au prix de quelques concessions économiques et d'une modernisation très rapide de ses infrastructures, fait mieux que résister ; il commence une expansion sur le continent. C'est ainsi qu'il impose le partage de la Mandchourie aux Russes après les avoir vaincus à la bataille navale de Tsushima en 1905. En revanche, le sud du continent n'échappe pas au partage. La Grande-Bretagne, la France – qui garde quelques comptoirs en Inde, et qui occupe la péninsule indochinoise – en sont les principaux acteurs. Les Néerlandais conservent un empire indonésien où le système d'exploitation des plantations est particulièrement dur. L'océan Indien est lui aussi partagé : points d'appui, les îles à sucre reviennent principalement aux Britanniques et aux Français. (A suivre)