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Les mystères de la vallée du Côa
Art paléolithique
Publié dans La Nouvelle République le 16 - 08 - 2010

Le ruban de goudron brille sous le soleil intense au-dessus du Douro et de son affluent, le Côa. Entre les murets de schiste poussent quelques oliviers et amandiers. Le minéral semble vouloir tout engloutir. La petite route flambant neuve débouche sur le Musée du Côa, entièrement consacré à l'art rupestre paléolithique et de l'âge de fer découvert dans la vallée du Côa, affluent du Douro.
Le musée, inauguré le 6 août dernier, a cette particularité double d'être à la fois en avance- son inauguration était prévue pour septembre/octobre 2010 - et d'être en retard d'une bonne douzaine d'années sur le projet initial. Ce retard est dû à des contingences «paléopolitiques» comme l'écrit avec ironie António Martinho Baptista, archéologue, ancien directeur du Centre national d'art rupestre, entre-temps dissout, et l'un des meilleurs spécialistes des gravures découvertes dans la vallée du Côa.
Sans nul doute, le temps de la réflexion a permis d'éviter le pire : pas de construction mégalomane, de volumes post-modernismes, de «volonté de laisser sa marque à tout prix» des architectes, Tiago Pimentel et Camilo Rebelo. Les deux jeunes et talentueux concepteurs ont voulu littéralement ajouter une pierre à l'édifice : perché à 170 mètres d'altitude, leur musée se fond dans le paysage, bloc schisteux bien imité, de pur béton contemporain. L'édifice a beau avoir 4 étages, il est d'une incroyable discrétion. La subtilité de la structure, ses ouvertures sur le vide et les vallées des cours d'eau qu'elle domine confirme l'impression dominante : ici règne le mystère.
«Les gravures ne savent pas nager»
En 1994, à Canada do Inferno (le canyon de l'enfer), lieu dit sur l'une des rives du Côa, un œil aguerri identifie la silhouette d'un animal gravé dans une roche. On procède alors à des sondages et des repérages pour construire le barrage sur la rivière Côa, non loin de son embouchure avec le Douro.
Les spécialistes, sans le savoir, viennent de faire une extraordinaire découverte. «Nous ignorions ce qui nous attendait en découvrant Canada do Inferno ; que d'une pierre gravée, nous allions aboutir à des dizaines puis des centaines et aujourd'hui des milliers de gravures. C'était une révolution : jusque là, on pensait que l'art rupestre de l'époque paléolithique (20 000 ans avant notre ère) ne pouvait se trouver que dans des grottes, dont Lascaux et Chauvet en France et Altamira en Espagne, sont les plus beaux exemples», explique Alexandra Lima, archéologue, coordinatrice du Musée du Côa.
Il y a quinze ans, le barrage en projet menace d'engloutir à jamais les magnifiques représentations d'animaux de l'époque glaciaire, les aurochs (ancêtres des taureaux actuels, pesant le double de poids), les chevaux, les chèvres, les chamois et bouquetins. Naît alors le mouvement anti-barrage, première grande mobilisation civique du Portugal. Des jeunes installent leurs tentes sur les pelouses du monastère des Jeronimos à Lisbonne en signe de protestation, les intellectuels se mobilisent et les politiques entrent en jeu. Le président de la République de l'époque, le charismatique Mario Soares, reprend à son compte le thème d'un rap célèbre et lance un : «Les gravures ne savent pas nager ce qui met un terme au projet du barrage.»
En 1998, les gravures de Foz Côa sont inscrites au patrimoine mondial de l'humanité de l'UNESCO. En 1999, la découverte, au lieu-dit du Fariseu, d'une roche recouverte par des sédiments datés selon les méthodes de datation les plus modernes, a permis de mettre fin – ou presque- à la polémique sur l'âge des gravures.
Un art énigmatique
Outre son architecture réussie, le musée permet de rendre accessible un art rupestre difficile à voir et à comprendre. Certaines gravures peuvent atteindre 3 mètres, mais elles sont sous l'eau. D'autres sont minuscules, ou bien la superposition des traits ne permet pas à un néophyte de deviner leur présence sur une pierre. Sacrifiant au multimédia, les salles du musée, spacieuses et dépouillées, viennent compenser la difficulté, et se parcourent comme un livre d'histoire.
Mais à chaque page, le mystère semble s'épaissir sur la vie de ces lointains ancêtres. «Les chercheurs ont pu reconstituer le modèle de vie de ces tribus. Sur les plateaux, les campements réservés à la chasse au printemps. La viande et la peau des animaux étaient traitées sur place selon les vestiges retrouvés. Ensuite, les chasseurs retrouvaient leurs campements habituels au fond de la vallée. L'ensemble de Foz Côa, qui s'étale sur 17 km au moins, montre l'importance de la région pour les tribus de l'âge de glace», précise Alexandra Lima. Pour le reste, c'est l'inconnu. « On ne peut que procéder par analogie. Eliminer les hypothèses. Mais on ne pourra probablement jamais comprendre qui étaient ces hommes, et comment ils vivaient», estime Mario Reis, archéologue au parc de Foz Côa.
Concordance avec le site espagnol de Siega Verde
Véritables fouilleurs de roches, arpenteurs de terrains escarpés, découvreurs de talents de graveurs, Mario Reis et ses collègues (sept scientifiques) ont identifié près de 900 roches et recensés une soixantaine de sites.
«L'inscription, le 1er août, du site espagnol de Siega Verde en Espagne (gravure paléolithique) au patrimoine mondial de l'UNESCO apporte de l'eau à notre moulin. Nous pensons que cette région fait corps avec Foz Côa, en est peut-être un prolongement. Cela donne encore un peu plus de valeur à nos découvertes.»
Les pierres gravées étaient-elles des lieux de rendez-vous entre tribus ? Avaient-elles des fonctions spirituelles ? Y priait-on ? Servaient-elles à signaler les troupeaux ? Les théories se bousculent, les hypothèses s'annulent. Sous l'influence des archéologues français et italiens très impliqués dans les fouilles de Foz Côa, l'analyse structuraliste semble s'imposer pour aborder l'énigme des gravures.
Une fondation pour valoriser un riche patrimoine
Le musée de Foz Côa prétend faire le point des connaissances sur l'art rupestre. Le recours au multimédia, la présentation aérée, jouant beaucoup sur l'impact visuel provoqué par les reproductions d'animaux sur les murs, la présence attentive des archéologues pour expliquer aux visiteurs, tout contribue à rendre les gravures accessibles.
Car, dans la réalité, seuls trois sites sont ouvertes au public. Le parc archéologique, qui veille jalousement sur les pierres gravées, organise des visites pour environ 20 000 personnes par an.
Le musée, qui représente un investissement de 18 millions d'euros dans une région pratiquement aussi déserte qu'à l'âge de glace, ne veut pas inciter à un tourisme de masse. Mais il espère contrebalancer les difficultés d'accès aux pierres gravées et à l'univers du peuple de la glace. La fondation qui va être créée et qui regroupera l'ensemble des activités du parc archéologique aura pour mission de dynamiser la région et de soutenir l'activité scientifique.


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