Ce témoignage accablant est cité par le réalisateur français Daniel Kupferstein dans son film documentaire d'une poignante vérité, «17 octobre 1961, dissimulation d'un massacre» projeté jeudi soir au Centre culturel algérien (CCA) à Paris, dans le cadre d'une rencontre débat avec l'écrivain J. L. Einaudi, organisée à la veille de la commémoration des massacres perpétrés en cette date par le préfet de police Maurice Papon et sa police auxiliaire contre une manifestation pacifiste d'Algériens. Ce film documentaire de 52 mn, monté sur un récit chronologique, revient sur les traces de ces manifestations, organisées à l'appel de la Fédération de France du FLN, pour protester contre le couvre-feu imposé aux Algériens. Construit sur une avalanche de témoignages hallucinants, de révélations et de vérités longtemps refoulées, le film explique pourquoi ce crime a été occulté, pourquoi cette histoire a été dissimulée, dans quelles conditions et au nom de quelles raisons des responsables d'un Etat dit démocratique, ont-ils caché l'ampleur et la gravité de tels événements? A travers les témoignages d'anciens ministres français, de journalistes et d'historiens, en quête de vérité, ce documentaire se présente comme une contribution destinée à faire en sorte que les événements tragiques du 17 octobre 1961 retrouvent toute leur place dans la mémoire collective et intègrent ces pages tues de l'histoire. Le journaliste Georges Mattei, celui qui fut à l'origine des travaux de recherches de J. L. Einaudi sur les massacre du 17 octobre, apporte de son côté un témoignage lourd de vérité sur cette date. «L'impression que je garde des scènes de violence, dira-t-il, c'est que le peuple de Paris s'est transformé en indicateur, en auxiliaire de la police et dénonçait les Algériens qui se cachaient dans des maisons pour échapper à la sauvagerie dont ils faisaient l'objet», dira-t-il, le regard lourd de reproches. Sur un reportage réalisé et diffusé à l'époque sur la chaîne de télévision Antenne 2 à 20h30, qui fit scandale parce qu'il dénonçait les massacres, le journaliste Marcel Trillat dira avec émotion que ce qu'il espérait surtout, c'est que ce reportage «serve de sépulture à tous ces Algériens porté disparus et probablement enterrés dans des fausses communes comme des chiens». «Ne pas parler de la guerre d'Algérie, fait partie d'un patrimoine commun à la gauche et à la droite», souligne l'historien Pierre Vidal-Naquet, auteur du livre La torture dans la République sur le silence entretenu par le gouvernement de la France coloniale au lendemain des massacres. Dans les semaines qui suivirent ces «ratonnades», Maurice Papon, avec l'appui du ministre de l'Intérieur Roger Frey, du Premier ministre Michel Debré et du président de la République Charles De Gaulle, fera tout pour faire échouer les demandes de commissions d'enquête, faite au Conseil municipal, au Conseil général de la Seine et au Sénat, rapporte le réalisateur qui revient longuement sur le combat de Jean-Luc Einaudi, qui a mené une enquête minutieuse sur les massacres, face à Papon. Le 20 mai 1998, J. L. Einaudi écrivait dans le journal Le Monde : «En octobre 1961, il y eut à Paris un massacre perpétré par des forces de police agissant sous les ordres de Maurice Papon.» En juillet 1998, Papon porte plainte pour diffamation contre un fonctionnaire public. Pour préparer sa défense, Jean-Luc Einaudi compte sur les documents officiels dont il a demandé communication, trois mois plus tôt, aux Archives de Paris. Faute de pouvoir produire des documents écrits attestant de la responsabilité de la préfecture de police, dirigée par Maurice Papon en octobre 1961, l'historien sollicite le témoignage de deux conservateurs des Archives de Paris, qui acceptent et témoignent, l'un par écrit et l'autre à la barre. Maurice Papon, présent, fait témoigner en sa faveur, entre autres, l'ancien Premier ministre Pierre Messmer, tandis que Jean-Luc Einaudi fait venir à la barre des témoins directs des massacres d'octobre 1961. Hachemi, Cherhabil, Ahcene Boulanouar, Mustapha Cherchari, Zineddine Khiari, Saâd Ouazène et tant d'autres racontent alors les sévices subis ce jour-là. Ils ont échappé à la mort mais les séquelles sont encore vivaces. Le 26 mars 1999, Maurice Papon est débouté de sa plainte et l'historien relaxé au bénéfice de la bonne foi. Deux archivistes sont sanctionnés pour avoir témoigné. Monique Hervo, ancienne du service civil international de Nanterre et qui témoigna également lors de ce procès, dira qu'elle l'a fait parce que la mémoire, « nous la devons à tous ceux qui ont souffert qui ont donné leur vie, à tous ceux qui ont été torturés». «Au lendemain du 17 octobre, dit-elle, les bidonvilles de Nanterre n'étaient plus rien d'autre qu'un hôpital de campagne, tant les blessés étaient nombreux et lorsque j'ai témoigné, c'était pour moi rendre hommage à tous les Algériennes et Algériens qui ont lutté pour l'indépendance de leur pays.» «L'oubli, c'est la continuation du massacre. L'oubli ce n'est pas seulement porter injure à ceux qui sont morts, à ceux qui portent sur leur corps les séquelles des tortures subies, c'est également faire injure à tout un peuple et au-delà, s'agissant d'un crime contre l'humanité, c'est faire injure à l'humanité toute entière», dira quant à elle l'avocate Nicole Dreyfus Schmidt citée comme témoin. Le débat qui suivit cette projection, permit à J. L. Einaudi de revenir longuement sur la bataille des archives sur ces massacres qui sont encore occultes pour beaucoup d'historiens. Il précisera notamment, qu'en 2000 il obtient une dérogation pour consulter les archives qui lui ont permis, pour le 40e anniversaire, de publier de nouvelles révélations sur les morts et disparus après le 17 octobre. Mais il ajoutera surtout, qu'«on peut toujours dire qu'on doit ouvrir les archives mais si un ministère comme celui de l'Intérieur, ne verse pas ses archives aux Archives de France».