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«Nous avons compris» (I)
Manifestations de Décembre 1960
Publié dans La Nouvelle République le 29 - 11 - 2010

L'orientation de la politique de la France à l'égard de l'Algérie après l'arrivée au pouvoir du général De Gaulle s'est traduite par la mise en œuvre d'une stratégie globale tendant à substituer au système colonial un système néocolonial pour empêcher que l'Algérie ne prenne place dans le monde arabe et musulman, une fois l'indépendance acquise. Et dans le cadre de l'indépendance de l'Algérie dans l'interdépendance de la France, il s'agissait d'éviter que l'Algérie indépen- dante ne s'éloigne trop de la France sur les plans politique, économique et culturel et ne se reconstruise sur une base autonome pour répondre aux aspirations du peuple algérien, profondément attaché à l'Islam et à ses valeurs qui enseignent, notamment, la liberté, l'unité, la fraternité, la solidarité et la justice sociale. Dès le début, le général De Gaulle était convaincu de l'avènement incontournable de l'indépendance politique de l'Algérie. Mais il n'a pas épargné ses efforts pour briser le mouvement armé de libération nationale en renforçant considérablement le potentiel militaire offensif français. Les opérations de l'armée française les plus intenses et les plus féroces menées depuis novembre 1954 contre l'ALN et contre le peuple algérien, notamment dans les régions montagneuses et les zones rurales, avaient eu lieu sous le gouvernement De Gaulle. Il s'agissait de saigner l'Algérie profonde en la frappant dans sa substance. Mais, parallèlement au renforcement sans précédent de l'armée française dans ses actions répressives et inhumaines quotidiennes contre le peuple algérien aussi bien dans les campagnes que dans les villes, Charles de Gaulle envisageait une stratégie qui visait à détourner la Révolution algérienne du cours qui lui avait été défini par la déclaration du 1er Novembre 1954 et du congrès de la Soummam. Cette stratégie avait pour but de renforcer la présence française dans l'Algérie indépendante dans tous les domaines. Dans ce cadre, des mesures précises avaient été arrêtées pour l'Algérie dès 1958 dans les domaines politique, militaire, administratif, économique et culturel pour rendre irréversible et indéfectible la dépendance de l'Algérie à l'égard de la France après le recouvrement de son indépendance formelle, alors perçue comme inéluctable. Ces mesures venaient s'ajouter à celles déjà prises par les différents gouvernements français depuis le déclenchement de la Guerre de libération nationale dans le cadre d'une stratégie bien précise.
Cette stratégie a été présentée sous la dénomination séduisante de «l'Algérie algérienne» pour innover et se démarquer de celle de «l'Algérie française», défendue jusqu'alors officiellement par la France. Cette stratégie visait, notamment, à drainer les Algériens dans cette direction pour affaiblir, voire marginaliser le FLN.
Les Algériens, civils ou militaires, embarqués dans cette voie pour constituer «la troisième force», ne peuvent être tous considérés comme des agents au service de la France coloniale. Il y a eu certainement parmi eux beaucoup de gens de bonne foi, comme il y a eu des opportunistes et des gens qui ont suivi cette démarche par peur ou par instinct de conservation.
Notre analyse ne s'attarde pas sur ces différentes catégories qui, à un moment ou à un autre, ont adhéré à la cause de «l'Algérie algérienne» pour des raisons tactiques ou conjoncturelles, et ce pendant que le peuple algérien, dans un suprême élan de défiance, résiste, lutte et construit sa victoire par sa forme et son étendue dans l'espace et dans le temps et par ses conséquences immédiates, directes et lointaines. Les manifestations populaire de Décembre 1960 vont constituer une phase déterminante autant que culminante dans la lutte de libération du peuple algérien auquel la France oppose le plan machiavélique de cette guerre d'occupation coloniale auquel est opposée une lutte armée de libération.
En effet le peuple algérien, observateur, écoute et se confirme : «La sortie du tunnel est proche, il ne faut surtout pas fléchir maintenant.» Au point où en était la situation, la vie était devenue une sorte de labyrinthe où ils y avaient des passages secrets pour éviter les barrages et les problèmes de toutes sortes que créaient les forces d'occupation. La résistance, dans le louvoiement, avait trouvé une seconde nature, un état d'âme qui vous imprégnait dès que l'on sortait de chez soi, de son propre territoire, son secteur, son quartier et ces lieux communs où l'on retrouvait les personnes de confiance avec lesquelles on pouvait se relâcher et dire franc et fort le fond de sa pensée et, par la même, s'extérioriser en donnant libre cours à ses sentiments réelles. Dans ces moments, c'est comme si la peur, vaincue, avait été apprivoisée et n'existait plus car n'ayant plus d'effets sur ces gens qui vivaient avec elle. «La peur ne faisait plus peur» dans ces moments là seulement…
Ainsi, dans chaque coin des quartiers populeux de La Casbah, du clos Salembier, de Belcourt, d'El Harrach et d'autres à forte concentration de patriotes qui formaient des petits groupes, les vieux à l'écart, les jeunes plus en vue, et tenaient leurs conciliabules et leurs débats en plein air. L'ordre du jour étant partout et toujours le même : la libération de la patrie. Là s'échangeaient les informations colportées que chacun collectait à sa façon, déduisait à travers la rumeur ou lisait entre les lignes des journaux, surtout celles entendues la veille durant les heures du couvre-feu qui obligaient à s'enfermer chez soi, ou à la radio algérienne Saout El-Arab, qui transmettait, du Caire, la voix de l'Algérie libre.
Durant le couvre-feu, aux heures où le Français dormait, les indigènes veillaient, tendant l'oreille aux ondes, à l'écoute de la radio Algérie libre. Et à l'écoute du passage des patrouilles militaires qui pouvaient les surprendre et leur tomber dessus en entrant par les terrasses ou en défonçant les portes, qu'il ne servait à rien de renforcer et de barricader car cela équivalait à avoir quelque chose à cacher.
A l'intérieur de leurs maisons, tels des chats vivant dans le noir, la plupart des autochtones indigènes étaient branchés sur pile ou secteur. Et telles des ombres, hommes, femmes et enfants n'avaient d'oreille que pour la radio, dont les ondes brouillées, de Saout El-Arab, l'Algérie libre et indépendante, tard dans la pénombre de la nuit, émettaient sur la chaîne pour rapporter les faits d'armes des combattants de la liberté, les frères moudjahidine. Et dans le lourd silence de la nuit, seuls ceux qui savaient écouter avaient plus de raison que les autres de croire en la liberté.
Pour l'instant de l'histoire, la liberté, par les ondes, traversait tous les murs pour pénétrer dans les foyers et y apporter les directives du FLN/ALN. Armant ainsi les patriotes de mots d'ordre qui allaient se transmettre dès le matin par l'autre chaîne de communication, à savoir radio trottoir qui allait, quant à elle, prendre la relève pour alimenter les relais d'opinions éparpillés à travers la ville. Il y avait des regroupements à chaque coin de rue, des réunions secrètes et discrètes afin de transmettre le fluide de la guerre, comme seuls savaient le faire ceux qui avaient l'Algérie au coeur. Moteur de sensibilisation en puissance, ces rencontrent faisaient de nouvelles recrues pour l'action directe et chacun manigançait à sa façon, aiguisant un peu plus son coutelas, fignolant encore mieux son plan, projetant de rejoindre le maquis après un coup d'éclat ou l'élimination d'un ennemi dont il avait évaluait la nuisance… On en était là. Après le congrès de la Soummam la situation dans les villes a évolué si vite que la France avait perdu le contrôle de la société indigène, qui, elle, était arrivée à ce niveau de maturité révolutionnaire qu'avaient prédit les précurseurs de l'insurrection national : «Mettez la Révolution dans la rue et le peuple s'en saisira.» En effet, il apparaissait de plus en plus de jeunes patriotes qui la prenaient en charge et ne pouvaient que la mener à la victoire.
(A suivre)


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