Pendant ce temps, la classe politique tente de relever le défi, en appelant à accélérer le processus entamé avec la reprise en main du pouvoir constitutionnel par le président de l'Assemblée, après une longue journée de flottement. Les pourparlers se poursuivaient hier en vue de la constitution d'un gouvernement de «coalition» et la préparation de nouvelles élections présidentielles dans deux mois. Pour l'opposition démocratique, le succès de la transition est tributaire de l'existence d'une entente nationale. Mais le maintien d'anciens apparatchiks du régime, dont le président intérimaire, Foued Mebazaâ, et le Premier ministre, Mohamed Ghanouchi, dans leurs postes, fait peser un certain malaise dans les rangs de l'opposition qui craint ainsi d'être discréditée par la rue. A l'heure où des voix réclament le jugement des «bourreaux», la vindicte populaire a déjà fait au moins une victime dans la belle-famille, tant décriée, du président déchu. A cela s'ajoute la crainte d'une razzia islamiste, avec le retour attendu du leader exilé du mouvement En-Nahda, Rached El-Ghannouchi, suite à la chute du régime. Grande énigme, le mouvement islamiste tunisien s'était montré peu bruyant depuis l'éclatement des événements, et donnait l'impression de vouloir composer avec le reste de la classe politique. Sauf que depuis la chute du «dictateur», des groupuscules islamistes plus radicaux commençaient à se restructurer en comités de quartier et à investir le terrain. Autre aspect important de cette transition, l'attitude de l'armée nationale. Celle-ci aura, de l'avis unanime, joué un rôle déterminant dans l'évolution des événements. Selon les dernières indiscrétions révélées par la presse internationale, le chef de l'état-major de l'armée tunisienne, le général Ammar Rachid, aurait refusé tout simplement d'obéir à l'injonction du président Ben Ali d'utiliser la force pour mater les émeutes qui arrivaient à leur apogée et l'aurait menacé de «le livrer aux manifestants». Ce qui fait dire à certains observateurs que l'armée «a laissé faire» depuis le début. Une sorte de coup d'Etat militaire qui ne dit pas son nom. Fort de cette conduite «irréprochable» pendant les émeutes, contrairement à la police qui a fait preuve de brutalité, l'armée peut donc être un gage de réussite et un élément stabilisateur. Son premier acte depuis la chute de Ben Ali a été d'entamer une «purge» dans les différents services de sécurité, décrits comme largement corrompus et désavoués.