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Les roquettes du désespoir face à la machine à tuer israélienne
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 10 - 01 - 2009

A 14 heures, le 29 décembre 2008, un rassemblement de soutien aux Palestiniens de Gaza est organisé à Oran dans l'une de ses places centrales à proximité de l'Hôtel de Ville et de l'Opéra. Il est l'initiative de quelques universitaires et de fonctionnaires.
Ce rassemblement peu fourni, bien qu'il ne soit pas à la hauteur de la deuxième métropole urbaine du pays, a le mérite de marquer publiquement le soutien aux Palestiniens de Gaza et de dénoncer la violence israélienne qui s'abat sur cette portion des territoires palestiniens. Contacté par des collègues, j'ai pu à l'occasion d'un séjour dans ma ville natale participer avec beaucoup d'émotion à cette manifestation. Je voudrais prolonger mon engagement en livrant ma réflexion sur la question palestinienne et l'impasse dans laquelle elle se trouve.
L'opération « Plomb durci » menée par Israël sur la bande de Gaza confirme, de façon éclatante, le refus des Israéliens à choisir la solution politique au problème palestinien. Mais cette violence israélienne ne fut possible que parce qu'elle se trouve confortée par le silence de nombreux régimes arabes et se déroule sous le regard impuissant, voire complice de la communauté internationale. Face à des lanceurs de roquettes qui expriment leur désespoir, la redoutable machine à tuer israélienne a fait plus de 350 morts et 1500 blessés, femmes et enfants compris, en trois jours, détruisant d'importantes infrastructures socio-économiques et éducatives, plongeant ainsi la bande de Gaza dans un chaos qui aggrave encore plus ses innombrables difficultés.
Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères israélien, Vigal Palmor, ose parler d'enfer pour les Israéliens et pousse la plaisanterie jusqu'à dire que les extrémistes sont en train de saboter le processus de paix. Le porte-parole du gouvernement israélien, Avi Pazner, justifie l'action des militaires israéliens par cet éternel besoin de sécurité pour les Israéliens face à un adversaire qu'il qualifie de féroce qui ne veut pas la paix. Essayons de rappeler les processus de colonisation/appropriation/enfermement du territoire palestinien pour montrer le peu de crédit que l'on peut accorder aux déclarations de ces deux représentants du gouvernement israélien. Les questions démographiques et territoriales sont essentielles dans une première analyse.
La question démographique,
au cœur du conflit israélo-palestinien
Si la question démographique a toujours occupé une place importante dans le conflit israélo-palestinien, les flux migratoires en représentent, de toute évidence, la manifestation la plus significative. Ces flux se sont renforcés dès l'instant où la couronne britannique, sous la pression du mouvement sioniste, a encouragé la création d'un foyer juif en Palestine. C'est ce peuplement soutenu de la Palestine par des immigrants juifs qui, à un moment donné, avait conduit à un arbitrage de sortie de crise en proposant le partage en deux Etats, l'un juif et l'autre arabe. Mais qu'il s'agisse de la tentative britannique (Plan PEEL de 1937) ou onusienne (1947), elles ont toutes deux avorté, laissant place à une solution unilatérale.
La proclamation de l'Etat d'Israël en 1948 et la guerre avec les pays arabes voisins qui en a découlé sont les deux événements majeurs qui ont aggravé la dimension démographique du conflit. Pendant que se continuait le flux des immigrants, un phénomène inverse est apparu: une importante communauté palestinienne a dû fuir la terre natale.
Ce douloureux problème de l'exil a touché des centaines de milliers de Palestiniens qui ont trouvé refuge dans les pays arabes voisins et dans des morceaux de la Palestine, que le tracé de la ligne verte de 1949 avait raccrochés à l'Egypte (Bande de Gaza) et à la Transjordanie (Cisjordanie avec Jérusalem-Est). L'apparition de cette nouvelle catégorie de Palestiniens, les réfugiés, dont nombre d'entre eux vivent encore misérablement dans des camps, déracinés mais aspirant toujours au retour, rend la question démographique encore plus délicate dans les négociations de paix qui ont débuté dans les années 1990, tant les Israéliens sont encore farouchement opposés à leur retour par peur d'un déséquilibre démographique important. Selon les sources de 2005, 4 376 050 personnes sont reconnues comme réfugiés palestiniens ce qui correspond à peu près à 70% de la diaspora palestinienne. La bande de Gaza accueille 993 818 réfugiés dont 474 130 dans 8 camps. La situation intenable de Gaza est l'oeuvre planifiée de l'occupant israélien.( Voir tableau n°1)
Une autre catégorie de population est apparue aussi, c'est celle que les Israéliens appellent les «Arabes israéliens», ces Palestiniens qui se sont retrouvés de fait appartenir au nouvel Etat d'Israël. Dotés de la citoyenneté israélienne, mais ne jouissant pas des mêmes droits, ils développent des solidarités communautaires, initient des stratégies de proximité pour mieux affirmer leurs positions et lutter contre les inégalités qui les touchent. Des migrations internes très sélectives assurent de plus en plus la séparation entre les groupes ethniques, renforçant la ségrégation résidentielle et gommant toute forme de mixité sociale. Une bonne partie de cette communauté, qui fut englobée dans l'Etat israélien, développe un réel sentiment d'appartenance au peuple palestinien, phénomène qui s'est renforcé depuis les premières négociations de paix.
La guerre de 1967 avec l'occupation israélienne de la bande de Gaza, de la Cisjordanie et du Golan a posé en des termes nouveaux la question démographique. Depuis cette date, la stratégie israélienne a consisté à peupler et rogner les territoires conquis après la guerre des Six Jours.
Ce processus de conquête territoriale s'est matérialisé par la création de nombreuses colonies de manière à annexer durablement des morceaux entiers de la Cisjordanie, à récupérer quasi définitivement Jérusalem-Est, notamment en l'encerclant par des colonies et en érigeant un mur pour la séparer d'un territoire émietté, que l'on hésite à concéder aux Palestiniens par des voies de négociation.
La question démographique est désormais très complexe. Comment résoudre le problème du peuplement israélien et des annexions territoriales en Cisjordanie qui, à terme, devrait accueillir le futur Etat palestinien ?
La stratégie territoriale de colonisation puis d'annexion
Deux mouvements se sont opérés dans la stratégie territoriale de colonisation puis d'annexion:
- un redéploiement de la population juive de l'Etat d'Israël dans ses frontières de 1948 vers la Cisjordanie, Gaza et le Golan;
- une installation directe de nouveaux immigrants dans les territoires occupés après 1967.
La combinaison de ces deux mouvements introduit un mitage territorial sous forme d'implantation de colonies israéliennes sur les territoires occupés depuis 1967. Ce processus n'a pu réussir que grâce à l'aide de l'Etat israélien à deux catégories de colons: les «économiques» et les «idéologiques». Les premiers sont attirés par les facilités octroyées par le gouvernement et les associations, rendant l'accessibilité au foncier et à l'immobilier très attractive. Les seconds, bien que les coûts de l'immobilier et du foncier les attirent aussi, sont beaucoup plus animés par le désir de reconstituer l'Israël biblique en ne concédant aucune parcelle aux Palestiniens dans ce qu'ils nomment la «Judée-Samarie». Ces dynamiques démographiques, marquées par des mobilités géographiques importantes, participent au processus de conquête, de colonisation puis d'annexion territoriale, entraînant le morcellement des lieux habités palestiniens de Cisjordanie et un enfermement de la population dans la bande de Gaza, surtout après le retrait des colonies en 2005. Il est évident que ces mouvements démographiques ont eu et continuent d'avoir de graves répercussions géopolitiques dans la région. Si la greffe démographique initiale fut douloureuse et a entraîné des rejets dans la région, celle qui est pratiquée dans les territoires occupés est lourde de conséquences dans la mesure où elle annule les chances d'une paix durable dans la région car rendant de plus en plus difficile l'émergence d'un Etat palestinien autonome.
La bande de Gaza: colonisation,
désengagement et enfermement
Le désengagement de la bande de Gaza ne fait que confirmer l'échec du processus de colonisation. Les près de 9000 colons, qui exploitaient 40% des terres agricoles de Gaza et utilisaient plus de la moitié de l'eau disponible dans cette bande, ne pesaient pas lourd face au million et demi de Palestiniens dont le degré d'entassement et l'extrême pauvreté rendaient difficilement gérable cet espace. Exercer la sécurité dans la bande de Gaza nécessitait des moyens financiers importants et mobilisait de nombreux militaires.
Selon l'analyse du journaliste israélien Amnon Kapeliouk, le gouvernement israélien n'a fait que se libérer d'un fardeau devenu de plus en plus difficile à porter: «dans ces conditions, quitter Gaza n'est pas vraiment un sacrifice pour Israël,... mais plutôt un soulagement ». (Voir tableau n°2)
Les difficiles conditions du peuple palestinien
de Cisjordanie et de la bande de Gaza
Le peuple palestinien de Cisjordanie est empêché de vivre, de travailler et de circuler normalement. La diffusion du fait colonial israélien et le contrôle systématique de la mobilité de 2,5 millions de Palestiniens compliquent les rapports à un espace fortement fragmenté et hautement surveillé par l'armée israélienne. Dans la bande de Gaza, les conditions de vie sont encore plus dramatiques. Après le retrait des colonies israéliennes en 2005, l'enfermement de cet espace présenté comme solution de paix aggrave, en réalité, les conditions de vie de ce 1,5 million de personnes. L'évolution du peuplement palestinien se réalise, donc, dans un environnement socio-économique très dégradé, de pressions constantes et de contraintes imposées par l'occupant. Si on examine les taux annuels de croissance en utilisant les sources de l'organisme des statistiques palestinien (PCBS), on constate, malgré les conditions difficiles, l'extrême vigueur de la croissance démographique palestinienne. Entre 1997 et 2006, le surplus démographique estimé par le PCBS est évalué à plus de 1,1 million de personnes, ce qui donne un accroissement de l'ordre de 3,7% par an sachant que le solde migratoire n'est intervenu que marginalement dans cette évolution. La Cisjordanie, avec un taux de 3,49% par an, a accueilli à peu près 660 000 personnes supplémentaires et Gaza, cette étroite bande de 365 km², en a reçu 450 000, ce qui donne un taux de 4,18%, nettement supérieur à celui de la Cisjordanie. Les estimations du PCBS évaluent la population des territoires palestiniens (Jérusalem-Est inclus) à 3 952 354 habitants en 2006, ne représentant que 38% des Palestiniens, diaspora comprise. Cet accroissement important est le résultat d'une forte natalité, estimée à 37,3_ pour l'ensemble des territoires palestiniens, mais beaucoup plus élevée dans la bande de Gaza (42,2_). La population âgée de moins de 15 ans concerne 45,8% des Palestiniens et atteint la part de 48,9% dans la bande de Gaza. La pyramide des âges indique l'extrême jeunesse de la population de Gaza, résultat d'une fécondité se situant à un niveau encore très élevé. Les indicateurs démographiques de base, publiés par le PCBS, résument parfaitement les problèmes auxquels est confrontée la population palestinienne. Le poids d'une jeunesse considérable est aggravé par un chômage élevé dépassant les 30% dans la bande de Gaza et largement supérieur à 20% en Cisjordanie.
Les roquettes du désespoir du peuple palestinien de la bande de Gaza pour dénoncer le siège imposé par Israël ont entraîné une réaction démesurée et disproportionnée. Comment peut-on respecter une trêve dans des conditions aussi difficiles ?
Les Etats arabes et la communauté internationale devraient imposer à Israël un processus de paix global et permettre la naissance d'un Etat palestinien souverain. C'est cette solution qui garantira la sécurité à Israël et non le pilonnage de Gaza comme elle le fait actuellement sous le regard impuissant de la communauté internationale.
* Professeur de géographie à l'université de Cergy-Pontoise (France)
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A participé comme coauteur dans deux ouvrages de géopolitique au Moyen-Orient :
- J.P. Chagnollaud et S.A. Souiah, Les frontières au Moyen-Orient, L'Harmattan, 2004
- P. Blanc, J.P. Chagnollaud et S.A. Souiah, Palestine : la dépossession d'un territoire, L'Harmattan, 2007
Amnon Kapeliouk, les dessous du désengagement israélien, Le Monde Diplomatique, décembre 2004


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