La collecte des ordures ménagères donne quotidiennement du fil à retordre aux 53 éboueurs communaux affectés au service du nettoiement du chef-lieu de wilaya. Quelques quarts d'heure après leur passage, les artères principales et boulevards de la ville ressemblent à un véritable champ de bataille. Cannettes, bouteilles en verre, cageots débordants de détritus ménagers jonchent les trottoirs à longueur de journée et plus particulièrement le week-end, où le manque de civisme de certains commerçants ayant pignon sur rue en plein centre-ville n'hésitent pas à jeter dans tous les sens les emballages vides de leurs marchandises devant même le seuil de leurs boutiques respectives. Des odeurs suffocantes et nauséabondes flottent dans l'air, favorisées en cela par la putréfaction des déchets ménagers due à la montée du mercure. Mais quelle mouche a donc piqué tout ce beau monde pour piétiner ainsi les règles d'hygiène les plus élémentaires ? L'insalubrité publique est-elle entrée par la grande porte dans leurs moeurs ? Un tableau peu idyllique s'offre chaque jour que Dieu fait aux voyageurs et fidèles matinaux qui font de nombreux détours pour éviter ces montagnes de détritus, lieux de prédilection d'une gent canine très agressive. A El-Bayadh, nous confiera le jeune Kay, avec un sourire aux lèvres, tous les chemins mènent on ne sait Dieu où. Cette réflexion traduit à elle seule l'état de déliquescence de toutes les artères de la ville, y compris les places publiques des 26 quartiers de la ville du Ksel, et les éboueurs ne savent plus où donner de la tête pour remplir leur mission ô combien délicate. Même les bacs à ordures, installés au niveau de chaque coin de rue, dont plus de la moitié a subi des actes de vandalisme, n'ont réussi ni à contenir les déchets ménagers rejetés, ni à convaincre les commerçants les plus irréductibles et insouciants sur ce simple acte de civisme qui consiste à préserver la salubrité de la voie publique. Seules les meutes de chiens et de chats errants trouvent de quoi se régaler en tout lieu et en tout moment et leur prolifération n'inquiète nullement les élus locaux, qui font de ce phénomène le cadet de leurs soucis. Ils ont peut-être d'autres chats à fouetter, concluront les mordus des deux-roues qui empoisonnent la vie des paisibles citoyens du début de la soirée et jusqu'à une heure tardive de la nuit. Passer ses vacances à El-Bayadh et prendre un bol d'air frais pour les Bécharis mordus de la fraîcheur des nuits de cette ville est plutôt à déconseiller, pis encore à oublier. L'été à El-Bayadh n'est plus ce qu'il était auparavant. Autres temps, autres moeurs. Cortège nuptiaux qui défilent à l'allure d'un rallye automobile, jeunes motards défiant toutes les lois de la physique et de l'apesanteur, noces tonitruantes, soirées animées par des disc-jockeys dont la musique dépasse le mur du son dans chaque quartier de la ville. Figurez-vous que ce n'est là qu'une partie du chapelet des désagréments et des nuisances sonores subis par une large frange de la société. Que reste-t-il pour elle : se cloîtrer dans de minuscules F2 et prier Dieu pour qu'une quelconque autorité, chargée de veiller au grain et à la quiétude des autres, puisse enfin lever le petit doigt pour mettre fin à ce cycle nocturne infernal quotidien qui, hélas, s'est ancré dans nos moeurs au fil des étés. Les deux seuls jardins publics, destinés à servir de refuges et de lieux de méditation pour les retraités et les paisibles chefs de famille, ont depuis des lustres fermé leurs portes au «public» et seuls les employés chargés de leur gardiennage - et non de l'entretien des espaces verts - s'y prélassent en toute liberté. Reste cependant l'unique point de rencontre des citadins, la place Emir Abdelkader, dont le centre a été aménagé en espace vert, soigneusement entretenu, avec ses rosiers fleuris. Tout le mérite en revient au jeune Abdelhamid, jardinier-paysagiste, qui lui voue corps et âme, parfois au péril de sa vie face à des énergumènes déchaînés adeptes de Bacchus. Pour ce qui est de la circulation automobile en plein centre-ville et dans toutes les artères principales, il s'agit d'une longue histoire et d'un sérieux problème qui est sur toutes les lèvres. Il est plus facile pour un piéton de marcher sur le fil du rasoir que de traverser une rue à n'importe quelle heure aussi bien de la journée que de la soirée. Des feux de signalisation inopérants, ou grillés quant ils fonctionnent par de jeunes automobilistes fous du volant, des plaques de signalisation routière déracinées, des carcasses de véhicules et des terrasses de café obstruant les voies piétonnières. Au même titre que les fours à volaille des restaurateurs et des commerçants obsédés par la notion d'espace. La ville d'El-Bayadh subit depuis peu une régression vertigineuse. Mais où est donc passé le régiment d'élus locaux pour remettre les pendules à l'heure ? Mystère et boule de gomme. Fourneaux de marchands de cacahuètes et rôtissoires qui dégagent des nuages de fumée ne semblent nullement déranger quiconque, excepté les passants. La rue a perdu tous ses droits : elle est colonisée par une faune de commerçants à l'esprit follement mercantile. Ne parlez surtout pas du respect de l'environnement ces jours-ci à El-Bayadh, c'est le revers de la médaille de cette ville, qui, comme son nom l'indique, mérite bien d'être plus blanche que neige.