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Un seul héros, le harrag
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 13 - 08 - 2009

Les harraga... Leur sort devrait provoquer un débat national. Il devrait obliger les uns et les autres à prendre la parole pour dire ce qu'ils pensent de ce drame permanent et oser avancer des solutions audacieuses. Il devrait y avoir, pour tous et pas simplement pour les parents des concernés, des mots, des discours, des larmes, des cris, de l'émotion mais aussi de la colère. Comment peut-on se taire et faire semblant d'ignorer le problème ou, plus grave, le minimiser ou encore, pour reprendre le thème d'un éditorial de K. Selim, se marteler, en feignant d'être plus ahuri qu'on ne l'est, que, finalement, « tout ne va pas si mal» ?
Je l'ai déjà écrit, mais se répéter n'est pas honteux surtout en cette période où l'interdiction du crédit à la consommation fait couler plus d'encre que le destin de ces pauvres gamins que l'on intercepte en haute mer. Les harragas sont des héros et pas uniquement parce qu'ils constituent une matière inespérée pour des romanciers exilés en mal d'inspiration. Les harragas ne vont pas qualifier l'Algérie au mondial sud-africain, ils ne gagneront pas leur premier million de dinars à trente ans, ils n'ont ni associé ni parrain, ils ne crapahutent pas dans les maquis, ils n'excellent pas comme tant d'autres dans la résistance passive au système mais ils n'en sont pas moins des héros. Ce sont des héros algériens.
Ah, c'était fatal, je vois des sourcils se froncer et des lippes frémir mais c'est ainsi : qui peut faire preuve d'autant de courage qu'eux ? Que l'on se mette un peu à leur place. Que l'on imagine ce qu'éprouve un jeune à quelques heures du départ. Qu'on imagine ses sentiments à la nuit tombée, lorsque son estomac se serre au fil du décompte. Minute après minute, seconde après seconde, se dire que l'on va partir, peut-être, sûrement, pour toujours. Chasser de son esprit ces récits terribles où il n'est question que de rafiots vite engloutis, de corps décomposés flottant entre deux eaux, de thons, macros ou murènes ayant appris à suivre le sillage des embarcations de fortune. Qui peut se dire aussi courageux que celui qui monte dans une coque de noix, parfois sans même savoir nager ? A dire vrai, pas grand monde.
Et que dire de la peine des familles de ceux qui ne donnent plus de nouvelles ? Que dire aussi de l'inquiétude, même si elles paraissent mieux loties, de celles qui savent que leur fils, neveu ou même mari, est bien arrivé « là-bas ». Entre quelles mains se trouve-t-il ? Dans quelle ferme misérable des Pouilles ou de l'arrière-pays provençal ou andalou s'échine-t-il de l'aube au couchant ? Comment fait-il pour rester propre ? Pour rester digne ? Dans l'Algérie actuelle qui a réinventé - en pire - la période des plans anti-pénurie et qui, aujourd'hui se redécouvre soudainement dirigiste, fière, et souveraine, il n'y a jamais place pour ces interrogations dévastatrices pour l'orgueil national.
Cela peut se comprendre. Le harrag est la preuve vivante de l'échec d'un pays et de ceux qui l'ont dirigé depuis l'indépendance. On le sait, la violence armée peut être aisément mise sur le compte d'un complot ourdi par des forces extérieures, revanchardes, décidées à ‘et caetera', ‘et ceetera', Le harrag, lui, ne peut donner prise à pareil raisonnement défensif. J'ai bien lu et entendu que certains le qualifiaient d'anti-patriote et de honte nationale mais, bien entendu, personne n'est dupe. Roma wala ntouma_
On me dira que c'est ainsi, que c'est le lot de tous les pays du Sud. Que la démographie est passée par là, que l'on ne peut rien contre les images séduisantes venues d'ailleurs, qu'elles aient été convoyées par satellite ou fibre optique. J'ai même entendu, en marge d'une conférence organisée à Paris, l'un de nos représentants expliquer d'un ton docte que ces jeunes optaient pour la solution de facilité en préférant le rêve et la chimère à la réalité de leur pays. Ah, ces jeunes ! Des égoïstes. Ils ont un pays à bâtir et les voilà qui se débinent à la première patera venue...
Quand on entend ce genre de discours, on comprend pourquoi les chanceux - car on peut vraiment parler de chance - qui se font intercepter par les garde-côtes se retrouvent finalement poursuivis par la justice algérienne. Certes, il semble que le plus souvent, les peines prononcées soient des sursis. Il n'empêche. Le symbole est là. C'est un peu comme si un enfant fugueur retrouvé par les gendarmes était accueilli chez lui par une bonne raclée destinée à lui faire passer le goût de recommencer. Cogner sans réfléchir à sa propre responsabilité : belle psychologie en la matière. Et, de toutes les façons, il y problème puisque la récidive est fréquente.
Faire des «harragas» des délinquants se justifie peut-être au nom d'une lecture stricte de la loi (on ne quitte pas le territoire national sans se soumettre à un contrôle de police) mais l'on sait bien que cette pénalisation est destinée à montrer des signes de bonne volonté aux pays du nord qui ne cessent d'exiger plus et encore plus en matière de lutte contre les clandestins. De ce côté-là du problème, il n'y a rien à espérer. Les frontières resteront fermées, les visas imposés par les pays européens se substituant avec efficacité au défunt système des autorisations de sortie du territoire national.
Alors, que faire ? On a souvent tendance à considérer que la situation des jeunes algériens s'améliorera dès lors que le pays fonctionnera mieux. En somme, ils sont priés d'attendre que les politiques en cours ou à venir, car on se demande si elles existent, donnent des résultats. Soyons naïfs : la solution réside peut-être dans le chemin inverse. La jeunesse algérienne ? Qu'elle devienne une grande cause nationale. Prioritaire, urgente, budgétairement conséquente (en plus de ce qui est accordé à l'éducation). Ministres, Premier en tête, et responsables sur le terrain : Ahmed Ouyahia face aux hittistes. A Alger, Oran, Annaba, Constantine, dans les villages d'ici et d'ailleurs. Qu'on écoute les jeunes. Qu'on leur tende le micro et que l'on sollicite leur avis. Qu'on subisse leur rogne et qu'on cesse d'ignorer leur existence et leur mal-être. Ce serait déjà un (bon) début.


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