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«Je réponds aux nostalgiques de l'Algérie française»
LETTRE À RENE DE KAMEL BOUCHAMA
Publié dans L'Expression le 31 - 08 - 2006

«ma participation à ce «débat d'idées» est une obligation pour le militant du FLN que je suis.»
L'auteur Kamel Bouchama est un ancien médersien de Ben Aknoun. Après des études supérieurs au Caire, il connaît plusieurs missions déterminantes à la jeunesse et au FLN. Il rentre au gouvernement pour s'occuper du portefeuille de la jeunesse et des sports. Il est ensuite nommé ambassadeur en Syrie. L'auteur a écrit de nombreux ouvrages. D'autres vont paraître incessamment. Il a publié beaucoup d'articles sur l'histoire, la culture, la politique dans la presse nationale et celle du Moyen-Orient. Il est actuellement chargé de l'organisation et président du commissariat de l'Algérie, capitale de la culture arabe dans le monde. Dans ce nouvel ouvrage, Lettre à rené, Kamel Bouchama a écrit ainsi une lettre, transmise au «supposé» député de l'Assemblée nationale française pour lui dire que les questions et déclarations arrogantes et offensantes, qui se répètent, de la part de quelques nostalgiques de «l'Algérie française» à l'encontre d'une période historique que le colonialisme nous a imposée, depuis l'autre rive de la Méditerranée, ne doivent pas nous laisser insensible. Kamel Bouchama écrit qu'on ne doit pas occulter ou faire taire le passé, sous prétexte que nous avons tourné la page et que nous nous préparons à signer un «traité» qui est, certes, d'une grande valeur morale et politique, mais qui peut nous rendre amnésiques au point de ne plus nous exprimer franchement, sur la guerre d'Algérie. Pour l'auteur de la Lettre à René, il n'est pas trop prétentieux de demander à la France, dans un audacieux examen de conscience , d'avoir ce regain de courage pour reconnaître les crimes qui ont été commis durant 132 ans de colonisation de notre peuple.
L'Expression: La première question qui nous vient à l'esprit: pourquoi ce livre?
Kamel Bouchama: Généralement on écrit quand on a quelque chose à dire. Et c'est mon cas. J'écris sur tous les sujets que je maîtrise et sur ceux qui me tiennent à coeur. Tous mes livres reflètent des expériences vécues et des situations réelles. J'essaye toujours d'être très objectif pour relater la vérité et célébrer la justice.
Ce livre que je présente aujourd'hui concerne l'Histoire de notre pays, le combat qu'il a mené, les souffrances que notre peuple a endurées et les sacrifices qu'il a consentis pour se libérer du joug colonialiste. Il répond, on ne peut plus clairement, à toute tentative d'altération de l'Histoire par les «nostalgiques de l'Algérie française» qui ont essayé, encore une fois, de porter atteinte à la mémoire collective de notre peuple ainsi qu'à nos millions de martyrs qui ont disparus depuis ce funeste jour de juillet 1830. Ainsi, ma participation à ce «débat d'idées», celui que les tenants du régime colonial ont tenté de rendre plus passionné, voire plus enragé, presque un demi-siècle après le retour à notre souveraineté nationale, est une obligation pour le militant du FLN que je suis et qui ne cesse de répondre à toutes les provocations et les outrages avec l'enthousiasme qui lui est connu.
Pourquoi aviez-vous ce besoin de communiquer avec René?
Pourquoi? Parce que René est un camarade de classe d'abord..., un camarade que mon imagination a créé, ensuite, parce qu'en tant que député à l'Assemblée nationale française, ayant pris une position qui l'honore, il devient mon correspondant d'office, celui qui doit transmettre le message à ceux de sa génération et au peuple français..., pourquoi pas!
C'est pour cela que ma participation, au moyen de cette lettre, à ce débat qui nous a été imposé, répond à un seul souci : celui de chasser la «laideur» de cet environnement qui nous offusque et nous répugne, parce que la Révolution que nous avons menée, sous les auspices du FLN, était aussi un combat pour la «beauté». Ainsi, j'ai écrit à René pour dire tout..., mais pour dire aux jeunes -à travers lui- que leurs parents et même leurs aïeuls ont beaucoup souffert depuis 1830, depuis que la piétaille colonialiste est entrée avec toute son insolence et sa barbarie, dans un pays qui ne lui appartenait pas. J'ai écrit à René, pour lui raconter dans les détails que ses ancêtres n'ont pas seulement envahi notre pays pour nous commander, nous oppresser et nous avilir, mais pour pervertir notre culture, dénaturer et corrompre notre religion et enfin pour ranger tout un peuple dans le régime de l'indigénat. Les trois chapitres qui composent la lettre traitent de tous ces sujets, à savoir l'acharnement du colonialisme contre nos traditions et nos coutumes, sa répugnance à l'égard de notre culture qui était fort performante avant l'occupation de notre pays et enfin la lutte opiniâtre de notre peuple pour recouvrer ses droits et son indépendance nationale. Les trois chapitres donc balayent, du revers de la main, cette prétendue «positivité» d'une présence coloniale que notre peuple essaye d'oublier parce qu'elle représente une tache noire dans son Histoire et dans celle de l'Humanité, pour tous les crimes qui ont été perpétrés.
Comment, selon vous, les intellectuels français et algériens devraient faire face à la loi du 23 février 2005?
Comme tous les gens sains de corps et d'esprit, comme tous les gens qui réfléchissent correctement et qui, de surcroît, ont le courage de leurs opinions et l'honnêteté intellectuelle pour dire librement, franchement, sincèrement, ce qu'ils pensent des événements qui restituent les faits de l'Histoire vraie. «Cette Histoire, il faut l'assumer loin des rancoeurs mais dans le sens des responsabilités face au devoir de mémoire.», comme le dit si bien mon ami le ministre Haïchour Boudjemaâ, dans la préface par laquelle il m'a honoré.
Les nôtres aussi doivent réagir. Ils ne doivent pas se contenter d'attendre l'autorité supérieure pour rentrer dans la bataille. Le débat, chez les intellectuels, tous les intellectuels du monde, est une arme qui les grandit, leur donne plus de relief et les distingue par rapport aux autres «muets» qui n'attendent que les bonnes opportunités pour s'avancer, et peut-être même pour briller.
Les intellectuels français, les Jean-Paul Sartre, André Malraux, Martin du Gard, François Mauriac, Germaine Tillon, le général Paris de Bollardière, pour ne citer que ceux-là, ont condamné, en leur temps, avec une extrême indignation la pratique odieuse de la torture, que ni la morale, ni le respect de l'homme ne peuvent accepter. N'étaient-ils pas considérés, hier, comme des traîtres patentés, comme ces porteurs de valises qui ont aidé les «fellagas», les «terroristes» et les «hors-la-loi» du FLN? Peut-être, leur répondaient d'autres Français de souche, mais Jules Roy, bien connu dans les milieux médiatiques et politiques, et cet autre, Henri Marrou, professeur à la Sorbonne, n'ont-ils pas l'un et l'autre écrit et publié de «fameuses pages» sur la torture en Algérie, du temps de la colonisation? Ceux-là, aujourd'hui, ne peuvent être d'accord avec cette loi. Leur réaction, pour ceux qui sont encore de ce monde, est interprétée comme une position politique, et elle ne peut être que juste, honorable et réconfortante pour la morale qu'elle véhicule.
Notons qu'aujourd'hui, plus de 150 ouvrages qui sont publiés en France par des anciens «appelés» du contingent, des intellectuels qui ont été «embarqués» de force dans cette galère de la «pacification» de l'Algérie, racontent, dans un style pathétique, dénué de toute complaisance, le drame d'un peuple -le nôtre bien sûr- qui a été soumis à la brutalité et à l'horreur, pendant toute la période de la guerre de libération. Ces appelés ont regretté d'avoir participé à cette «sale guerre», disent-ils, même s'ils en étaient contraints. De cette façon, on ne peut dire que les intellectuels sont insensibles de l'autre côté de la Méditerranée. Ils démontrent, à travers leurs écrits, qu'ils sont les plus touchés par la gravité de cette loi qui, en cette période, ne peut qu'attiser les passions et susciter d'autres réactions plus hostiles et plus sévères de notre part.
Quels sont les épisodes de la colonisation sur lesquels vous axez une recherche de vérité? Pourquoi ceux-là?
En réalité, lorsqu'on écrit sur la colonisation, on ne s'arrête pas à quelques épisodes, car tout est étroitement lié. Un épisode en amène un autre. C'est exactement comme dans un feuilleton où, dès qu'on a terminé une partie, on en demande une autre, et ainsi de suite.
Dans ce livre, plus particulièrement, il s'agit d'un compte-rendu d'événements et d'un enchaînement de faits, tout au long d'une colonisation, que je raconte dans une lettre qui parait longue, très longue pour mon ami français. Mais pour celui qui veut se donner la peine de comprendre le contenu, il saura que mon écrit qui, encore une fois, est quelque peu fastidieux par endroit -je l'ai voulu ainsi- se veut un message aux jeunes surtout pour leur apprendre que leur pays, avant d'être colonisé, n'était pas comme le soutenaient les propagandistes d'idées désuètes et par trop dangereuses, un pays revêche aux populations analphabètes et barbares. Ceux-là reprennent à tue-tête les formulations colonialistes par lesquelles nous étions décrits, comme un peuple «mineur, primitif, incapable, digne seulement d'une sollicitude bienveillante et paternaliste». Ils rejoignent inéluctablement tous ceux qui, parce qu'ils mènent une nouvelle «croisade», s'attaquent ouvertement à notre culture dans le but évident de démontrer notre soi-disant «inaptitude congénitale» et conforter le stéréotype de «la personnalité négative de l'Algérien» longtemps seriné tant par les médias occidentaux que par les détracteurs de la Révolution algérienne. Ce livre a pour ambition d'expliquer, d'une part, que l'Islam et la culture ont été pour nous, Algériens, depuis toujours et malgré l'irrésistible poussée des événements, des moyens qui nous ont permis de créer notre propre civilisation et de conforter notre esprit de lutte et de résistance et, d'autre part, permettre aux jeunes de parvenir à la connaissance éclairée de leur passé. Une rétrospective historique, en fait, qui allie le progrès de notre peuple, de par les sciences et la culture -les quelques savants et érudits cités dans la lettre, nous démontrent cette ambiance des grands jours-, au combat au permanent pour la consolidation de ce riche patrimoine et la sauvegarde de l'indépendance. En effet, l´Algérie était le carrefour où abondaient de grands hommes qui brillèrent dans les sciences religieuses, la philosophie, la grammaire, la médecine, la physique et la métaphysique, à une époque où le pays connaissait une symbiose entre la culture africaine et andalouse. De grands hommes ont légué à la société algérienne des repères culturels et spirituels évidents qui ont contribué avec le temps à mieux asseoir les fondations d´une nation jalouse de son identité. Ce sont ces épisodes avec, bien entendu, ceux de la lutte armée, que j'ai privilégiés dans cette «lettre à René». Ce sont ces épisodes qui parlent d'eux-mêmes et qui réfutent toute «positivité» à cette occupation coloniale, inhumaine et sauvage..., une occupation implacable de 132 années.


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