Il n'aura fallu que trois cents soldats des forces spéciales et quelques vagues de bombardements aériens pour renverser le gouvernement taliban. Huit ans plus tard, les forces militaires occidentales se rapprochent du niveau de l'engagement soviétique en Afghanistan. Leurs généraux affirment cependant qu'il ne peut être question de victoire militaire. Cet avis est partagé par Zbigniew Brezinski, l'ancien conseiller à la sécurité nationale du président Carter, qui s'alarme de voir les Occidentaux répéter les erreurs des Soviétiques. Ce point de vue n'est pas une révélation majeure, l'enlisement des Américains et de leurs alliés occidentaux est indiscutable. Le pays est très loin d'être pacifié malgré la présence de près de 100.000 soldats occidentaux. Les talibans mènent des actions sur la majeure partie du territoire et non plus seulement dans les régions méridionales, le bastion pachtoune. La greffe Karzaï n'a pas pris, même si elle coûte très cher. Les forces occidentales, en dépit de leur prétention d'être au service des Afghans, multiplient les opérations meurtrières pour les civils et politiquement profitables aux talibans. L'impasse est réelle. L'envoi de troupes supplémentaires, de plus en plus impopulaire en Occident et sujet de dissensions entre membres de l'OTAN, n'a plus pour but d'assurer l'écrasement des talibans. Il s'agit d'éviter une défaite occidentale en bonne et due forme et l'élimination concomitante du système Karzaï. Le parallèle avec les Soviétiques est frappant. L'ex-URSS s'était enfermée dans l'engrenage du renforcement régulier de son corps expéditionnaire pour éviter la défaite et l'effondrement du régime prosoviétique de Kaboul. L'intervention initiale des forces du socialisme réel a d'abord ressemblé à une promenade, avant de se transformer en bourbier, où l'Armée rouge a non seulement perdu beaucoup d'hommes mais aussi beaucoup de son honneur. Aujourd'hui, à l'image de la dernière «bavure» à Kunduz, les Occidentaux ont tergiversé avant d'admettre la mort de nombreux civils. D'habitude, les bilans, tardifs, évoquent les pertes dans les rangs des talibans et de mort accidentelle de civils. Désormais, comme pour élargir le champ des dommages collatéraux, il est question de talibans armés et de talibans non armés. Les catégories sont étranges et le langage flou. Il faudra quand même expliquer à l'opinion comment les pilotes de jets font la différence entre talibans non armés et civils afghans ! Ces contorsions langagières n'enlèvent rien au sentiment d'un nombre croissant d'Afghans d'être en présence d'armées d'occupation. C'est en cela que les propos de Brezinski sont révélateurs. Ils rompent avec le narcissisme occidental. Les dirigeants de l'OTAN reproduisent aujourd'hui ce qu'ont fait les Soviétiques hier, avec de surcroît la conviction de leur supériorité morale et culturelle intrinsèque. Ils apportent la civilisation là où hier Leonid Brejnev et le Politburo apportaient le socialisme réel. Face à cet aveuglement stratégique, il n'est plus que des tactiques palliatives. D'aucuns recherchent d'introuvables talibans «modérés», d'autres suggèrent d'acheter ceux qui sont devenus des insurgés par nécessité économique. D'autres encore se focalisent sur la question de «l'application intelligente de la force». Il faudra combien de Brezinski pour démontrer à des idéologues libéraux qu'ils sont bien sur le chemin afghan des soviets ?