Les amateurs de grillades vont la sentir passer cette année : le mouton, en effet, va vendre chèrement sa peau, et il compte bien battre quelques records, surtout en matière de prix. A presque un mois de l'Aïd El-Kébir, tous les clignotants du marché aux bestiaux sont au rouge : l'ovin coûte cher depuis le début de l'automne. Au gros ou en détail, la viande ovine a battu quelques records depuis la fin de l'été, passant à plus de 950 da/kg. Et, depuis les pluies de septembre, les pires inquiétudes des acheteurs et chevillards se sont avérées justes : le mouton se vend cher, très cher de l'avis de nombreux bouchers. Et, avec la disponibilité des aliments en vert, des pâturages bien arrosés et de la baisse des prix des fourrages, les maquignons comme les éleveurs ne mettent sur le marché qu'une petite quantité d'ovins. Assez pour faire monter les prix de la viande ovine et, surtout, annoncer la couleur des prix du mouton de l'Aïd qui vont s'afficher dans quelques jours partout dans le pays à travers les marchés improvisés. Une certitude : cette année, un mouton «moyen» de 20 kg ou un peu plus dépassera les 18.000 à 20.000 dinars, alors qu'un beau bélier, avec de belles cornes bien effilées et toutes en cercles, dépassera les 40.000 dinars. Quant au mouton moyen, les prix devront tourner entre 25.000 et 30.000 da, assez en tout cas pour mettre à rude épreuve la bourse des Algériens. C'est un peu un scénario difficile à admettre, mais le prix du mouton va cette année connaître une hausse insupportable pour les bas salaires, au moment où les dépenses des ménages sont un tel point comprimées que la pauvreté est aux portes de milliers d'Algériens. Bien sûr, presque toutes les familles algériennes vont accomplir le devoir sacro-saint de sacrifier le mouton de l'Aïd, mais à quel prix ? Au prix d'énormes sacrifices, et la spirale de l'endettement des ménages ne fera qu'augmenter. D'autant que le coût de la vie a encore augmenté à la fin du mois de septembre, passant à 5,7%. Autrement dit, dans une période de forte inflation, la fête de l'Aïd El-Adha va encore aiguiser les problèmes sociaux et économiques des Algériens, obligés de faire face à plusieurs périodes de fortes dépenses «incompressibles», alors qu'en face le gouvernement assiste sans broncher à cette traditionnelle saignée sociale des Algériens. Est-ce un hasard que les discussions pour une augmentation du SMIG au sein de la tripartite interviennent après la fête de l'Aïd El-Adha ? A-t-on à ce moment la liberté de penser que cela obéit à une stratégie pour amener la centrale syndicale à accepter une proposition d'augmentation du SMIG de moindre ampleur que celle prévue, rien que pour calmer le front social ? Non, quand même ! Mais il reste que la détérioration de la situation sociale des Algériens, comblée à une surchauffe des principaux indicateurs économiques, ne semble pas pour le moment émouvoir ni susciter un plus grand intérêt d'un gouvernement qui a le regard perdu dans les cieux, et refuse de voir la pointe de ses chaussures. Parce que la misère sociale n'est ressentie que par ceux-là mêmes qui en sont victimes. Quant au mouton de l'Aïd, même avec quatre, voire dix cornes, il sera quand même sacrifié par les Algériens, prêts à tous les défis. Comme d'habitude !