Après l'Emeutier, le Harrag, le gardien sauvage des parkings, l'année 2009 doit avoir son homme (ou sa femme) de l'année. Qui est-il donc ? A l'unanimité, il s'agit de Rabah Saâdane, le sélectionneur de l'équipe nationale de foot. L'homme a réussi à incarner l'Algérien tel qu'il aurait dû être s'il n'avait pas été colonisé par la France et ensuite par lui-même et enfin par la mauvaise foi. Contrairement à ce qu'on attendait de l'évolution génétique des Algériens, Saâdane n'est ni psycho rigide comme les enfants de Boumediene (colériques à moustaches, fermes et silencieux comme des menaces, souriants si peu et seulement lors de l'indépendance ou en rencontrant Brejnev, durs et ascétiques avec les femmes et la joie, nationalistes mais frigides). Saâdane ne ressemble pas aux enfants de Bouteflika non plus (généralement ronds comme Barkat, parlant l'arabe classique extraterrestre de Zerhouni, impassibles face au réel comme Ould Abbas, parfois exotiques dans l'accoutrement comme Belkhadem et tout à la fois fermes, autoritaires et faibles). Saâdane ne ressemble pas aux Algériens de son âge souvent si déçus qu'ils ne fréquentent plus que les mosquées et Dieu ou les enterrements. Saâdane n'est ni fortement désespéré ni abusivement optimiste. Il ne vend pas du vent et n'achète pas des voix. Il a les pieds sur terre alors que la tradition nationale est d'avoir les pieds les uns sur les autres. Il parle peu dans le pays des discours sans fin. Il ne promet rien et pourtant il passe à la télé. Ne fait pas de politique et c'est elle qui lui court après comme une femme intéressée offrant avions et primes. Saâdane a vécu un peu, longuement, avant de vivre brusquement profondément, de 1986 à 2009. On devine, surpris, que cet homme vit vraiment la tendresse, l'affection des siens et semble être arrivé, avant tout le peuple des Algériens, dans un endroit calme et thérapeutique, sans colères ni regrets et où l'on peut se sentir soi-même sans se sentir idiot et être Algérien sans en être malade. Il ressemble à une sorte de Confucius algérien sans yeux bridés, ni soie tendre, mais capable de parler avec une voix douce à un peuple violent et en transformer la violence en chanson douce. On l'appelle le cheikh plus à cause de sa voix qui calme le peuple et le transforme en laine heureuse qu'à cause de son âge. Tout le monde a été unanime: il a réussi à nous fabriquer une indépendance obtenue contre vingt ans de tristesse nationale et de colonisation par le sentiment d'échec. Il donne surtout cette impression, rare chez nous, pour les gens de son âge et de sa nationalité, de n'en vouloir à personne, d'être content de la vie même pendant les jours sans l'électricité, de faire son travail et pas seulement des miracles, d'accomplir une tâche et pas de tricher avec des horaires de travail, de regarder venir une récolte et pas un cahier de charges. A l'heure la plus dure des matchs de l'EN, il était assis comme un homme de la terre, un paysan noble, assis à cette limite qui sépare, parfois avec injustice, le possible effort de l'imprévisible destin: il avait fait ce qu'il a pu et le reste dépendait des cycles et des étoiles. Enfin, on ne peut pas élire Saâdane car c'est lui qui choisit et sélectionne. On ne peut lui offrir un pays, c'est lui qui nous l'a offert. On ne peut pas lui donner de l'argent car c'est lui qui fabrique tout notre or. On ne peut pas lui demander de faire plus. Finalement, on aimerait tous vieillir doucement comme lui. Et tous les Algériens donnent l'impression de vouloir le chercher pour lui confier, en gémissant sur son épaule, une ancienne souffrance qu'ils ne savent pas expliquer et lui demander d'accepter la paternité de leur nouveau pays, car les anciens pères sont morts ou ont menti. D'ailleurs, si aujourd'hui les Algériens l'aiment tant, ce n'est pas parce qu'il a réalisé des miracles et a gagné des matchs, mais surtout pour une autre vérité simple et puissante, émouvante et totale: il ne MENT pas.