Le dernier bilan établi par la direction de la police judiciaire sur les violences subies par les mineurs, en Algérie, est très alarmant1. Selon ce même rapport, durant le premier semestre 2010, quelque 2.725 enfants ont été maltraités. Six d'entre eux ont succombé à leurs blessures et 10 ont été victimes d'infanticide. Parmi ces cas, il y a 1.523 actes de violence physique, 249 mauvais traitements, 105 détournements de mineurs et 832 violences sexuelles, dont de nombreux actes de pédophilie. Parmi les abus sexuels, 64 viols sont comptabilisés, 560 actes contrenature (sodomie), 12 incestes, 181 attentats à la pudeur et 15 cas de pornographie infantile. Ces chiffres reflètent l'extrême violence que les enfants subissent au quotidien dans notre société. Tout en sachant que ce nombre est uniquement ce que les autorités de la police judiciaire ont enregistré ! Nous ne parlons pas d'autres cas d'actes violents et de maltraitance qui ne sont pas déclarés. Ainsi, on peut s'interroger sur le rôle du gouvernement et la société civile pour faire face à cette montée de la violence, à tous les niveaux, dans notre société. L'autorité de l'Etat s'effrite et elle incarne, aux yeux des citoyens, une source d'injustice et d'inégalité sociale. Tout cela a été dit, répété, rabâché à de multiples reprises et par plusieurs spécialistes. Tant que les sonnettes d'alarme ne trouvent pas d'échos, la violence, avec toutes ses formes d'expression, sera multipliée. Et ces violences ne sont que la suite d'un traumatisme psychique que la société a enduré. De plus, la criminalité, la corruption (à tous les niveaux) impunie et la religiosité, qui renforce les comportements hypocrites et vides la moralité de ses valeurs universelles, renforcent les sentiments d'injustice et, par conséquent, la violence. Selon l'article 19 de la Convention internationale des droits de l'enfant (ONU, 1989), «toute forme de violences, d'atteintes ou de brutalités physiques et mentales, d'abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d'exploitation, y compris la violence sexuelle», c'est de la maltraitance. Cette maltraitance peut s'exprimer par une violence physique qui est un acte de violence tel que les coups, les secousses, les brûlures, les empoisonnements, etc. La violence physique est celle qui se voit, celle que l'on porte, et pourtant pas forcément la plus signalée, car de nombreux parents qui battent leurs enfants considèrent cette pratique comme normale. Ils sont souvent aussi des adultes immatures, anciennement battus, psychologiquement fragiles, et volontiers sujets aux abus (d'alcool, de médicaments ). A ce sujet, j'attire l'attention des lecteurs qu'il existe une grande différence entre l'autorité parentale, qui s'exerce dans le cadre éducatif basée sur un ensemble de droits mais également de devoirs, que les parents ont à l'égard de leurs enfants mineurs, et l'autoritarisme qui correspond à l'attitude de la personne qui contraint physiquement et/ou psychiquement les personnes qu'elle commande. Cette distinction est importante, car nous constatons dans notre société une confusion totale entre ces deux concepts qui sont distincts. Et cette confusion se traduit par une violence qui marque des générations qu'elles-mêmes reproduisent. Une autre violence se constitue de négligences lourdes. Elle comprend le défaut d'alimentation, de soins, d'hygiène, de surveillance et de protection. Et cette négligence peut être réduite si l'école intègre dans son programme les questions d'hygiène, pas seulement dans l'ordre conceptuel mais dans l'application. Comment se comporte-t-on dans les toilettes ? L'importance de l'hygiène de vie, d'une alimentation équilibrée, etc., il s'agit de comportements qui, une fois acquis, n'ont pas besoin d'être vérifiés. Il existe également des violences psychiques qui comprennent les actes de sadisme, de cruauté morale, d'humiliations, de brimades, de rejet, de refus affectif, d'exigences non adaptées à l'âge et au développement de l'enfant. Cette violence peut être très destructrice pour le développement de la personnalité de l'enfant. Cette distorsion produit des comportements inciviques, immoraux et parfois violents. Et enfin les sévices sexuels, un sujet tabou dans notre société. La presse algérienne a le mérite d'aborder ces questions et de dévoiler ces pratiques dangereuses dans leurs éditions. Ils comprennent l'inceste, le viol, l'attentat à la pudeur, l'utilisation des enfants à des fins pornographiques ou de prostitution. Ce type de sévices est largement plus fréquent dans le proche milieu familial, mais peut être imposé par un tiers, notamment une personne d'autorité telle qu'un enseignant ou un imam, une secte, une organisation mafieuse. Les abus sexuels ont des conséquences lourdes aussi bien physiques (traumatismes, grossesses, maladies vénériennes, etc.) que psychiques, avec un risque très accru de suicide, de dépression et de troubles mentaux graves chez les enfants abusés. A mon point de vue, il est urgent de mettre une commission pluridisciplinaire (des sociologues, des psychologues scolaires, des psychologues cliniciens, criminologues, etc.) pour étudier le phénomène scientifiquement afin de trouver des solutions qui pourraient faire face à ce flux qui tue le futur de notre nation. Il est de notre devoir et celui des pouvoirs publics de trancher la question d'une manière sérieuse et ne pas adopter des lois répressives, comme ils l'ont fait pour les harraga et la prise en charge des personnes âgées. Il s'agit de la violence, qui est le résultat d'un long processus de dysfonctionnement politique, social et moral, qui imprègne nos concitoyens. La solution n'est pas uniquement dans la réflexion morale et juridique, mais elle doit être inscrite dans une démarche scientifique. On devrait s'interroger sur le rôle de la mixité, sur l'importance d'enseigner les droits de l'enfant à l'école, sur la création d'institutions qui peuvent accueillir des enfants victimes de violence et d'instaurer des familles d'accueil, sur l'importance de l'éducation sexuelle et comment l'introduire dans les programmes scolaires, etc. L'observatoire pour les droits de l'enfant, en Algérie, doit signaler ces dérives au niveau national (et international) et les pouvoirs publics à ce jour n'ont pas clarifié leurs positions. Nos enfants méritent mieux ! * Neuropsychologue 11 TSA du 06 10 2010