Les émeutes algériennes de janvier ont mis à nu l'incapacité du système de production à diffuser de l'intégration sociale. Les réponses du gouvernement reposent à nouveau sur les entreprises publiques. Un grand risque en soi explique Abderrahmane Moufek DG de l'institut national de productivité et de développement industriel (INPED). L'occasion pour lui de tordre le cou, parfois brutalement dans le cas du dialogue social interne aux entreprises, à quelques pratiques du secteur public, le système de rémunération en tête. Maghebemergent : Le système de rémunération dans les entreprises algériennes, quelles soient publiques ou privées, ne serait pas motivant. Vous dites qu'il faut le revoir, de quelle façon ? Abdelrahmane Moufek : Aujourd'hui le système de rémunération est très contreproductif. Vous ne pouvez pas demander à un cadre ou un ingénieur de vous donner son idée ou sa création en contrepartie de rien. Lorsque le système de rémunération est plat, lorsque c'est l'égalitarisme et que tout le monde touche les mêmes rémunérations comment voulez-vous que le meilleur se donne à fond et se démarque du reste des travailleurs. Il se trouve qu'on ne peut pas obliger quelqu'un à être plus performant dans un système qui ne fait pas de différence entre les bons et les mauvais résultats. Actuellement, nous payons nos salariés par un système de nivellement par le bas. Il faut mettre fin à ce système. L'être humain a besoin d'être reconnu dans ce qu'il a de plus sacré. C'est-à-dire sa capacité à produire des idées et d'innover. Ces capacités ne peuvent être libérées ni par la force ni par un texte juridique, seul l'incitatif direct qu'est la rémunération est capable de libérer le génie humain. Il faut pour cela que le système de rémunération soit étroitement lié aux résultats de chacun au travail. Il faut qu'on passe de la gestion des effectifs à celle des compétences. Il faut rémunérer la compétence et non pas la présence. ME : Ce que vous dites n'est pas assimilé par le partenaire social. Doit-on revoir les revendications syndicales ? A.M : Aujourd'hui, les partenaires sociaux avec tout le respect qu'on leur doit, pensent que tout le monde doit toucher le même salaire dans une entreprise et lorsqu'il y a des négociations de salaires on veut des augmentations uniformes pour tous. Par exemple 20% pour tous les employés. Ce système est nuisible et pourrait à terme constituer une menace pour la survie d'une entreprise car elle perd toute notion de compétitivité interne donc de compétitivité tout cours. ME : On constate que le mouvement syndical conteste, dans le secteur public, les décisions liées à la gestion comme le montant des investissements ou la stratégie de développement d'un groupe ou d'une entreprise. Est-ce que les formes de cogestion existantes sont un plus, ou forment-elles, plutôt, un cafouillage préjudiciable pour les entreprises ? A.M : De mon point de vue, la prise de décision doit revenir aux seuls dirigeants de l'entreprise qui, eux, sont formés et préparés à cela. Nous ne pouvons pas cautionner des comportements qui portent atteinte aux intérêts de l'entreprise. Même si le cadre réglementaire à changer, sur le terrain de la pratique, rien n'a évolué. Des représentants syndicaux continuent de défendre des travailleurs qui ont causé du tort aux entreprises, ou contester un plan de développement nécessaire à la compétitivité d'un outil industriel. Il est très difficile de pouvoir sauvegarder des emplois avec ce genre de comportement. ME : Les entreprises algériennes cherchent souvent des travailleurs directement opérationnels et ne veillent pas à la formation en continu du personnel. Avez-vous constaté un changement positif dans ce sens ces dernières années ? A.M : Quelles soient privées ou publiques, nos entreprises forment peu. Les entreprises privées ont tendance à recruter des personnes diplômés avec expérience et croient quelles n'ont pas besoin de formation. C'est faux. Toute compétence a besoin d'être développée et affinée. Pour le public la situation est encore plus grave. Soit on ne forme pas ou on envoie des personnes à l'âge de la retraite en formation au détriment des plus jeunes qui entament leurs carrières. Ce sont des pratiques condamnables auxquelles il faut mettre un terme. Il faut certes faire du recyclage de compétences mais pas au détriment de la formation des nouveaux cadres ou travailleurs d'une entreprise. Ce sont eux l'avenir et c'est sur eux qu'il faut miser. ME : Il est bien difficile de prendre dans le secteur public, des décisions de gestion souvent nécessaires au développement de l'entreprise, dans le secteur public. La prise de risques managériale relève du code pénal. Est-ce qu'avec un cadre juridique aussi contraignant il est possible d'avoir des résultats performants ? A.M : À partir du moment où l'Etat a décidé de réorienter l'investissement industriel en mettant beaucoup d'argent dans les entreprises publiques, c'est déjà un grand risque. Le risque doit exister et existe dans la gestion. Vouloir le minimiser ne doit pas se traduire par un arsenal juridique contraignant. Il faut maintenant penser au management dirigeant de ces entreprises publiques et leur donner une plus grande marge de manœuvre pour prendre les bonnes décisions. Pour cela, les entreprises publiques ont besoin d'un encadrement managérial compétant avec des prérogatives assez importantes pour bien diriger. Le conseil d'administration ne doit plus être une source de blocage, mais au contraire il doit savoir soutenir les bonnes initiatives. L'Etat a donné beaucoup d'argent aux entreprises publiques et doit garantir maintenant un bon investissement de tout cet argent. Ce qui ne peut se faire sans management et sans les risques de gestion qui s'imposent. On ne peut pas gérer sans prendre des risques et on ne peut pas prendre des risques avec un cadre juridique qui pénalise l'acte de gestion. Il faut libérer les initiatives. L'histoire nous a montré qu'un bon dirigeant peut, avec la marge de manœuvre nécessaire, redresser une entreprise même si elle est au bord du gouffre. Nous n'avons qu'à reproduire ces conditions pour diminuer réellement les risques de gestion.