Les forces du changement en Algérie, entendu au sens large, ont été tenues en échec par le régime, qui persiste à croire qu'une démocratie ornementale peut se substituer à la démocratie. Le ministre des Affaires étrangères algérien n'a pas été très avisé de tirer des conclusions politiques de la dernière marche. Ses contradicteurs peuvent tout simplement lui rétorquer qu'il faut laisser les gens marcher librement pour jauger de leur capacité à mobiliser. Qu'il y ait eu 2.000 personnes face à dix fois plus de policiers n'est pas rien. Mais le discours du ministre correspond parfaitement à cette manière biaisée d'aborder les questions qui troublent. Une méthode qui d'ailleurs ne convainc personne. Pas même les observateurs étrangers à qui il était adressé. Il faut bien remettre les choses à l'endroit. Affirmer que l'Algérie est une démocratie n'en fait pas une démocratie pour autant. Pas plus qu'exhiber le nombre de partis politiques n'est un critère de pluralisme partisan. Il est certain que l'Algérie n'est pas la Tunisie ni l'Egypte : cette réponse bateau que les responsables algériens se sentent obligés de répéter a un côté absurde. Tout comme il était absurde de croire que le 12 février est le «grand soir». Mais ce que la Tunisie et l'Egypte ont fait pour les Algériens est de les inciter à se ré-intéresser à la politique et à être convaincus qu'il ne faut pas renoncer à demander le changement politique. A ne pas accepter qu'un ersatz de démocratie remplace la démocratie. Ils ont plusieurs biais pour le faire. Ils peuvent, en faisant des comparaisons avec des pays proches, faire le constat de l'inefficacité du système et du fait qu'il est devenu une entrave et une charge pour le pays et son avenir. Car un pays qui dispose de moyens importants et d'un marché consistant et qui ne fait que 2 à 3% de croissance doit nécessairement prendre acte d'une incapacité systémique à produire de la richesse et à la redistribuer efficacement. Bien entendu, des milliers d'individus en profitent et accumulent, et transfèrent aussi. L'économie algérienne, elle, n'y gagne rien. Quand on observe le gouvernement algérien détricoter une partie des mesures de «contrôle» économique décidées récemment et renoncer à combattre l'informel, il est clair qu'il y a un problème de système. Les réponses qui sont en train d'être apportées depuis les dernières émeutes - et les révolutions en Tunisie et en Egypte - consistent à reculer devant ceux qui disposent d'une capacité de nuisance. C'est une gestion de l'immédiat, de l'urgent, tout à fait le contraire d'une démarche cohérente, structurée et positive. La rente, encore elle, permet au fond aux tenants du système de considérer comme «secondaires» les questions d'efficacité et de rentabilité économique des dépenses publiques. Le régime est assis sur une rente, sur une clientèle et des moyens de répression. Mais cela ne suffit pas à expliquer cette capacité à refuser le changement, alors qu'il est patent que le système est inefficace et coûte très cher à l'Algérie. Il faut bien admettre que le système a aussi réussi, depuis octobre 1988, à diviser et à disperser les forces porteuses de renouvellement. Si aujourd'hui ces forces, au-delà de leurs idées, ne parviennent pas à faire sortir la revendication populaire de l'émeute vers la formulation politique, cela tient aussi à l'énorme passif accumulé au cours des années 90. Sans une «franche discussion» sur ce passif, il sera difficile d'avancer. L'appréciation ouverte sur les divergences d'hier ne relève pas de l'histoire, mais du présent et de l'avenir. Y aller franchement serait un pas en avant.