Les nouvelles autorités libyennes, qui ont fêté dimanche la libération totale du pays du régime autoritaire de Kadhafi, doivent annoncer dans les prochaines semaines la formation d'un gouvernement «intérimaire», alors que la proclamation de la Chariâa comme fondement de la législation par le n°1 du CNT a fait «vaciller», hier lundi, quelques capitales «amies». Selon le président du Conseil national de transition (CNT), Mustapha Abdeljalil, un gouvernement de transition sera installé «d'ici deux semaines». «Nous avons commencé les discussions (sur la formation d'un gouvernement) et cette question ne prendra pas un mois mais sera terminée d'ici deux semaines», a-t-il indiqué au cours d'une conférence de presse. Selon la feuille de route du CNT, publiée fin août dernier, le pouvoir sera remis à une assemblée élue dans un délai de huit mois maximum et l'adoption d'une nouvelle Constitution. Pour autant, le nouveau sujet chaud de l'actualité libyenne est cette déclaration du président du CNT qui a affirmé que la législation du pays serait fondée sur la Chariâa (loi islamique). «En tant que pays islamique nous avons adopté la Chariâa comme loi essentielle et toute loi qui violerait la Chariâa est légalement nulle et non avenue», a indiqué M. Abdeljalil devant des dizaines de milliers de personnes réunies lors de la cérémonie de proclamation de la «libération» du pays. Une déclaration qui a suscité un certain étonnement, si ce n'est un émoi non dissimulé dans plusieurs capitales européennes. L'Union européenne a appelé, hier lundi, les nouvelles autorités libyennes à «respecter les droits de l'Homme et les principes démocratiques», en réaction à l'annonce de l'introduction de la Chariâa dans le pays. «Nous attendons de la nouvelle Libye qu'elle soit fondée sur le respect des droits de l'Homme et des principes démocratiques», a déclaré la porte-parole Maja Kocijancic, de la chef de la diplomatie européenne Catherine Ashton. La Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (FIDH) a également manifesté son inquiétude, sur les «menaces de régression» en Libye, et a appelé les Libyens à faire preuve de «vigilance», a déclaré lundi sa présidente. «Incontestablement cela m'inspire une inquiétude à l'égard de ce qu'il faut appeler clairement des menaces de régression (...). Les Libyens et les Libyennes doivent faire preuve de vigilance. Il n'y a pas eu des milliers de morts pour qu'aujourd'hui, il y ait un retour en arrière à l'iranienne», a déclaré Souhayr Belhassen. VOLTE-FACE D'ABDELDJALIL La réaction de M. Abdeldjalil sera immédiate, indiquant que les Libyens étaient des «musulmans modérés», dans un geste qui veut rassurer la Communauté internationale, inquiète soudain de la probable émergence d'un Etat théocratique au Maghreb. «Je voudrais que la Communauté internationale soit assurée du fait qu'en tant que Libyens, nous sommes musulmans, mais musulmans modérés», précise le Président du CNT. «En tant que musulmans, nous respectons les règles de l'Islam. Elles ne représentent aucun danger pour quelque parti politique ou faction que ce soit», a-t-il insisté. Il a répété que la Chariâa devait être la source de la législation mais précisé que cela ne voulait pas dire que les lois en vigueur seraient sommairement abrogées. «Ma référence hier (à la Chariâa) ne signifie pas l'amendement ou l'abrogation d'une quelconque loi», a-t-il expliqué. «Lorsque j'ai cité comme exemple la loi régissant le mariage et le divorce, j'ai juste voulu donner un exemple (de lois allant à l'encontre de la Chariâa), car la loi (actuelle) n'autorisera la polygamie que dans certaines conditions. M. Abdeldjalil a également annoncé l'ouverture de banques islamiques en Libye qui, conformément à la loi islamique interdisent de toucher des intérêts. «Il y a de bonnes intentions derrière la régulation de la loi sur les banques. Nous cherchons en particulier à établir des banques islamiques qui (...) interdiront l'usure dans l'avenir, selon la tradition islamique», a-t-il indiqué. Par ailleurs, une enquête sur les circonstances de la mort de Mouamar Kadhafi, lynché puis abattu d'une balle dans la tête après sa capture près de Syrte, a été ouverte. «Pour répondre aux requêtes internationales, nous avons commencé à mettre en place une commission chargée d'enquêter sur les circonstances de la mort de Mouammar Kadhafi dans l'accrochage avec son entourage, au moment de sa capture», a déclaré M. Abdeljalil, lors d'une conférence de presse à Benghazi. Selon lui, tous les Libyens auraient voulu «juger (Kadhafi) pour ce qu'il leur avait fait, des exécutions aux emprisonnements en passant par le gaspillage de la richesse du pays». KADHAFI MORT PAR BALLES «Les Libyens libérés voulaient que Kadhafi passe autant de temps que possible en prison et se sente aussi humilié que possible», a-t-il insisté, ajoutant : «ceux qui avaient intérêt à cette mort rapide étaient ceux qui le soutenaient». En fait, l'autopsie effectuée sur le corps de Kadhafi confirme qu'il a été abattu à bout portant d'une balle dans la tête. Le docteur Othman El-Zentani, qui a autopsié son corps et celui de son fils Mouatassim, ainsi que celui du ministre de la Défense Aboubakr Younès Jaber, est catégorique : 'c'était une autopsie standard complète, conforme à toutes les normes scientifiques et de l'Union européenne». «Leurs blessures nous ont indiqué combien de blessures par balles ont-ils reçues. (...) Nous avons des réponses à toutes les questions», dont celle de savoir si Kadhafi est mort lors de combats ou a été exécuté, a-t-il ajouté. «Nous parlons de mort par balles pour tous les trois», a précisé le légiste, sans vouloir donner plus de précisions. Selon lui, «le feu vert (pour communiquer sur le sujet) sera donné dans les prochains jours», et «rien ne sera caché». Enfin, des ONG de défense des droits de l'Homme commencent à dénoncer des massacres dans la ville de Syrte, où des dizaines de cadavres violentés ont été trouvés par les humanitaires.