Il ne semble pas, jusqu'à preuve du contraire, que la victoire de son parti Ennahdha soit montée à la tête du leader islamiste tunisien Rached El-Ghannouchi, devenu de facto après celle-ci le nouvel «homme fort» du pays. C'est du moins ce qui transparaît de ses déclarations post scrutin et des transactions qu'il a engagées avec les autres forces politiques du pays en prévision de la première convocation de la nouvelle assemblée élue, qui devra d'abord nommer un nouveau président de la République, qui lui-même désignera le Premier ministre. El-Ghannouchi a en effet multiplié les assurances et les engagements que son parti respectera les droits et les libertés des citoyennes et citoyens tunisiens et participera à l'instauration d'un régime démocratique. Il a d'autre part reconfirmé la promesse faite par lui à son retour d'exil après la chute de Benali et de son régime qu'il ne postulera pas aux postes sensibles de chef de l'Etat ou de Premier ministre. Ainsi tout en modération, le leader islamiste a apparemment réussi à atténuer les peurs que la victoire de sa formation a suscitées dans la société tunisienne et parmi certains battus du scrutin du 23 octobre. Au point qu'elles sont plus nombreuses les voix dans le camp des démocrates et libéraux tunisiens qui, tout en prônant le «devoir de vigilance» à l'égard de ce qui peut advenir après la victoire du parti islamiste, estiment qu'il ne faut pas que leur courant refuse de prime abord la «main tendue» par Ennahdha et son leader à son endroit. Battu électoralement, le courant démocrate et moderniste tunisien est néanmoins en mesure de tester la sincérité des convictions démocratiques d'Ennahdha et la modération de ses ambitions. Tels qu'il ressort du scrutin, la formation islamiste est dans l'obligation de composer avec lui pour les actes fondamentaux qui vont dessiner les contours de la nouvelle république tunisienne. Le courant démocrate et moderniste est en situation de faire barrage à un projet de société radicalement islamiste, pour peu que ses segments représentés dans l'Assemblée constituante s'entendent sur ce qui doit être acceptable pour eux dans ce qu'Ennahdha leur propose comme programme et mode de gouvernance. En Tunisie, tant pour Ennahdha, s'il a réellement renoncé à faire figure de parti islamiste radical, que pour les formations du centre et de la gauche, le grand enjeu consiste à créer les conditions qui empêcheront la montée des extrêmes. La première étant la construction d'un Etat démocratique dans lequel l'alternance au pouvoir se fera pacifiquement et dans le respect de la souveraineté populaire. La seconde étant qu'il leur faut prendre à bras-le-corps la problématique économique et sociale dans laquelle se débattent la Tunisie et son peuple Si le vainqueur et les vaincus du scrutin du 23 octobre trouvent un terrain d'entente pour engager ensemble ces deux chantiers, alors oui, la «révolution du jasmin» tiendra toutes ses promesses et la Tunisie sera vraiment l'exemple accompli et positif de ce que les acteurs du printemps arabe se sont fixés comme objectif pour leurs pays respectifs et le monde arabe en général. Gardons-nous de jeter de l'huile sur le feu pour ce qui se passe en Tunisie et faisons confiance à la société tunisienne et à ses élites qui ne cessent d'étonner par leur maturité.