C'est un Rached Ghannouchi fier, dans son costume de patron de la première force politique à l'Assemblée constituante tunisienne, qui s'est présenté hier devant la presse. Fier d'avoir enlevé haut la main 90 des 217 sièges de cette institution chargée de rédiger la Constitution de la Tunisie post-Ben Ali, mais aussi loin devant le conglomérat de partis de gauche. Craint à juste titre par de nombreux observateurs, Ghannouchi a voulu également se présenter comme un islamiste BCBG (bon chic bon genre) tout à fait fréquentable, qui jongle allégrement avec les concepts occidentaux du genre démocratie, alternance, liberté… Faut-il alors croire le vieux chef d'Ennahda comme étant le porte-drapeau d'un islamisme soluble en démocratie ? C'est la grande question que se posent les maîtres du monde qui accordent des brevets de démocratie, mais aussi les Tunisiens progressistes réveillés en sursaut par cette vague verte qui a submergé leur pays qu'ils croyaient irrémédiablement immunisé. Le chef d'Ennahda, qui a compris ces craintes, a tenté, hier, de rassurer. «La démocratie, c'est pour tout le monde», a lancé d'entrée Rached Ghannouchi. Et de faire tout de suite un appel du pied à tous ses concurrents : «On demande à tous nos frères, quelles que soient leurs orientations politiques, de participer à l'instauration d'un régime démocratique.» Difficile de ne pas prendre au mot le chef d'Ennhada, qui prend un engagement devant le monde entier de respecter son contrat pour une Tunisie libre et moderne, qui ne fera pas table rase de son passé en termes d'acquis citoyens. M. Ghannouchi a réaffirmé son «engagement envers les femmes de Tunisie pour renforcer leur rôle dans la prise de décision politique, afin d'éviter toute marche arrière sur leurs acquis». A ceux qui s'inquiètent du sort des femmes sous le qamis de Ghannouchi, ce dernier assène que 42 des 49 femmes élues au sein de la nouvelle Assemblée sont membres de son parti. Rached Ghannouchi a sorti un autre argument tout aussi charmeur: «La révolution n'a pas eu lieu pour détruire un Etat, mais pour détruire un régime. Nous sommes déterminés à protéger l'Etat tunisien.» Le chef d'Ennahda, trop marqué par les années Ben Ali, a saisi au vol la violence à Sidi Bouzid pour pointer du doigt «la main du RCD dissous» dans les échauffourées qui ont éclaté jeudi. Des assurances à consommation externe Tout en lançant un appel au calme, Ghannouchi est convaincu que ces troubles signent le retour sur les lieux du crime – l'immolation du jeune Mohamed Bouazizi ayant déclenché la Révolution du jasmin – des serviteurs de Ben Ali qui voudraient (re)plonger cette ville dans le chaos. Le parti de Ghannouchi a été particulièrement ciblé puisque sa permanence et plusieurs bâtiments administratifs, dont la municipalité et le tribunal, ont été mis à sac et pillés après l'annonce des résultats de l'élection. Mais cet incident, qui a justifié le couvre-feu dans cette ville, est loin de troubler la fête de Ghannouchi et ses partisans mais surtout leur souci de se présenter dans un habit nouveau, au propre comme au figuré. Quoi qu'il en soit, au-delà de ce grand oral de Ghannouchi pour rassurer en Tunisie et ailleurs, son parti Ennahda n'a pas perdu de temps pour envahir le nouveau pouvoir en Tunisie. Il a déjà indiqué que son numéro deux, Hamadi Jebali, 62 ans, qui a passé 16 années de sa vie en prison, dont 10 à l'isolement, était candidat à la direction du gouvernement. Le parti islamiste devrait soutenir un président issu de l'un des partis de gauche qui pourrait être Ben Jaffar, Marzouki ou même Béji Caïd Essebsi. Un autre signe de la main tendue par le parti islamiste à ses concurrents, qui se veut un gage d'une cohabitation sereine pour une République qui, au moins, ne sera pas pire que celle de Ben Ali. Sinon, le volcan de Sidi Bouzid peut à tout moment entrer en éruption, comme avertissent certains journaux, encore groggy par le raz-de-marée d'Ennahda.