Depuis 2007, date qui marque le début de la grave crise financière que vit aujourd'hui une partie de la planète, il est sans cesse question des marchés, sans pour autant que ce terme vague soit explicité. A chaque événement politique, il est ainsi de bon ton de décrire ou d'anticiper ce que sera leur réaction. Marchés par ci, marchés par là… Plus récemment, les changements politiques en Grèce et en Italie, sans oublier au Portugal et en Espagne, ont été attribués à leur influence et à leur rôle grandissant dans la marche des nations au détriment des règles démocratiques classiques et de la souveraineté populaire. DE LA NATURE DES MARCHES Il faut donc poser cette question basique : mais qui sont donc les marchés ? Qui sont ces acheteurs de la dette publique des Etats dont les exigences font que les agences de notation ne cessent de dégrader les notes dites souveraines ? Concernant la dette publique, il faut donc savoir qu'il existe deux principales catégories d'acheteurs. Il y a d'abord les banques qui peuvent à la fois prêter directement de l'argent aux Etats mais aussi acheter des obligations émises par ces mêmes Etats. Cet achat peut se faire sur le marché primaire (transaction directe entre l'Etat et la banque), ou alors sur le marché secondaire (transactions entre détenteurs de la dette hors de toute intervention ou contrôle de l'Etat concerné). Il y a ensuite les fameux fonds de placement spéculatifs, que l'on appelle souvent Hedge Funds. Que veulent ces acteurs ? La réponse est la plus simple possible : gagner de l'argent. Ou plutôt, gagner le maximum d'argent, étant entendu que lorsqu'un investisseur ne gagne qu'un euro là où il aurait pu en gagner le double, il est considéré – et il se considère – comme perdant. Cela signifie que les stratégies à court terme prendront toujours le pas sur le long terme, puisque les marchés appliquent à la lettre le principe du «mieux vaut un faible gain tout de suite qu'une grosse perte demain». En clair, la maximisation immédiate du profit est une règle essentielle et elle explique en partie ce qui se passe aujourd'hui. La question qui se pose est donc la suivante : quelle est, pour les marchés, la meilleure configuration pour qu'ils gagnent le plus d'argent possible grâce aux obligations souveraines ? Et là, pour le coup, la réponse la plus fréquente est pour le moins paradoxale. En effet, pour nombre d'experts qui préfèrent s'exprimer sur le sujet en privé – car ils sont souvent employés par des banques ou des institutions financières –, la meilleure stratégie consiste à aggraver en permanence les difficultés que rencontrent les pays emprunteurs pour se financer. En effet, plus la santé financière du pays concerné se dégrade et plus les taux d'intérêts qu'il devra payer à ses créanciers seront élevés. En clair, les marchés prennent les Etats à la gorge, tout en sachant que cela peut mener ces derniers à la faillite. UN OBJECTIF PARADOXAL C'est bien là le paradoxe de la situation car la faillite d'un Etat peut aussi signifier des pertes importantes pour les prêteurs. Mais ces derniers estiment que l'enjeu en vaut la peine puisqu'ils sont gagnants tant que l'Etat n'a pas rendu les armes. Et dans le cas de l'Europe, ces acteurs, banques comprises, parient sur le fait que les membres de l'Union européenne feront tout pour éviter les faillites et qu'elles sauront donc trouver l'argent (public, bien entendu) pour combler les déficits et rembourser les créanciers. Bien entendu, la stratégie est risquée mais, pour l'heure, les marchés, c'est-à-dire les banques et les fonds de placement, sont bel et bien en train de gagner de l'argent grâce à la crise de la dette. Et c'est bien cela qui ne doit pas être perdu de vue.