Mis en service en 2007, le port de Tanger Med est parvenu à l'équilibre. Il a attiré les plus grands armateurs : Maersk Line, CMA-CGM, Delmas, Mitsui O.S.K Lines (MOL) et HamburgSüd. Il s'est imposé comme une escale incontournable du trafic maritime mondial, avec 125 ports desservis dans le monde, dont près de la moitié entre la Méditerranée et l'Afrique. Michel Titecat, directeur Stratégie et Développement de l'Agence spéciale Tanger Méditerranée entre 2003 et 2011, en parle. Il ne croit pas à l'option route, type transsaharienne, pour relier le Maghreb à l'Afrique subsaharienne avec des camions qui feraient «6 à 7.000 km à travers le désert». Pour lui, la meilleure option est le chemin de fer. Mais le plus grand problème est que «c'est la guerre, partout en Afrique». Quel a été l'état du trafic global en 2011-2012 ? La crise de 2009 a eu des répercussions sur l'activité conteneurs, avec une diminution au niveau du trafic mondial. Il y a eu quelques mouvements sociaux en 2011, ce qui fait qu'une partie du trafic a été déroutée vers Algésiras. Certains flux ont été réorientés. Plusieurs armateurs sont en train de penser fortement à développer une desserte de la côte ouest-africaine par des directes, c'est-à-dire qu'ils ont commandé des bateaux de taille inférieure compatibles avec les ports africains pour desservir depuis l'Asie du Sud-Est sans passer par les grands hubs comme Rotterdam, Algésiras, Tanger Med, etc. Il y a aussi des problèmes de piraterie ou des risques sur le canal de Suez. Mais quelles que soient les incertitudes sur le trafic, le port de Tanger est très bien situé. Même si le canal de Suez est bouché, le port de Tanger devient la porte d'entrée obligatoire pour toute la desserte de l'économie méditerranéenne. D'ailleurs, l'indice de connectivité maritime du Maroc a bondi, passant de la 77e place mondiale en 2007 à la 17e place en 2011. Comment a évolué le bassin d'emploi avec l'aménagement de la zone franche industrielle et l'installation de l'usine Renault ? L'arrivée de Renault, qui avait déjà créé près de 6.000 emplois, a incité un certain nombre de sous-traitants à venir s'installer dans l'hinterland immédiat de Tanger Med, générant ainsi près de 30.000 emplois (Selon l'agence spéciale Tanger Méditerranée, 397 sociétés sont implantées sur les zones franches, représentant plus de 40.000 emplois). Conséquence de l'attractivité créée autour du pôle Renault et des zones franches, un corridor industriel s'est développé autour de Tanger, qui a fortement besoin de créations de postes. Mais nous avons pris soin de penser à l'aménagement de cette nouvelle entité. Ainsi, les espaces à côté du port ont été réservés aux activités qui ont vraiment une utilité forte à se trouver proche du port. Transférer toute cette main-d'œuvre à Tanger Med n'avait pas de sens. Il vaut mieux acheminer les produits sur 15 km plutôt que déplacer des milliers de personnes sur 40 km. Par conséquent, nous avons essayé d'offrir des gammes de terrains pour que les gens ne s'agglutinent pas sur le littoral, alors qu'ils seraient aussi bien à proximité du bassin d'emploi. Quel est l'objectif de Tanger Med 2, dont les travaux de construction, lancés en juin 2009, devraient s'achever à l'horizon 2015 ? L'idée qui a présidé à Tanger Med 2 est de consolider les activités de transbordement à cet endroit-là. Tanger Med 2 installe définitivement le détroit de Gibraltar comme un méga-carrefour mondial. Il prolonge Tanger Med 1 avec une augmentation quantitative. En effet, avec une capacité de huit millions de conteneurs cinq millions pour Tanger Med 2 et trois millions pour Tanger Med 1 , on crée une capacité sur le détroit de Gibraltar de l'ordre de celle de Rotterdam. Tanger Med peut-il devenir une plateforme vers la route transsaharienne : Algérie, Mali, Mauritanie, Niger ? A l'heure où l'on essaye de mettre la marchandise sur des bateaux, je ne vois pas la logique de la mettre sur des camions pour faire 6 à 7.000 km à travers le désert. Il existe deux lignes d'accumulations du PIB et de la population : sur la côte et à la hauteur du Niger. Or, cette deuxième ligne est normalement desservie par les trains. Le problème, c'est que c'est la guerre partout. Si on fait l'hypothèse que la guerre s'arrête, c'est le train qu'il faut privilégier. Pour acheminer de la marchandise dans des coins reculés du Mali, il faut la descendre à Abidjan (Côte-d'Ivoire), à Dakar (Sénégal) puis la mettre sur un train qui va l'amener à Ouagadougou (Burkina Faso) ou à Niamey (Niger). Et de là, elle fera les derniers 400 km en camion. J'espère qu'on n'en arrivera jamais à ce que les camions fassent la route de Tanger Med au Mali. C'est absurde. La logique maritime, c'est de desservir les plateformes, et que les plateformes soient liées par le ferroviaire. Un port doit être doté d'une capacité de fret massif et à faible charge en carbone. A la surprise générale, Tanger Med est apparu comme un grand port de desserte de l'Afrique de l'Ouest : Dakar (Sénégal), Lagos (Nigéria), Cotonou (Bénin), etc. Et il restera tourné vers l'Afrique de l'Ouest. Quelles relations entretient Tanger Med avec les autres ports de la Méditerranée ? Avec Algésiras situé en face de Tanger Med, des réunions sont organisées au moins tous les trimestres. On est très attaché parce que, même si on est en concurrence sur l'interlining (ndlr, transbordement de conteneurs entre gros navires), il ne faut pas que l'on devienne trop concurrent, car les armateurs risquent de jouer l'un contre l'autre. Tanger Med est un port hub dans lequel opèrent les mêmes armateurs qu'à Algésiras, Valence, Malte, etc. Ce sont eux qui décident à partir d'où ils envoient leurs conteneurs et ce qu'ils transbordent à Tanger Med, à Algésiras ou ailleurs. On a donc intérêt à se concerter. Je pense qu'à Tanger Med, il y a la volonté de développer les liaisons feeder (ndlr, navire de petit tonnage permettant l'éclatement sur différents ports) car ce sont des trafics moins volatiles que l'interlining. L'objectif que doit garder Tanger Med est d'être efficace. Tanger Med est un «projet intégré», comprenant, outre les ports marchandises et passagers construits en eaux profondes à 40 kilomètres de la ville de Tanger, des zones franches et d'activités, s'appuyant sur une solide infrastructure, incluant routes, autoroutes et voie ferrée. Son chiffre d'affaires s'est élevé à 493 millions de dirhams au 30 juin 2011, soit une progression de 96% par rapport à la même période de 2010.