Jean-Marc, en poste depuis plus de six mois en Algérie, quelle est exactement la mission que vous a assignée le président de la FAF ? Nous nous sommes mis d'accord sur des fonctions de chef de département des sections des U17 et des U20 mais avec une priorité pour les moins de 20 ans. Quels sont vos prérogatives et votre réel champ d'action ? Je suis sélectionneur des U20 et j'ai comme objectif de finir dans les quatre premiers de la prochaine CAN qui se dispute en Algérie (du 15 au 30 mars 2013). Si nous réussissons, nous enchaînerons avec la Coupe du monde au mois de juin en Turquie. C'est un objectif très important car je vous rappelle que le pays ne s'est pas qualifié pour cette compétition depuis plus de 35 ans. A votre arrivée, quel plan d'action avez-vous décidé de mettre en place pour monter la sélection la plus compétitive ? Je me suis attelé à faire une expertise de la situation. J'ai eu beaucoup d'entretiens avec les éducateurs des clubs, avec les gens de la FAF et aussi avec Boualem Laroum, le DTN qui a été installé en même temps que moi. Il présente l'avantage de très bien connaître le milieu. Il fallait absolument que je m'imprègne de la culture footballistique algérienne et savoir où je mettais les pieds. J'ai aussi vu beaucoup de matches de moins de 17 ans, 19 ans, National, Ligue 2 et Ligue 1. Et quels enseignements en avez-vous tirés ? J'ai présenté un plan d'action sur 16 mois au président de la FAF avec un ensemble de missions. J'ai proposé un organigramme, un plan d'action de détection dans le pays et en Europe. Et également, la mise en place d'une sélection avec une formule de centre de formation, qui est un peu dans le style de nos centres de préformation en France. L'idée directrice est de travailler la semaine, jouer le week-end et aussi participer à des matches ou tournois internationaux. Le président Raouraoua a, dans l'ensemble, validé ces actions. Lors de votre arrivée, vous avez eu des débuts difficiles avec la sélection des U20 - mise à votre disposition - avec deux défaites face à la Tunisie et la Mauritanie dans le tournoi de l'UNAF. Qu'en avez-vous conclu ? Cela m'a permis l'évaluation. Malgré les défaites, il y a eu des choses positives. Avec le DTN, et le président de la FAF nous avons mis en place une action qui a été très bien perçue dans le pays. Au mois d'avril, je suis allé sur 15 sites à travers l'Algérie pour détecter des joueurs. Je suis allé quasiment partout sur le territoire national : Annaba, Constantine, Oran, Bouira, Tipaza, Mascara, Tlemcen, Béchar et Ouargla, etc. Dans quel but précis ? J'avais deux objectifs essentiels : donner à n'importe quel Algérien né en 1993 ou 1994, la chance de pouvoir honorer la sélection nationale de son pays. J'ai voulu aussi donner la possibilité au club en relation avec la DTN algérienne de proposer des joueurs. Après ce périple, quelle idée vous faites-vous du footballeur algérien ? J'ai eu la chance de voir entre 1000 et 1200 joueurs. Je reste sur mon idée de départ. Comme on dit en Algérie, et c'est juste : il y a de la pâte, il y a de la qualité technique. Cela me rappelle les Franco-Algériens que j'ai eus au Havre comme Mansouri, Brahami ou Bouadla. Le joueur algérien est techniquement au dessus de la moyenne, il est très endurant mais il reste un ensemble de domaines où il doit travailler. Lesquels ? Je pense surtout au plan athlétique. Le joueur algérien doit progresser au niveau de la force, de la puissance et de la vitesse. Il faut aussi qu'au niveau tactique, qu'il soit capable de s'adapter à plusieurs plans de jeu et d'avoir une technique davantage portée sur l'efficacité. Qu'est-ce qui explique ces lacunes ou déficits structurels ? Le constat est simple. Dans les clubs de L1 et L2, la formation n'est pas la priorité car les efforts sont davantage concentrés sur l'équipe première. C'est la raison pour laquelle, le président Raouraoua, a mis en place cet organigramme avec un DTN, un chef des départements des sélections nationales U20 et U17, le tout pour sensibiliser l'ensemble des clubs à la formation des cadres et des joueurs. Le président Raouraoua vous a-t-il signé un chèque en blanc pour cette mission ? Le président de la FAF met le paquet pour réussir la CAN en Algérie. Et croyez-moi, mon staff et moi-même sommes en complète osmose avec lui. J'ai des conditions tout à fait exceptionnelles. Cela fait 20 ans que je tourne dans cet univers professionnel, et c'est fabuleux de voir les moyens qui sont à ma disposition en termes de formation ou d'équipe première. Cela me rappelle le Havre. Le président est très attentif à ce que je lui propose au niveau des actions techniques. Nous sommes en contact permanent et avons des réunions régulières. Il est très présent, connaît très bien le dossier de la formation et souhaite sensibiliser tous les présidents de clubs pour développer la future élite dans les prochaines années. Au dernier Mondial en Afrique du Sud, 18 des 23 joueurs présents étaient des binationaux formés en France. L'idée directrice est-il de se préparer à ce que l'Algérie soit moins tributaire de sa diaspora ? C'est exactement cela. En mettant en place un DTN, responsable du football qui a été joueur international avec un ensemble de missions très axé sur la formation des entraîneurs, la promotion des compétitions et un responsable français de toutes les équipes nationales avec les U20 comme priorité, c'est un premier pied à l'étrier au développement de la formation en Algérie. Quand pensez-vous que les premiers résultats de cette politique globale seront au rendez-vous pour l'élite du football algérien ? Aujourd'hui, l'équipe d'Algérie A est très dépendante du réservoir des binationaux. Je pense que si on veut une équipe fanion efficace et performante, il faut commencer à travailler avec les gamins à partir de 12 ou 13 ans. En ce moment, il y a des choses déjà très positives qui sont faites par rapport à certains autres pays que j'ai visités. En Algérie, il y a des compétitions des U21, U19, U18, U17 ou U16. J'ai par exemple assisté à quatre finales de Coupe d'Algérie : U21, U19, U15 et U13. Il y a donc des choses qui se mettent en place. En 2018, 2020, le pays verra les premiers fruits de ce travail. On le sait tous, la formation c'est un travail de longue haleine. Dès 2016, le pays sera un peu plus autonome en termes de formation car les gens auront eu un vrai plan de travail, auront été mieux formés, et les joueurs aussi. Votre discours est plein d'optimisme pour l'Algérie Il y a une chose qu'il ne faut pas oublier, la France a mis 30 ans pour gagner le Mondial 1998. On se souvient tous des premiers centres de formation dans les années 70, sous l'ère Georges Boulogne. Aujourd'hui, je pense qu'en 6 ou 8 ans tant sur un mode d'action bien précis que sur celui de la fédération et de ses équipes nationales, l'Algérie prépare son avenir sous de bons auspices. C'est un pays qui entame un nouveau cycle sportif, économique et international. J'ai le sentiment d'arriver au bon moment et j'espère apporter ma pierre à l'édifice. Jean-Marc, sur le fond, il y a ce chantier de la formation, mais plus près de nous et au mois de mars prochain, l'Algérie va abriter la CAN des moins de 20 ans. En tant que sélectionneur, quelle est votre stratégie pour réussir cet événement ? Après le tournoi de l'UNAF en février dernier, j'ai donc expertisé toutes les forces en présence sur le plan local en sillonnant le pays. Pour la Coupe arabe du mois de juillet, j'ai pris 3 joueurs par poste pour le stage du mois de juin. A partir du 15 août, c'est donc 30 à 35 joueurs qui vont rentrer sous une formule de centre de formation avec un programme d'entraînement la semaine et un match de niveau national le week-end. A cela s'ajoutera un match international sur les dates FIFA et deux tournois en décembre et en janvier qui sont déjà programmés. Sur ces 35 joueurs, 23 seront finalement retenus pour la phase finale. Si l'on comprend bien, c'est un effectif à 100 % de joueurs locaux qui se prépare à représenter l'Algérie. Le réservoir des Franco-Algériens va-t-il être sacrifié ? Il a été défini avec le président Raouraoua de partir avec une promotion du joueur local à hauteur de 16 à 17 joueurs. Maintenant, s'il y a 5, 6 ou 7 joueurs en Europe sur lesquels j'ai défini des profils et des critères qui peuvent apporter un plus à la sélection, je les prendrai. Quels sont ces critères et ces profils que vous avez définis ? Ce sont des joueurs qui s'entraînent avec des groupes pro de L1 ou L2 et ceux qui auront dans les jambes 5, 10 ou 15 matches de CFA. Ce sont donc des profils de haut niveau. Avez-vous notamment débuté votre prospection en France ? Oui, j'ai visité dix à douze centres de formation en accord avec les entraîneurs et les clubs car je souhaite une démarche transparente. J'ai demandé si je pouvais assister aux entraînements, il y a eu une très bonne coopération. J'ai utilisé mon réseau pour cibler les Franco-Algériens susceptibles de nous intéresser. Souvent frileux pour les meilleurs ou alors peu rassurés par le projet proposé, quel discours avez-vous tenu aux jeunes rencontrés ? C'est simple. J'ai demandé aux gamins que j'ai sollicités la chose suivante : est-ce que vous vous sentez algériens pour venir défendre les couleurs de votre pays ? Sur le fond, cette condition est très importante. Et je veux être certain que ces joueurs viennent pour apporter un plus sur le plan technique et une valeur ajoutée. Il se murmure que vous avez coché les noms des attaquants Ilies Aftis (Caen), Bilel Ouali (Reims) ou Idriss Chergui (Saint-Etienne) sur votre calepin. Sont-ils intéressés par l'idée de vous rejoindre dans ce projet ? C'est gênant de donner des noms. J'ai vu une trentaine de joueurs et je pense qu'il y en a 5, 6 ou 7 qui pourront à un moment donné apporter une plus value. Ce que je peux vous dire, c'est que beaucoup de joueurs sont intéressés pour jouer la CAN des moins de 20 ans avec l'Algérie. Peut-on savoir lesquels ? Je ne vais pas pouvoir aller dans l'individuel. Tous les joueurs qui répondent aux critères sont les bienvenues et peuvent nous intéresser. Mais, il faut qu'il apporte réellement un plus à la sélection. Sachant que la base de mon travail reste la promotion du joueur formé en Algérie. Lors du dernier rassemblement vous avez pioché des joueurs au sein de l'académie du Paradou dirigés par Olivier Guillou et qui suit les mêmes méthodes de travail que celle qui a produit à Abidjan les Yaya Touré, Kolo Touré, Zokora ou Tiéné. En Algérie, il y a un véritable engouement autour de ces gamins. Pensez-vous que cette expérience représente l'avenir du football algérien ? On a eu un match amical contre eux en début d'année. On n'était pas du tout prêt, ils nous ont battus. Ce qu'ils proposent en termes de travail et de contenu, c'est une bonne formation du joueur. C'est très axé sur la technique, la coordination, l'utilisation du ballon et l'éducation. Je juge cela très positif. Je crois qu'il faut louer le travail du président Zetchi ainsi que d'Olivier Guillou. En avez-vous repéré qui pourraient intégrer la sélection des U20 ? Jusqu'à présent, j'en ai vu cinq avec la sélection. Pour le stage de juin, j'en ai retenu deux, Amir Bensebaïni et Rachid Benrabah. Je vous rappelle que ce sont des joueurs nés en 1994 ou 1995, ils manquent encore de maturité sur le plan international. Mais je reste très attentif et les joueurs de cette promotion restent dans mon suivi. Je suis en train de mettre une bonne relation de travail avec l'académie car ce qu'ils font, c'est franchement intéressant. A l'image de Zidane, Benzema ou Nasri, la France a produit des franco-algériens de très haut niveau avec des caractéristiques de joueurs maghrébins. Sur ce que vous avez jusqu'à présent, existe-t-il des phénomènes en devenir en Algérie ? Sur ce que j'ai vu le terme de phénomène est un peu fort. J'ai plutôt vu des joueurs à bon potentiel. Après une bonne année de travail, sous une formule centre de formation, avec une bonne préparation athlétique, tactique, mentale et de l'exigence ; il ne serait pas impossible de penser qu'à la fin de l'année prochaine 2, 3, 4 ou 5 joueurs puissent faire des essais avec des clubs professionnels de Ligue 1 ou 2 en France ou ailleurs en Europe. Ce qui est certain, c'est que l'Algérie aura des joueurs plus professionnels dans l'efficacité, dans le comportement et dans le don de soi. Comme on peut l'imaginer souvent, le joueur algérien est-il naturellement porté vers l'offensive ? C'est un pays où il y a beaucoup de milieux de terrain, peut être qu'à un moment donné, un joueur comme Zidane a véhiculé des notions de rêve dans l'imaginaire de ces gamins. Les joueurs algériens à dominantes offensives, eux, sont très axés sur le dribble. Très bien ! Le talent est là, mais est-ce qu'il y a l'efficacité derrière ? Un but ou une passe décisive ? Au final, l'essentiel est qu'il y ait cette pâte de base, la formation doit permettre le reste. Où se situent les déficits les plus importants ? Au niveau du poste de gardien de but, il y a un problème. Mais c'est vrai que cela l'est pour l'ensemble du continent africain. Les raisons sont simples, les clubs ne débloquent pas de budgets pour avoir des entraîneurs de gardiens. Et pis encore, les fédérations n'ont pas toutes des formateurs d'entraîneurs de gardiens. Donc le problème est omniprésent en Afrique et je sors de la Côte d'Ivoire, où il y a ce même constat. Sur le champ de jeu, ressentez-vous des faiblesses à des postes spécifiques ? Au niveau de ce que j'ai pu voir en potentiel jeune, il y a des déficits sur les postes d'attaquants et sur ceux de défenseur centraux. Ce sont des postes clés dans le football de haut niveau. En termes d'exigence, j'estime qu'un défenseur, ça défend d'abord. C'est bon au duel, dans le placement et à l'impact. J'ai l'impression qu'en Afrique et particulièrement en Algérie, c'est quelqu'un qui doit bien relancer techniquement. Ma priorité c'est que mon défenseur pense en premier à défendre. Après votre expérience au Havre (2007-10), et plus récemment en Côte d'Ivoire et au Bénin, l'Algérie est-il un challenge le plus excitant ? Je sors de cinq ou six années où j'ai réussi beaucoup de missions. Avec le Havre ou sa réserve professionnelle, le Bénin où je m'en suis pas mal sorti malgré les conditions difficiles, et la Côte d'Ivoire comme DTN où nous avons réussi un huitième de finale au Mondial des moins de 17 ans avec Alain Gouaméné, on pourrait penser que je n'ai plus rien à prouver. Au contraire, j'ai encore des choses à prouver et notamment à mon employeur la fédération algérienne de Football. Depuis cinq mois, je suis très impliqué, j'ai passé plus de quatre mois et demi dans le pays. Croyez-moi, c'est un chantier très vaste mais aussi excitant et passionnant. L'Algérie est-il un pays qui respire le football comme on en rencontre peu ? R : C'est un pays avec beaucoup de passion, parfois même débordante. Je parle des supporters, des médias ou même des comportements. Le président Raouraoua a instauré le professionnalisme depuis deux ans, et tout cela va se tasser avec le temps. Je pense que c'est un pays qui va canaliser toute cette extraordinaire énergie et se structurer.