Elles sont de plus en plus nombreuses. On les reconnaît aux chapelets qu'elles tiennent en main et à leurs habits aux couleurs du désert. Des étoffes aux tons chauds desquelles elles sont drapées de la tête aux pieds. Elles sont subsahariennes et elles squattent depuis quelque temps, les trottoirs de quelques grandes artères de la ville, comme la rue de Tlemcen, la gare routière de Yaghmoracen ou le boulevard Ahmed Zabana. Complètement désœuvrées, elles n'ont d'autres moyens de survie que de mendier quelques pièces auprès des passants. La présence parmi elles d'enfants en bas âge force la compassion. Rien qu'en les voyant, on peut deviner ce qu'elles ont dû probablement endurer dans leur « traversée du désert » à partir de leur Niger natal jusqu'à Oran à l'extrême nord de l'Algérie sur les bords de la Méditerranée. Ne maîtrisant ni le français ni la langue arabe, il est difficile de communiquer avec elles autrement que par des gestes et des signes. Leurs enfants, par contre, semblent bien comprendre le français même s'ils ont du mal à répondre dans une autre langue que leur dialecte. A la différence des Subsahariens qu'on peut rencontrer depuis plusieurs années, dans les différents quartiers de la ville, des femmes et des hommes principalement jeunes, ces femmes plus ou moins âgées ne semblent pas issues de milieux sociaux urbains. Leurs tenues vestimentaires, leur niveau d'instruction et leurs compétences linguistiques limitées, laissent penser à des individus appartenant à des populations de nomades. Leur nationalité nigérienne nous a été confirmée par une petite fille âgée d'à peine dix ans, qu'on a rencontrée, au boulevard Zabana, en train de faire la manche en compagnie de sa maman. Rien qu'au niveau de cette artère, limitrophe au marché de M'dina Jdida, elles étaient six adultes et une enfant. Elles avaient pris soin de se séparer les unes des autres, chacune ayant pris place dans un coin du boulevard distant de l'autre pour éviter toute querelle. En les écoutant, les seuls mots qui peuvent avoir un sens pour nous, ce sont les mots «Allah» ou «walou». Si le premier mot est tout de suite assimilé même s'il est prononcé au milieu de phrases qui sonnent pour nous comme du charabia, le second, on le devine car il s'accompagne d'un hochement de la tête pour exprimer la négative. Deux mots qui résument finalement assez bien la condition de ces femmes qui, vu leur culture musulmane et leur parcours, ont appris à n'avoir d'espoir qu'en Dieu pour faire face à leur désœuvrement quasi-total. C'est ce qui explique en partie, leur choix de s'installer en nombre, près d'une vingtaine de femmes et d'enfants, devant la grande mosquée «Malek Ibn Anas» à la rue de Tlemcen. L'endroit n'a pas été choisi au hasard. Il permet à ces femmes d'être à proximité d'un lieu de culte qui regroupe cinq fois par jour un nombre important d'âmes charitables et de fidèles censés ne pas rester indifférents face à la détresse de femmes et d'enfants démunis et musulmanes de surcroît. Au fil du temps, témoignent des riverains, les abords de la dite mosquée ont pris les allures d'un véritable campement de réfugiés. On y voit des effets vestimentaires lavés et suspendus sur des fils pour sécher, des matelas entassés les uns sur les autres et d'autres effets de tous genres. « Elles n'étaient que cinq ou six au départ, accompagnées de quelques enfants en bas âge. Constatant leurs conditions déplorables, les riverains ne sont pas restés indifférents. Des familles du quartier ont commencé à leur envoyer de temps en temps des plateaux de nourriture. L'Algérien est de nature compatissant, surtout quand il s'agit de femmes et d'enfants », témoigne un habitant du quartier. Et d'ajouter: «mais avec le temps, le nombre de ces femmes a doublé, puis triplé, jusqu'à ce qu'il dépasse la vingtaine de personnes, sans compter les enfants». Avant de souligner: «La situation de ces femmes et enfants ne peut plus durer comme ça. Elles sont de plus en plus nombreuses à dormir sur la voie publique, dépourvues des moindres commodités de base d'hygiène. C'est particulièrement le cas aux alentours de la gare routière de Yaghmoracen. La seule solidarité des habitants du quartier est certes nécessaire mais elle reste insuffisante. Plus grave encore, cette compassion pourrait très bien se transformer au fil du temps en un sentiment de rejet, ou pire encore, en xénophobie. D'où la responsabilité des pouvoirs publics qui n'ont pas le droit de faire semblant d'ignorer l'existence de ces réfugiés sous prétexte que la population locale les a pris en sympathie. En plus, et à l'approche du mois de Ramadhan, la prise en charge de ces réfugiés devient carrément un devoir de tous ».