Pour l'architecte Mohamed Larbi Merhoum, le constat est sans appel : le programme de construction d'un million de logements est un échec sur un plan stratégique : il n'a pas résolu la crise du logement et n'a pas profité à l'économie. L'Algérie est aujourd'hui le seul pays au monde à construire des logements à perte. Pour sortir de la spirale, il estime que «le logement redevienne un vrai matériau économique». Explications. « Dès le départ, on a assisté à une course aux chiffres. Seule la quantité importait, la qualité n'avait qu'une importance relative. Cet état de fait a entraîné le nivellement par le bas et l'installation de la «médiocrité comme norme» constate avec sévérité l'architecte Mohamed Larbi Merhoum, depuis près de vingt ans dans le privé. Pour lui, le programme de construction d'un million de logements sociaux comportait dans ses objectifs mêmes, les raisons de son échec. «A partir d'une décision politique, on a décidé de mettre en œuvre un programme grâce à la mobilisation de ressources financiers importantes mais sans avoir mené au préalable une réelle réflexion sur ce qu'il est possible de faire avec un million de logements et les moyens à mobiliser pour réussir le programme». Construire vite, le plus possible, au moindre coût, sans prendre le temps de la réflexion et de la préparation ne pouvait qu'aboutir à des conséquences désastreuses, selon l'architecte. La «frénésie» de bâtir a entraîné «une surchauffe de l'économie qui a favorisé l'émergence de dysfonctionnements et de comportements condamnables dans la chaîne de production de logements». Un tel système a tiré vers le bas de tout le processus «de la réflexion, de la programmation au niveau des pouvoirs publics, en passant par l'aménagement général des territoires qui reçoivent ces logements jusqu'aux études d'urbanisme, à l'architecture et à la réalisation». Larbi Merhoum est tranchant, la démarche qui consiste à «construire le plus au moindre coût» est économiquement suicidaire. «L'urbanisme en Algérie aujourd'hui se résume à de la consommation de foncier pour installer des programmes de logements et d'équipements. Déjà, ça c'est condamnable. Si, en plus, on ne crée pas de richesse en fabriquant du logement, c'est doublement condamnable», affirme-t-il. «CONSIDERER L'ACTE D'URBANISME COMME VERITABLE MOTEUR DE CROISSANCE» Pour lui, les conditions actuelles fixées par les pouvoirs publics pour la construction de logements sociaux ne peuvent que freiner toutes velléités d'investissement. «Le logement social est le moins bien payé en terme d'honoraire. Pour s'en sortir, l'architecte doit en concevoir au moins 150 à 200. Sinon sur 30 logements sociaux, il se casse les dents ou il fait de la très mauvaise qualité». Ce qui n'a rien d'incitatif pour les entrepreneurs. «Mise à part les industries de la brique et des carreaux de sol, aucun algérien n'a crû bon d'investir dans les secteurs du bâtiment» constate Larbi Merhoum. Ainsi l'évaluation économique du prix d'un logement fait que seules les entreprises chinoises peuvent y répondre. Une aberration pour Larbi Merhoum : «A supposer que l'on ait à faire un million de logements, si cela ne sert pas à relancer l'économie, à fabriquer de grosses entreprises, à relancer l'industrie du bâtiment, à remettre les Algériens au travail, ça ne sert à rien». Il explique avec un schéma simple : «A 10 dinars, on construit un logement de base avec des prestations de base voire de mauvaises qualités. Si au lieu de 10 dinars, on investit 12 dinars soit 20% de budget en plus tout en construisant 20 % de logements en moins, on créé une dynamique économique. Le logement devient alors un produit intéressant à forte plus-value pour les entreprises, pour l'emploi et pour les architectes». L'ETAT REGULATEUR MARCHE MIEUX QUE L'ETAT MAITRE D'OUVRAGE Quelles solutions ? Désengagement de l'Etat de l'acte économique au profit d'un rôle de régulateur pleinement assumé et surtout cesser de faire «du logement un produit politique, il doit rester un produit économique», répond d'emblée Larbi Merhoum. Il observe qu'à chaque fois que l'Etat a joué un rôle régulateur, les résultats ont été appréciables. Il cite l'exemple du Logement social participatif (LSP) devenu Logement promotionnel aidé (LPA). C'est un logement aidé par l'Etat mais dans lequel les destinataires participent à l'achat. «On a une relation différente au logement qui s'installe puisqu'on a affaire à un propriétaire». A contrario, quand l'Etat a joué le rôle de maître d'ouvrage «cela a été un échec total» affirme Merhoum qui estime que l'Etat doit se retirer «pour permettreun dispositif plus proche des lois économiques du marché. Il ne peut pas à la fois décider, réaliser et distribuer les logements». Il faut commencer aussi par redéfinir le «logement social». «En Algérie, le logement social est considéré comme une aide au logement tandis que dans le reste du monde, c'est l'aide à la personne qui est privilégiée», explique Larbi Merhoum. Une autre piste consiste à remettre sur le marché locatif les logements vides,estimés à près d'1,5 million selon le dernier recensement officiel de2008. Et les mécanismes pour y parvenir sont simples : recenser, défiscaliser la location, instaurer une taxe équivalente au loyer pour les logements vides. Une telle démarche permettrait de diminuer de façon sensible la pression sur le logement. «Il faut partir de l'idée qu'un logement doit être un produit économique, qui produit de la qualité et une dynamique économique. Au lieu de faire de la politique avec le logement, l'Algérie a besoin d'une politique de logement», conclut l'architecte. Bio-express :Mohamed Larbi Merhoum a été deux fois lauréats du Prix national d'architecture. En 1999 pour le siège de la banque CNEP à Sétif et en 2004 pour le siège de la banque Sofinance à Alger. Il vient de terminer l'Historial, un bâtiment culturel à Alger-centre qui devrait ouvrir prochainement.