Alors que l'Etat prévoit une opération d'envergure pour restaurer les maisons de La Casbah, des architectes s'inquiètent du manque de réalisme du plan élaboré par le ministère de la Culture. Explications. A la mi-mars, un pan d'une vingtaine de mètres de la muraille de la citadelle d'Alger s'est effondré. Il serait dû à la fragilisation de l'édifice causée par la présence d'arbres près des remparts, ainsi que par les vibrations des voitures empruntant la rue Mohamed Taleb, qui devait en principe être fermée à la circulation. Plusieurs habitants craignent aussi un effondrement imminent de leur douirate. L'Office de gestion et d'exploitation des biens culturels (OGEBC) vient d'entamer la phase d'élaboration d'un schéma des études des travaux et leur approbation, dans le cadre du plan d'urgence de sauvgarde, pour commencer par la suite l'opération de restauration des maisons touchées par les intempéries. Il prévoit ensuite de lancer, dans le cadre du plan de préservation de La Casbah, la première opération de restauration de grande envergure pour 323 maisons. Un plan de 64 milliards de dinars, critiqué par des experts en question. Pourquoi ? Le plan manque d'une vision globale. Mohamed Larbi Merhoum, architecte et urbaniste, ne voit pas ce plan comme une solution. «Le ministère de la Culture, en charge du projet, s'attache uniquement aux murs. Pour lui, il s'agit d'une problématique strictement technique, qui ne sauve en aucun cas La Casbah. Il n'y a malheureusement plus de raison de vivre dans ce patrimoine classé», dit-il. Houria Bouhired, architecte et présidente de l'association Sauvons La Casbah, s'étonne par ailleurs : «Pourquoi le nouveau plan de sauvegarde n'évoque pas les dysfonctionnements à l'origine de l'échec des plans précédents ? Il faut une dissection des programmes en cours pour mettre en évidence les insuffisances et remédier aux dysfonctionnements.» Il ne repose sur aucun modèle économique. «Il n'existe aujourd'hui dans La Casbah que des habitations. Le plan devrait prévoir une création de richesses par des restaurants, des ateliers d'artistes ou encore des hôtels. Il faut trouver à La Casbah un rôle à jouer», explique Larbi Merhoum, en insistant sur la nécessité de rendre ce tissu vivant. Pour Houria Bouhired, la priorité est ailleurs : «Faire de La Casbah un centre touristique ne peut être qu'un objectif à long terme, mais en aucun cas une finalité immédiate. Il faut d'abord restaurer La Casbah pour maintenir les natifs du quartier» et faire en sorte qu'ils respectent l'esprit de la vieille ville. «Ensuite, elle doit pouvoir accueillir de nouveaux habitants aimant l'architecture traditionnelle, tout en étant soucieux de sa préservation et en garantissant son devenir.» Mais pour Benmedour, cette idée de vider La Casbah de ses habitants ou de changer sa population n'est pas admise : «La Casbah doit refléter son image, celle d'un quartier habité. Ce n'est pas un complexe touristique. Elle symbolise toute la nation algérienne. Contrairement aux autres casbahs à Tunis ou à Marrakech, nous avons notre particularité.» Il faut changer la population. «8% des propriétaires ont disparu et ne répondent jamais présents, relève Larbi Merhoum. Il faudrait penser à mettre en place des procédures juridiques spéciales pour racheter les maisons. Le plan tel qu'il est élaboré fera de La Casbah une simple carte postale. Mais 90% des habitants ont choisi La Casbah comme centre de transit en attendant d'être logés dans des appartements neufs !, dénonce-t-il. La Casbah est squattée par des habitants qui n'ont aucune raison d'y être et ne demandent qu'à la quitter !» Sur ce point, Mohamed Benmedour, architecte et responsable de la communication à l'OGEBC, est d'accord : «Pour bénéficier de logements, les habitants font exprès de détruire les maisons où ils se trouvent.» Houria Bouhired confirme aussi : «L'Etat a déjà attribué plus de 10 000 logements pour reloger les sinistrés de La Casbah et dé-densifier les maisons, sans jamais atteindre les résultats escomptés. Ce système a fait preuve de sa désastreuse capacité de nuisance. Il est à l'origine de la situation catastrophique que vit La Casbah aujourd'hui.» Mais Mohamed Benmedour défend le plan : «Avec cette nouvelle opération d'urgence et de sauvegarde, les habitants sont amenés à collaborer. Durant les travaux de restauration, les familles peu nombreuses seront déplacées à un autre étage. S'il s'agit d'une famille nombreuse, elle sera hébergée momentanément dans des maisons cédées à l'OGEBC.» Une vision des choses pas très réaliste, pour un architecte spécialisé dans la restauration de l'habitat ancien. «Dans de nombreuses maisons, les gens vivent jusqu'à 6 familles ! Par ailleurs, nous connaissons assez rarement les véritables propriétaires sans lesquels il est difficile d'intervenir. Ensuite, les fameuses “opérations tiroirs” sont très difficiles à réaliser, car les logements ne sont pas disponibles. Il faut aussi que toutes les parties concernées jouent le jeu. Pour cela, il faut que les quotas de logements prévus soient respectés et non détournés à d'autres fins, ou que les familles recasées ne réinvestissent pas les lieux avant la fin des travaux…» Il n'illustre pas une réelle volonté politique. «Quand il s'agit de construire une autoroute ou une mosquée pour le président, les décisions sont prises très vite !, constate un architecte algérois. En revanche, pour La Casbah, tout bloque… C'est bien la preuve qu'il n'y a aucune volonté politique de la sauver !» Pour Farid Benyaa, architecte et artiste plasticien, La Casbah a besoin «de plus qu'un office» : «Les priorités sont malheureusement ailleurs, pourtant, le temps est le seul vrai ennemi de La Casbah…» Un archéologue qui a mené des travaux de recherche dans les années 1980 dans la vieille ville s'interroge : «Je ne comprends pas pourquoi le ministère de la Culture est en train de faire de la récupération en disant qu'il a tout fait, en expliquant que c'est la première fois ; or, c'est faux. Pour La Casbah, tout a été fait en matière d'études depuis les années 1970. Mais on veut en faire une question politique. Elle n'a pas besoin de ça…» Il veut revenir à l'ancien modèle, qui coûtera très cher. «Les gens qui habitent La Casbah sont issus de l'exode. Je suis sidéré par ce que l'on trouve à l'intérieur de maisons qui supportent un poids trop lourd pour elles ! Des conduites d'eau ont été installées dans les ghouref (les maisons), constate Mohamed Benmedour. Toujours selon le chargé de communication de l'Office, le plan ne permettra plus aux particuliers de faire n'importe quoi avec l'architecture. Le plan tel qu'il est proposé restitue l'ancien modèle de La Casbah. Et les habitants sont sommés d'accepter, l'Etat apportant 80% de la somme des travaux.» Impossible, pour Larbi Merhoum : «C'est comme si on voulait arrêter le temps. Reconstituer La Casbah à l'identique coûtera 20 fois plus cher ! Peut-on former des ouvriers capables de faire un travail aussi sophistiqué que l'ancien modèle ? Cela maintiendra La Casbah en vie artificielle seulement.»