Le PDG d'alliance Assurances est catégorique : Si le secteur des assurances n'est pas réformé, beaucoup de compagnies auront de plus en plus de difficultés à faire face aux sinistres. La situation est telle dans le secteur que des lois doivent être promulguées pour protéger l'assureur et mettre fin aux « carences » qui hypothèquent aujourd'hui le devenir de nombre de compagnies d'assurances , estime Khelifati dans cet entretien. Le Quotidien d'Oran: Alliance Assurances est la première compagnie d'assurance Algérienne à revendiquer le plafonnement des remises accordées aux différents clients pour ce qui de la formule «tous-risques». Pourquoi une telle exigence maintenant, alors que l'assurance auto constitue l'essentiel du chiffre d'affaires des assureurs publics et privés ? Hassan Khelifati: Effectivement l'assurance automobile représente 65% de notre portefeuille et représente 50% du portefeuille du secteur des assurances. Pourquoi une telle revendication ? C'est parce que nous avons constaté que sur la prime brute, que devait obtenir Alliances Assurances sur l'exercice (2011), nous avons pratiquement 50% de cette prime qui est restée dans les remises accordées. Par exemple en 2011, nous devions toucher 5,6 milliards de DA de prime brute et, nous n'avons touché que 2,6 milliards de DA à cause de ce jeu de remise. Je pense, par extrapolation, que c'est le cas de toutes les compagnies. Cela se répercute sur plusieurs choses, notamment sur les sinistres, sur la qualité des services et sur la santé financière des compagnies d'assurances. C'est pour cela que nous avons initié, grâce à la mobilisation des membres de l'UAR (Union Algérienne des sociétés d'assurances et de réassurances) et aussi sous la présidence de M. Latrous, qui a joué un très grand rôle dans l'aboutissement du protocole d'accord avec les acteurs publics auxquels, je dois rendre un hommage pour leur prise de conscience. On a abouti, après plusieurs ronds à ce protocole qui a été signé et, soumis pour approbation par le ministère des finances. Nous attendons actuellement de nouvelles réunions pour mettre en place les mécanismes nécessaires à son application. Je pense que l'état d'esprit général va dans le sens du respect de cet accord, et je précise encore une fois qu'il ne s'agit pas d'une augmentation des primes, mais d'un plafonnement de remises. Les tarifs ne vont nullement subir d'augmentation en rappelant que pour la RC (responsabilité civile) pour 1 DA encaissé, nous décaissons plus de 3 DA à cause de la hausse inquiétante des accidents de la circulation ces dernières années. Q. O.: Le ministère des Finances a répondu favorablement à votre revendication et 13 autres compagnies d'assurances (publiques et privées) ont signé le protocole d'accord en juin dernier. Avez-vous mis en place les mécanismes de mise en œuvre du plafonnement des réductions ? H. Kh.: On a franchi plusieurs étapes de discussion et on a instauré les mécanismes d'une revue mensuelle entre les premiers responsables des compagnies et nous avons abouti, après plusieurs rounds, à la conclusion du protocole qui a été approuvé. Ce n'est qu'un premier pas. La prochaine étape réside dans la mise en place de mécanismes pour respecter le protocole. Nous nous sommes convenus de nous revoir après le retour des congés de toutes les parties et je pense que cela doit intervenir dans les prochains jours. Q. O.: Est-ce que vous ne craignez pas une chute du chiffre d'affaire des compagnies d'assurance, une fois ce plafonnement entré en vigueur ? H. Kh.: Effectivement, c'est un risque qu'il y'ait un recul du chiffre d'affaires, car certains assurés vont opter vers des assurances un peu plus basiques, ce qu'on appelle les dommages collision. Mais ceci dit, aujourd'hui le problème c'est que nous avons en Algérie le prix de la «tous-risques» qui équivaut au prix d'une RC ailleurs. Nous avons peut-être la «tous-risques» la moins chère du monde. Vous avez une tous-risque à moins de 100 euros et parfois même moins de 50 euros alors qu'elle protège un patrimoine et qu'elle a des conséquences illimitées sur l'assureur. Donc, peut-être que le chiffre d'affaires va diminuer, mais aussi les engagements des compagnies d'assurances vont affaiblir. Elles auront moins à supporter certains incivismes, car aujourd'hui la «tous-risques» est devenue un permis de détruire. Le risque est devenu entre guillemets «immoral». On tue et on détruit, et on s'attend à ce que l'assureur prend tout en charge avec l'état par rapport aux blessés et aux conséquences socio-économiques qui en découlent. Je dirai qu'il y'a un risque, mais les dépenses des compagnies doivent désormais se comporter d'une manière rationnelle. Cela va peut-être également pousser certaines compagnies à développer d'autres produits et de nouvelles offres. Je pense qu'aujourd'hui, les premiers éléments disent aussi que certains assurés commencent à réfléchir pour mieux protéger leur patrimoine. Q. O.: Nombre de compagnies d'assurances se plaignent de «fraudeurs» qui utilisent cette assurance «tous risques» pour se faire rembourser des sinistres qui n'ont jamais existé. A combien vous estimez le préjudice causé à votre compagnie du fait de cette fraude et que préconisez-vous pour y faire face ? H. Kh.: La fraude existe. En Algérie, elle est amplifiée pour plusieurs raisons. Elle est amplifiée à mon avis, parce qu'il n'existe pas un système d'information fiable inter-compagnies qui peut déceler les fraudes. Aujourd'hui, nous avons dans le secteur une société spécialisée. C'est l'Algérienne de lutte contre la fraude à l'assurance sur laquelle les compagnies s'appuient, quand elles ont des soupçons sur certains dossiers. A titre d'exemple, au cours du premier trimestre 2012, nous avons soupçonné 20 dossiers-sinistres très importants en automobile, et il s'est avéré que nos soupçons se sont avérés vrais pour 16 dossiers. Il faut préciser, qu'il existe une fraude des assurés qui est estimée jusqu'à 30% de la masse globale des remboursements, mais il y'a aussi un autre problème qui est lié à certaines expertises qui sont complaisantes, et qui sont une forme de fraude déguisée. Cela fait bien évidemment beaucoup de mal aux finances des compagnies. La meilleure lutte c'est d'abord de faire prendre conscience aux experts, et aux cadres des compagnies d'assurances afin d'être plus vigilants dans la préparation et le traitement des dossiers, mais aussi d'avoir un système d'information inter-compagnies sous l'égide de l'UAR pour faire face aux gens qui se sont spécialisés dans la fraude aux assurances. Q. O.: Votre compagnie soutient dans un récent communiqué, que les émeutes qu'a connues le pays et la forte sinistralité dans le secteur automobile se sont traduites par une hausse de 172% des déclarations des sinistres toutes branches confondues, ayant pour conséquence : une hausse de 165% des indemnisations et de 68% de la charge de sinistres. Est-ce que vous pensez que le métier d'assureur est devenu un métier à risque à la lumière des événements, qui se sont déroulés dernièrement dans notre pays ? H. Kh.: Oui effectivement, le métier des assureurs est devenu aujourd'hui un métier à risque, car il est de moins en moins rentable en Algérie pour plusieurs raisons. D'abord pour cause de la structuration du marché et les textes qui ne protègent pas forcément les assureurs. Il y a aussi le nombre d'émeutes qui se déclenchent, ça et là. Cela augmente beaucoup les engagements des compagnies d'assurances. Vous avez les tarifs qui baissent et le nombre de risque qui augmente avec 400.000 nouvelles immatriculations chaque année, des routes qui ne suivent pas et des surfaces qui sont de plus en plus réduites pour la circulation automobile, ce qui augmente considérablement les risques d'accidents. On le constate sur le nombre de morts, de blessés et le coût des réparations qui s'élève à des milliards de DA (36 milliards DA pour l'année 2011). Cela veut dire que s'il n'ya pas de réforme et de mesures draconiennes pour remettre les choses à leurs places, notamment en payant le vrai prix d'une assurance, le secteur n'est plus rentable aujourd'hui. En toute honnêteté, il faut vraiment un traitement de choc. Q. O.: Votre compagnie a provisionné une importante créance contentieuse de plus de 500 millions de DA. H. Kh.: Je dirai que c'est un contentieux commercial qui est entrain d'être traité au niveau du tribunal. C'est un différend entre deux opérateurs économiques. Le client en question était chez nous depuis 5 ans et il y a eu un différend. Je pense que le problème se traite d'une façon normale. Nous avons une confiance totale dans la justice et je pense que nous allons faire un recouvrement judicaire en suivant les voies légales. Cela m'amène justement, si vous le permettez à évoquer l'un des axes de réforme en Algérie, qui est l'environnement du secteur des assurances. Il y a une concurrence exaspérée sur les tarifs et sur la survie des compagnies, ce qui fait que certains clients imposent leur loi aux assureurs en terme d'échéancier, en terme de modalités de règlement, ce qui fait que les compagnies d'assurances sont à la merci de cette «clientèle». Souvent des compagnies d'assurances, même si elles disposent de contrats dûment signés, elles n'arrivent pas à recouvrir leurs créances. Le paradoxe aussi réside dans le fait, que vous êtes obligés de couvrir les sinistres du client, avec lequel vous êtes en contentieux. C'est l'un des axes qui nécessite une réforme urgente de la part du ministère des finances et du ministère de la justice pour qu'on change la loi et pour qu'il n y'ait plus ce genre de problèmes. Certains laissent des ardoises et changent de compagnie d'assurances. C'est devenu un moyen d'enrichissement sur le dos des assureurs. Il est urgent de s'attaquer à ce chantier. Je relève qu'en Afrique, le secteur est très développé. En Afrique de l'Ouest, par exemple, aucune assurance ne peut concourir, si elle n'est pas payée sur place, même pour les entreprises. C'est un chantier urgent qu'il faut lancer, car l'assureur protège le patrimoine des autres, mais qui va défendre et soutenir l'assureur qui est soumis à des délais et des engagements ? Q. O.: Alliance Assurance compte se lancer dans l'agroalimentaire. Selon les dernières «indiscrétions» votre compagnie veut investir quelques 100 millions d'euros pour créer un complexe d'agro-élevage avicole et bovin dans la wilaya de Médéa. Peut-on connaitre les détails du projet et est-ce que la crise est telle sur le marché des assurances que vous avez décidé de diversifier vos revenus ? H. Kh.: Oui, je dirai que l'activité d'assurance en Algérie telle qu'elle est actuellement structurée, n'est pas aussi rentable qu'on le pense, sauf si on veut tricher avec les chiffres. Cependant les assureurs sont des investisseurs institutionnels. Ce sont des collecteurs d'épargnes. Pour ce qui nous concerne, nous avons défini un certain nombre d'axes de développement, et nous avons choisi d'aller vers ce nouveau créneau que nous considérons, comme étant un créneau d'avenir parce qu'il pourrait participer au développement local. Nous avons choisi une localité très diminue du coté de Médéa sur 240 hectares avec une population qui avoisine près de 70% de chômage. Nous avons décidé d'investir dans ce créneau 100 millions d'euros sur cinq années. Nous avons également voulu structurer la filière à notre manière et fédérer les éleveurs, sachant que la wilaya de Médéa dispose entre 800 et 1.000 éleveurs, mais qui n'ont pas beaucoup de centres d'abattage et de conservation dans la région. Les études sont lancées depuis une année et demi, et nous avons présenté le projet aux autorités locales qui étaient enthousiasmées durant un an. Mais malheureusement la décision définitive dépasse le seuil de la wilaya et remonte au Ministère de l'agriculture. Il y a plus de deux mois, nous avons participé à une visite du ministre de l'agriculture à Médéa et nous avons présenté le projet implanté au niveau de Bougzoul, mais aucune suite n'a été donnée depuis ce jour là. Nous savons que le processus est long et nous attendons la décision du ministère de l'agriculture. Nous espérons une réaction du ministère le plutôt possible pour continuer le projet, ou aller voir ailleurs. J'attire juste votre attention que le projet tel que nous le concevons, va créer un millier d'emplois et vise à structurer la filière.