En bouclant ses cent premiers jours au poste de Premier ministre, M. Abdelmalek Sellal a fixé les limites de son action. Il s'est imposé beaucoup de restrictions. Pas de grands projets, ni de bouleversements, mais une gestion au jour le jour, en essayant de colmater les brèches et d'améliorer le menu quotidien. Un rôle parfait de Premier ministre. Abdelmalek Sellal n'est pas un visionnaire, et ça se voit. Après cent jours à la tête du gouvernement, l'ancien wali s'affiche comme un technocrate pragmatique, agissant sans à priori ni préjugés, avec pour seul objectif l'efficacité. Pas de grands projets, ni de grandes ambitions. Il ne parle pas de stratégie ni de bouleversements, encore moins d'idéologie. Il se limite à une action, qu'il veut aussi déterminée qu'efficace. Pour lui, pas de programme donc, mais un plan d'action. Le programme, c'est celui de M. Abdelaziz Bouteflika, que M. Sellal se contente d'appliquer. Le premier ministre ne peut donc afficher un programme concurrent, ni même complémentaire. Il se met, dès les premiers moments, dans l'habit qu'avaient portés d'autres responsables avant lui, de M. Ahmed Benbitour à M. Ahmed Ouyahia, en passant par Ali Benflis et Abdelaziz Belkhadem. Le discours et la démarche de M. Sellal sont ainsi profondément marqués du sceau de l'exécutant, ce qui ne peut que ravir M. Bouteflika. Le chef de l'Etat est certain que M. Sellal ne lui fera pas de l'ombre. Il se limitera à gérer, à faire au mieux pour que les affaires du pays ne se compliquent pas. Mais ce n'est pas à lui d'imaginer un projet pour sortir de la crise. Cela dépasse ses compétences, et il l'a annoncé dès sa nomination. C'est ainsi que, avant même la formation de son gouvernement, il a fixé les tâches prioritaires de l'exécutif : améliorer le fonctionnement des services publics et tenter de rendre la vie quotidienne moins pénible. Cela a débouché sue des mesures populaires, mais insuffisantes pour gérer un pays. TERRAIN MINE Nettoyer les villes, simplifier quelques démarches administratives et assurer la disponibilité des médicaments ne suffisent pas pour remplir la vie d'un premier ministre. Mais ce terrain, apparemment anodin, risque de se révéler miné. M. Sellal l'a découvert à ses dépens en lançant une lutte contre l'informel. Il s'est rapidement rendu compte que ce chantier ne se limite pas à chasser quelques trabendistes. En fait, il inclut tous les aspects : politique, juridique, économique et même sécuritaire. M. Sellal s'y est attaqué, avant de découvrir les limites de son champ d'action, quand son ministre de l'intérieur et son ministre des finances ont publiquement étalé leurs divergences sur le marché informel des devises. Lutter contre l'informel, c'est imposer la transparence dans les transactions commerciales, dans le fonctionnement des banques et des circuits financiers. C'est imposer des règles applicables pour tous. C'est là un terrain dangereux. M. Sellal hésite encore poursuivre dans cette direction. Il est alors revenu vers des dossiers qu'il pense plus abordables. Comme le financement de l'investissement. Il veut dénouer des situations inextricables, mettre fin à des situations absurdes, simplifier les choses. C'est ainsi qu'il annonce des mesures destinées à faciliter l'octroi de crédits et l'ouverture de comptes bancaires. La mesure est saluée par tous les opérateurs, mais elle ne va pas le mener très loin. Elle permettra de faire illusion pendant quelques mois, avant qu'on découvre son inutilité. Car ce n'est pas la suppression de quelques documents administratifs qui va booster l'économie. Le problème est ailleurs. UN PROBLEME D'ARCHITECTURE GENERALE Il est dans l'architecture générale du système économique qui ne colle pas. Ce sont les entreprises publiques, bureaucratisées, soumises à des tutelles insupportables, qui manquent de dynamisme et empêchent le pays de décoller. Ces sont les entreprises privées qui n'ont pas l'étoffe nécessaire pour assurer un niveau de croissance élevé. C'est l'absence d'entreprises étrangères qui empêche les échanges et la création d'un climat économique différent. Ce sont les banques, soumises à une tutelle étouffante, sommées d'obéir à des mesures comme celles décidées par M. Sellal lui-même, qui freinent l'investissement. Ce sont les entreprises, mues par un esprit rentier, qui attendent que l'Etat leur offre le foncier pour le dinar symbolique. C'est tout le système d'échanges qui est conçu pour favoriser l'importation au détriment de la production. M. Sellal n'est pas un novice. Il a été wali, ministre pendant une quinzaine d'années, et directeur de campagne de M. Abdelaziz Bouteflika. Il connait les mécanismes qui bloquent le décollage économique du pays. Il a vu comment il lui a fallu présider une réunion avec plusieurs ministres, et de hauts responsables de différentes institutions, pour débloquer une banale opération d'achat de médicaments. Mais il connait aussi les arcanes du pouvoir. Il a donc pleinement conscience de la marge dont il dispose, et des limites qu'il ne peut transgresser. Comme tous les premiers ministres qui se sont succédés depuis deux décennies, il est confronté à la même équation : faut-il montrer de la bonne volonté, et tenter de colmater les brèches, et participer ainsi à maintenir l'illusion ? Ou bien faut-il se dire une bonne fois pour toutes qu'il faut euthanasier ce système de gestion, car il est la cause du blocage ? Pour l'heure, M. Sellal se contente de vouloir améliorer ce qui existe. De réparer un navire qui prend eau de toutes parts. En y mettant un minimum d'enthousiasme.