Une délégation de Villa Mir, l'actionnaire majoritaire dans Fertial, est repartie d'Alger ce week-end sur un constat d'impasse. Sonatrach veut rapprocher le prix de ses fournitures de gaz aux deux complexes d'Arzew et Annaba du prix international. Les Espagnols estiment que le jeu n'en vaudrait alors plus la chandelle. La tension était retombée d'un cran, début septembre, entre Sonatrach et Villa Mir en guerre quasi ouverte autour du contrôle de la joint-venture Fertial entre leurs deux filiales des engrais, Asmidal et Fertiberia. Une réunion à Alger entre les deux parties avait permis de laisser entrevoir un accord de base pour un nouveau contrat de partenariat. Sonatrach revendique depuis le printemps dernier de vendre ses fournitures de gaz à Fertial au prix international. Motif, le prix subventionné du gaz naturel garanti par l'accord entre le groupe espagnol Villa Mir et l'Etat algérien n'était, du point de vue de Sonatrach, pas prévu pour les volumes d'exportation de fertilisants réalisés depuis une année par Fertial. « La délégation de Villa Mir a demandé un délai de réflexion en laissant la porte ouverte sur l'acceptation d'un nouveau prix de livraison du gaz naturel », estime une source algérienne proche du dossier. La réunion de la fin de la semaine dernière a finalement tout remis en cause. Ou presque. « Les Espagnols ont fait leurs calculs. Ils estiment que si jamais ils devaient acheter le gaz au nouveau prix proposé par Sonatrach, l'activité de Fertial ne serait plus rentable », a ajouté la même source. C'est plus précisément sur le montant de la ristourne que Sonatrach a accepté de faire sur son prix de gaz que la négociation a achoppé. Sonatrach a proposé de baisser d'environ 10% le prix du million de BTU de gaz une fois aligné sur les 11 dollars actuellement en vigueur dans ses autres livraisons. Villa Mir revendique une ristourne beaucoup plus importante afin de rester compétitive dans l'exportation des produits fertilisants algériens vers le marché européen. L'écart entre les deux propositions commerciales paraissait trop important à la fin de la réunion, ce qui augure de nouvelles tensions, voire, désormais, d'une possible rupture des négociations. UN TAUX DE MARGE ANORMALEMENT ELEVE ? Les nuages s'amoncellent d'autant plus sur ce partenariat, présenté comme exemplaire des années 2000, entre l'Algérie et l'Espagne, que la révision de la « charge gaz », est une des trois revendications de Sonatrach, même si l'intensité des deux dernières dépend de l'issue de la première. Un document de Abdelhamid Zerguine, PDG de Sonatrach propriétaire d'Asmidal (33% de Fertial), adressé à l'actionnaire majoritaire espagnol, stipule la volonté du groupe algérien de se rendre acquéreur de 16% du capital de Fertial. De même, la partie algérienne souhaite clairement «verrouiller » des fonctions dans le management de Fertial qui permettent de rendre visibles les flux de transactions entre la joint-venture et Fertiberia, son client en Europe. «Le commerce intra-groupe nous fait perdre des parts importantes des marges. Nous n'avons jamais réussi à établir une transparence complète sur les prix de transferts et sur les plus-values réalisées à la vente finale sur le marché européen», estime un proche du point d'Asmidal, l'actionnaire minoritaire algérien. La partie algérienne «dénonce » un taux de marge de 40% dans une activité industrielle où la marge moyenne est de 12%. «Tout cela grâce au prix subventionné du gaz algérien. Le contexte d'affaire dans lequel le partenariat a été signé au milieu des années 2000 a totalement changé. Le cours de la tonne d'ammoniac s'est valorisé de 300% depuis », ajoute la source algérienne. «Nous sommes dans un cas où l'investissement initial de la partie étrangère est récupéré chaque année en dividendes ». Des arguments que la partie espagnole a contestés. D'abord parce que la politique des dividendes étant « équilibrée », Asmidal gagne en même temps que Fertiberia. La minorité serait rétribuée de la même façon « sinon plus » que la partie majoritaire. Ensuite les efforts d'investissements, le risque industriel et le redressement de l'activité ne sont pas pris en compte dans cette comptabilité. Le président du groupe espagnol, Juan-Miguel Villa Mir, en avait fait un long décompte dans un courrier adressé à Youcef Yousfi ministre algérien de l'Energie et des Mines, rapporté dans un article de Maghreb Emergent le 30 juillet dernier. LES ESPAGNOLS TENTES PAR LA CESSION DE LEUR MISE L'option du recours à l'arbitrage international par la partie espagnole se précise après ce dernier round de négociation. Jusque-là Villa Mir s'est abstenu d'engager un avocat dans ce bras de fer qui l'oppose à son actionnaire minoritaire, en réalité à l'Etat algérien. Si l'accord sur un prix équitable de la « charge gaz » n'est pas obtenu, les Espagnols seraient tentés de céder totalement leur 66% du capital. Une bataille sur la valeur de cette part pourrait bien s'engager et ne pas déboucher sur un accord à l'amiable comme dans le cas de ArcelorMittal à Annaba. Cela est d'autant plus redouté que les actifs de Fertial, comme ceux de Djezzy en 2009-2011 ont commencé à connaître une dépréciation du fait par l'action de l'administration algérienne. Selon les Espagnols, une série « d'actes malveillants » sont venus mettre la pression depuis quelques mois sur Fertiberia. Un rapport d'audit industriel de l'agence de régulation des hydrocarbures (ARH) de mars 2013 a débouché avec une célérité exceptionnelle sur une décision de limiter de 30% les livraisons de gaz naturel aux deux complexes ammoniac de Fertial à Arzew et à Annaba à compter du 1er juillet dernier. L'ARH, évoque «la non mise en conformité des installations ...», «le constat de surconsommation en énergie», « la non-réalisation des engagements par le Groupe Villa Mir notamment en matière de mise à niveau, optimisation de la consommation spécifique du gaz naturel, la mise en œuvre du plan de choc pour la maintenance des installations. L'actionnaire majoritaire de Fertial s'est engagé à mettre totalement en conformité ses installations à mars 2014, mais n'a pas obtenu de sursis à la décision de l'ARH. Une enquête des douanes est également en route se basant sur le choix de Yuzni (Russie) dans la tarification standards des enlèvements des engrais, un choix jugé plus avantageux pour le client (Espagnol) que celui de Tampa Bay (Etats-Unis). Là aussi, les Espagnols déplorent le non-respect de la convention de départ qui fait référence au port russe. Fertial compte en 2013, 1300 travailleurs et un réseau de sous-traitants de près de 5000 personnes. Elle a multiplié ses ventes par trois depuis 2006 et son résultat net par 11. Sa balance devises est positive depuis 2012.