Le climat dans lequel a baigné la séance inaugurale de la conférence de paix pour la Syrie avait, en ayant été électrique et tendu, accru le pessimisme déjà largement partagé sur ses chances de déboucher sur une véritable négociation entre la délégation du régime de Damas et celle de l'opposition. Des médias ont pensé ne pas se tromper en prévoyant que Genève II ne se poursuivrait pas au-delà de cette séance inaugurale. Quatre jours après leur premier face-à-face, les délégations syriennes n'ont pourtant pas quitté la table de négociation et continuent à négocier entre elles par l'intermédiaire du médiateur international Lakhdar Brahimi en qui tout le monde salue le « sauveur » de la conférence de paix pour être parvenu à convaincre les protagonistes syriens à ne pas rompre le dialogue. Tous les dossiers sujets à négociation entre le régime syrien et son opposition se doivent d'être ouverts et faire l'objet d'une recherche de solution entre les deux parties. Lakhdar Brahimi a eu la finesse diplomatique de faire accepter à celles-ci de jauger leur «sincérité» réciproque à vouloir entre elles un accord global politique en commençant par négocier les questions à forte charge humanitariste : celles des prisonniers détenus dans les deux camps et de l'aide internationale à faire parvenir à la population civile syrienne prise en otage par eux. Ayant pu engager sur cette base la négociation entre les frères ennemis, Lakhdar Brahimi quoique toujours prudent a émis le point de vue que le face-à-face entre délégations du régime et de l'opposition a été un «bon début» et qu'elles négocient dans le respect réciproque. De fait, des avancées ont été enregistrées sur les questions qui ont fait l'objet de leur négociation, preuve s'il en est qu'elles ne sont plus aux exigences unilatérales. Il reste que ce cap du rejet de parler à l'autre ayant été franchi grâce au «savoir-faire» du médiateur international, les deux délégations syriennes vont devoir aborder le problème de fond au centre de l'objectif de la conférence de paix, celui d'une entente entre les deux camps sur un processus de transition qui ramènerait la paix en Syrie. C'est là en réalité la pierre d'achoppement sur laquelle Genève II pourrait échouer. Sur ce point, les positions des deux parties sont apparues irréconciliables, l'opposition voulant d'une transition impliquant le départ de Bachar El-Assad, le régime ne l'entrevoyant lui qu'à travers un gouvernement d'unité nationale sous l'autorité de ce même Bachar El-Assad. Brahimi tout seul ne pourra pas sur cette question accomplir le miracle de rapprocher ses interlocuteurs. Pour qu'il y ait entente entre le régime et l'opposition, il faut la pression de leurs alliés étrangers respectifs. Pressions que ceux qui les exerceront devront être articulés sur l'argument qu'à défaut de leur entente, le régime et l'opposition ayant accepté de participer à Genève II font le lit à la troisième force acteur du conflit syrien dont aucun d'entre eux n'a rien de bon à attendre. Au nom de l'Amérique, John Kerry a certes réitéré lors de l'ouverture de la conférence l'opposition de son pays au maintien au pouvoir de Bachar El-Assad. Mais en réalité Washington a depuis quelque temps pris conscience que cette exigence n'est plus soutenable au point où en est la situation sur le terrain dans le conflit syrien. Il lui est apparu en effet que le régime «honni» et Bachar El-Assad sont en fait le seul et ultime rempart à l'arrivée à Damas d'un pouvoir aux mains d'organisations islamo-salafistes classées dans sa liste des terroristes internationaux constituant la menace pour l'Amérique. Leurs alliés syriens étant dans l'incapacité à annihiler ce danger, les Etats-Unis se sont résolus à se montrer «pragmatiques» et à pousser l'opposition syrienne à en faire de même. Ce n'est qu'en adoptant cette attitude qu'ils «faciliteront» le travail de médiation de Lakhdar Brahimi.