L'effet domino de la chute de Maamar Kadhafi est en train de se vérifier jour après jour et l'avenir aura finalement donné raison à la position algérienne vis-à-vis de l'intervention de l'Otan en Libye. C'est ce qu'affirme l'expert américain sur les questions du terrorisme, Daveed Gartenstein-Ross, devant la Chambre américaine des représentants. Il qualifiera l'intervention militaire de l'Otan, sur insistance de Paris, d'«erreur stratégique» malgré les mises en garde d'Alger. Une position déjà reconnue par la presse et des experts américains qui avaient admis que la crise des otages du site gazier de Tiguentourine (In Amenas) ainsi que la guerre au Nord-Mali et la mort de l'ambassadeur américain à Benghazi sont les conséquences de l'opération de l'Otan menée contre la Libye en 2011. Le «New York Times» soulignait alors que l'Algérie «avait, pourtant, mis en garde des répercussions sur la région de l'Afrique du Nord de toute intervention militaire en Libye pour l'éviction de Mouammar El-Gueddafi». Geoff Porter, expert américain des affaires de l'Afrique du Nord, rappellera aussi les avertissements de l'Algérie quant à une intervention de l'alliance atlantique dans la région qui «conduirait à l'effondrement de l'Etat libyen et que le flux d'armes tombées entre les mains des terroristes pourrait déstabiliser la région», faisant référence aux groupes affidés à l'Aqmi. M. Gartenstein-Ross qui est intervenu devant la Chambre basse du Congrès, ce vendredi, à l'occasion d'une audition spéciale sur la Libye, a souligné que l'intervention en Libye a laissé un pays instable et incontrôlable en absence d'un gouvernement capable. Ce chaos a influé négativement sur les voisins frontaliers, l'Algérie, la Tunisie et l'Egypte, mais aussi sur le Mali puisque, selon lui, elle a favorisé, de manière significative, une prise de contrôle des djihadistes au Nord malien entraînant une autre intervention militaire menée par la France. Pour l'expert américain, les répercussions de cette intervention ont «également accéléré les événements en Syrie» où une guerre civile fait rage depuis trois ans. M. Gartenstein-Ross conclut que l'intervention de l'Otan qui a précipité la chute du leader libyen a plus nui aux intérêts stratégiques des Etats-Unis qu'autre chose en rendant la région plus dangereuse. Il reliera, par ailleurs dans son compte rendu, la prise d'otages à l'installation gazière de Tiguentourine, proche de la frontière libyenne, en janvier 2013, avec la présence des groupes djihadistes en Libye. «La combinaison entre l'installation de camps d'entraînement en Libye par ces groupes, la grande disponibilité des armes et l'établissement de sanctuaires a tendance à transformer la Libye en base arrière pour des attaques terroristes futures», expliquera-t-il. Il ajoutera, poussant plus loin son analyse, que la porosité des frontières entre la Libye et l'Egypte contribue à accélérer le passage «continu» d'armes en provenance de la Libye vers la Tunisie, qui a renforcé considérablement les capacités militaires d'Ansar al-Charia. Une autre source de danger terroriste aux frontières Est de l'Algérie qui avait alerté du risque de voir les armes de Kadhafi tomber aux mains d'Aqmi notamment les missiles portables sol-air (MANPAD). LE MARCHE SAHELIEN DES ARMES En octobre 2013, un véritable arsenal de guerre a été découvert par l'armée algérienne dans une vaste cache d'armes à Illizi, près de la frontière avec la Libye à quelque 200 km du complexe gazier de Tiguentourine. Des sources sécuritaires anonymes ont évoqué une centaine de missiles sol-air ainsi que plusieurs centaines de roquettes anti-hélicoptères, de mines terrestres et de grenades RPG. La source par contre ne fournit pas de détail, ni sur la date de cette découverte ni la manière dont elle a été faite. Pourtant, il ne fait aucun doute de la provenance de ces armes de guerre sorties tout droit des arsenaux de Kadhafi après la chute de son régime et qui se sont dispersées à travers les différentes factions armées qui se disputent le territoire libyen. Ce n'est pas la première fois que des armes sont interceptées par les militaires algériens le long des frontières sud avec le Mali ou la Libye. En juin 2012, et à 100 km au nord de la « zone des trois frontières » entre la Libye, la Tunisie et l'Algérie, un territoire immense et incontrôlable, trois voitures chargées d'armes ont été détruites par l'armée tunisienne. Les occupants de trois véhicules circulant dans la zone de Satah al-Hassan, dans l'extrême sud de la Tunisie ont ouvert le feu en direction d'un appareil qui survolait la zone. Le pilote réplique, détruisant le convoi. Selon plusieurs sites tunisiens, les cibles étaient bourrées d'armes en provenance de Libye et transitaient par la Tunisie pour rejoindre l'Algérie. Cet incident n'était pas le premier et renseignait sur les nouvelles pistes des armes du terrorisme. Une hypothèse qui épouse la logique des événements qui se déroulent dans la région et qui veut que les groupes armés qui activent sur le territoire algérien soient les premiers clients des cargaisons d'armes destinées à alimenter les maquis de l'ex-GSPC. Les autorités algériennes avaient déjà souligné la dangerosité de la porosité des frontières libyennes, ouvertes aux trafics en tout genre, avec celui des armes à leur tête. En mars 2012, le ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales de l'époque, Daho Ould Kablia, s'inquiétait de ces frontières. Forts de cet arsenal militaire et livrés à eux-mêmes, les rebelles libyens se sont reconvertis en marchands d'armes, ne faisant aucun distinguo entre leurs clients. Touaregs maliens, groupes terroristes d'Aqmi activant aussi bien en Algérie, au Mali voire dans d'autres pays africains, la vente d'armes est devenue la première activité du désert. Ces armes perdues de la Libye ont déjà été au cœur des discussions sécuritaires au plus haut niveau et Mourad Medelci, alors ministre des Affaires étrangères, en visite à Moscou en décembre 2012, avait soulevé ce problème avec son homologue russe. Il a affirmé que la situation au Sahel s'est aggravée au lendemain des événements de la Libye et la dispersion de tonnes d'armes sophistiquées dans tous les pays de la région. Crainte partagée par les Américains puisque le commandant en chef des forces américaines pour l'Afrique (Africom), le général Carter F. Ham, en visite à Tunis, avait mis en garde contre la menace de groupes terroristes, particulièrement Aqmi et l'accroissement de la contrebande d'armes en Afrique.