Le nom «hareg» (ou, au pluriel harragas) est toujours lourd à prononcer par les proches toujours en attente d'une bonne nouvelle. «Même mauvaise, je l'accepterais, ça me permettrait de faire le deuil de mon fils et de me soulager, le peu soit-il», dira, les yeux en larmes, khalti Lâalîa. Cette bonne dame est la mère d'un jeune homme -Si Mohamed Djamel- disparu dans la nuit du 26 octobre 2005 alors qu'il faisait partie d'un groupe de 9 personnes qui tentait de regagner les côtes espagnoles. Et malgré le poids des années, elle semble garder toujours un espoir de le retrouver vivant. Khalti Lâalia raconte : «Il était jeune, plein de vie, il avait un boulot mais l'esprit de l'aventure l'avait poussé à braver les eaux tumultueuses de la Méditerranée. Peut-être la malvie et l'oisiveté, doublées de l'espoir de trouver un lieu où ils seraient à l'abri du besoin, l'avaient subjugué. Et par une belle nuit de Ramadhan, il avait, en compagnie de ses associés du projet, pris le chemin de l'Espagne, l'Eldorado pour eux. Depuis, et en plus de sa bourse ruinée, sa santé qui en a pris elle aussi un sacré coup, khalti Lâalîa est devenue une femme désespérée. «Depuis 9 ans et demi, je vis plus qu'un calvaire. L'image de mon fils est constamment devant mes yeux. A la maison, ses frères ont placardé partout ses photos. Dehors, dès que je rencontre un de ses amis ou voisins, je pense à lui», raconte-t-elle. Khalti Lâalîa est aujourd'hui une mère très touchée par cette épreuve. «Elle a eu toutes les maladies. A force de penser à son fils, elle a failli être à côté de la plaque. Rongé par la tristesse et l'angoisse, son père, lui aussi, est affaibli et est constamment alité. C'est effectivement le 26 octobre 2005 que tout est parti. Djamel et huit de ses amis ont mis le cap sur l'Espagne à bord d'une embarcation d'à peine 4m50. Le groupe est emmené par un jeune qui connaît bien la mer puisqu'il est issu d'une famille de pêcheurs. «Le lendemain, alors qu'on se préparait pour la fête de l'aïd el fitr, tout la ville parlait de ces 09 hommes partis de la plage de Sidi Ali, en pleine lune du 27ème jour de Ramadhan, se remémore khalti Lâalîa. Emue jusqu'aux larmes, elle marque un temps d'arrêt avant de reprendre son récit: «Nous avons alerté tous les services concernés, nous avons écrit à toutes les instances, frappé à toutes les portes, sans aucune suite. Depuis, aucune trace ni de Djamel, ni Houari, Nourredine, Mimoun, Ismail, Rachid, Abderrahim, Sohbi, Mekhantar, ni encore de leur bateau», conclut cette bonne dame dont le sac à main est bourré de documents et lettres. Si aujourd'hui, cette mère bénisafienne, ainsi que toutes les autres, recherchant désespérément leurs enfants disparus en mer, veulent toujours en connaître le sort, elles veulent aussi et surtout voir se régulariser leur situation administrative. Imaginez qu'il existe des femmes dont le mari (ou le père) est disparu et qui veulent se (re)marier, après toutes ces années, mais qui ne le peuvent pas. Car l'état civil n'a toujours pas délivré, à ce jour, un quelconque document attestant le décès de ce mari ou tuteur. Certains «harragas» disparus ont laissé des biens immobiliers ou un compte bancaire, et qu'il faudrait un jour en faire le partage aux ayants droits avant que les aléas de la nature ou les agios les «finissent».